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François, muni de son passeport, accomplit les formalités d'usage. Il tendait l'oreille, essayant de surprendre des conversations pour vérifier son anglais. Il avait beaucoup pratiqué la méthode «Assimil» et possédait assez bien la langue, mais pas au point de comprendre au vol les phrases qu'il entendait autour de lui, et cela l'inquiétait un peu. Il redoutait le jugement de M. Skinner. Mais il oublia ses craintes, quand il aperçut la silhouette dodue de Bob. Pendant un instant, ce fut une complète confusion, les Skinner parlant en français et François en anglais, dans le brouhaha de la sortie des voyageurs. Enfin, ils prirent le temps de se regarder et ils éclatèrent de rire tous les trois.

— Puisque vous êtes venu pour vous perfectionner en anglais, dit M. Skinner, convenons de n'utiliser le français que dans les grandes occasions. Soyez donc le bienvenu à Londres.

Agé de quarante ans à peine, il était mince, vif, tout le contraire de son fils. De fines pattes d'oie au coin des yeux donnaient à son visage un aspect souriant. Déjà, il avait saisi la valise de François et appelait un taxi.

— Quand il peut faire autrement, mon père évite de se servir de la voiture, expliqua Bob.

Le taxi s'approcha, un de ces étranges taxis londoniens aux formes étriquées, où les bagages se logent auprès du conducteur. M. Skinner s'assit entre Bob et François et allongea familièrement ses bras derrière leurs épaules. Il demanda des nouvelles de M. et Mme Robion, voulut savoir si le voyage de François avait été agréable. Il parlait avec lenteur, pour mettre François à l'aise, mais sans rien d'affecté. Il avait une voix enjouée qui forçait immédiatement la sympathie. Bref, la glace était rompue et François se sentait plein d'optimisme.

— Nous habitons la banlieue nord-ouest, dit M. Skinner. L'endroit se nomme Hastlecombe. A vol d'oiseau, ce n'est pas très loin, mais nous allons faire un crochet pour vous montrer un peu la ville.

— Avec plaisir, dit François. J'ai déjà lu beaucoup de choses sur Londres…

— Il a toujours tout lu, intervint Bob. Sans-Atout est incollable…

— Sans-Atout? demanda M. Skinner. Qu'est-ce que cela signifie?

— Oh! répondit François, c'est un surnom qu'on m'a donné. En classe, j'avais un professeur qui répétait toujours que, dans la vie, il faut avoir de l'ordre et que l'ordre est le meilleur atout. Et comme je n'ai pas d'ordre…

— On vous a surnommé: Sans-Atout, acheva M. Skinner. C'est très drôle.

— Oui, mais il y a aussi une autre raison! s'écria Bob. Je la dis?

— Non, protesta François, non… D'abord, ce n'est pas vrai!

— François, poursuivit Bob, est quelqu'un de remarquable. Il sait tout. Tu comprends; c'est comme s'il possédait toujours les meilleures cartes, et s'il jouait, à tout coup, sans atout. Il est toujours le premier, quoi. Tu ne diras pas le contraire!

Il était tout fier, Bob!

— Ne l'écoutez pas, fit François, gêné. Il m'arrive d'avoir de la chance.

— Je suis bien content que vous soyez l'ami de Bob, dit M. Skinner. Tâchez de lui apprendre à se servir de ce qu'il sait. Car, malheureusement… Nous longeons Hyde Park… Le Parlement est à droite, au bord de la Tamise. Bob vous le montrera un autre jour. Nous allons faire le tour de Piccadilly Circus… Ensuite, nous passerons par Trafalgar Square. Mais une question brûlait la langue de François.

— Je ne voudrais pas être indiscret, commença-t-il. J'ai su, par Bob…, à propos de vos automates…

— Ah! fit M. Skinner, en souriant. Mes automates! Cela vous intéresse donc?

— Enormément!

— Je vous montrerai ma collection, tout à l'heure.

— Ils marchent sans doute selon le principe de la télé-commande?

— Bien sûr. Mais j'ai mis au point un procédé… Ah, ce n'est pas facile à expliquer comme ça, en quelques mots. Si vous voulez, c'est la voix qui sert de signal…

Bob pianota sur le genou de François.

— Piccadilly Circus, annonça-t-il.

François jeta un rapide regard, vit une place grouillante, des files de voitures arrêtées, un spectacle qui lui rappelait la place de l'Opéra. C'était beaucoup moins passionnant que les automates de M. Skinner.

— J'ai lu quelque part, dit-il, qu'un système de ce genre faisait fonctionner les serrures des coffres-forts.

— Bob a raison, reprit M. Skinner, vous avez tout lu. Eh bien, mon procédé ressemble un peu à celui-là… en plus simple et surtout en beaucoup plus réduit. Le mécanisme tiendrait dans une boîte d'allumettes. Je parle, naturellement, du mécanisme qui sert de cerveau. A quoi il faut ajouter les organes de transmission, bien entendu. Mais je n'ai pas voulu créer simplement des automates…

Ses mains abandonnaient les épaules des deux garçons. Il prit et alluma nerveusement une cigarette. Depuis qu'il parlait de son invention, un tic lui agitait le coin de la bouche, une sorte de tremblement rapide qui trahissait une grande tension intérieure.

— Et voici Trafalgar Square, dit Bob, pour faire diversion.

François aperçut la célèbre colonne Nelson. Des hippies étaient assis autour du bassin. L'un d'eux jouait de la guitare; la pluie avait cessé et un soleil anémique couchait sur le sol des ombres pâles. Un policeman, les pouces dans son ceinturon, regardait distraitement la foule.

François, séduit, se promit de revenir, mais le taxi s'engageait déjà dans une large avenue.

— Charing Cross, annonça Bob.

— J'ai voulu construire des modèles éducatifs, reprit l'ingénieur. Aujourd'hui, personne ne sait plus l'anglais, en Angleterre. On parle n'importe comment. On entend l'accent cockney jusque dans la Chambre des Communes. Alors, imaginez des automates qui ne réagissent que si les ordres qu'on leur donne sont prononcés d'une façon parfaite… Vous voyez? C'est le moyen idéal pour apprendre correctement une langue tout en s'amusant.

— Et si je comprends bien, dit François, prompt à l'enthousiasme, vous pouvez programmer vos automates à partir de n'importe quelle langue?

— Exactement.

— Mais les ordres que vous leur donnez sont en nombre limité, forcément.

— Détrompez-vous. Au début, oui, la liste des commandements était réduite. C'est cette difficulté qui m'a arrêté longtemps.

M. Skinner alluma une seconde cigarette. Ses yeux très bleus brillaient d'excitation. Il prit son fils par le cou et lui serra affectueusement la nuque.

— Tu vois, Bob. Ton ami a tout de suite saisi l'intérêt de ces recherches qui t'ennuient.

— Elles ne m'ennuient pas, protesta Bob. Mais tu n'es jamais là. Et quand tu es là, tu n'entends même pas ce qu'on te dit. Demande à Mrs. Humphrey.

M. Skinner se tourna vers François.

— Notre grande querelle! dit-il d'un ton enjoué. Mrs. Humphrey est notre gouvernante. Et je dois avouer qu'elle n'aime pas beaucoup mes marionnettes… Je crois qu'elles lui font peur. Mais, pour en revenir à votre objection, oui, j'ai cherché longtemps… Et j'ai fini par trouver. D'abord, j'ai réussi à augmenter notablement la «mémoire» magnétique de mes appareils; et ensuite, et surtout, j'ai sensiblement allongé les phrases qui servent de signal. Par exemple, au lieu de dire: «Venez ici», on doit dire, maintenant: «Est-ce que monsieur Tom voudrait me faire le plaisir d'avancer jusqu'ici?»

— Ah, je vois! s'écria François. Vous obligez le demandeur à parler plus longtemps, ce qui l'oblige à corriger davantage ses fautes de prononciation. Votre automate n'est que…

Il chercha en vain le mot en anglais et termina en français:

«…n'est qu'un faire valoir.»

— Parfaitement, fit l'ingénieur, ravi. M. Tom, qui est ma marionnette la plus perfectionnée est capable de soutenir une conversation très simple, comme vous devez le penser, mais le résultat est surprenant.

— Ah! Parce qu'il possède aussi la parole?

— Pourquoi pas. Ce n'est pas cela le plus difficile. J'ai enregistré la voix de Bob.

Boudeur, Bob haussa les épaules.

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