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Mais, au fait, il y avait une fenêtre ouverte: la sienne. Pardi! Rien n'était perdu.

Il dévala le perron et prit du recul pour mieux déchiffrer la façade. Pas de tuyau de descente. Pas de saillies. Mais il y avait le lierre qui tapissait inégalement le mur. Et si ce lierre était suffisamment solide…

Il s'approcha pour tâter les branches noueuses, à travers le rideau des feuilles. Quoi! Il ne s'agissait que d'une ascension de trois mètres, quatre au plus. Il se suspendit à une branche, en éprouva de tout son poids la solidité. Cela tenait, mais les feuilles s'agitaient violemment et faisaient comme un envol de pigeons. Tant pis pour le bruit!

La folle équipée

Les mains trouvaient assez facilement des prises parce qu'elles pouvaient tâtonner et savaient interroger le bois et la pierre, mais les pieds, beaucoup moins intelligents, suivaient mal. Ils raclaient le mur, dérapaient, arrachaient des feuilles, et parfois ruaient dans le vide. François sentait alors tout le poids de son corps qui le tirait vers le bas. Une chute ne serait pas très dangereuse, ni peut-être très bruyante, mais il n'aurait pas le courage de recommencer l'escalade, parce que le froid le gagnait. Toute l'humidité cachée dans l'épaisseur du lierre se communiquait à sa poitrine, à son ventre. Son pyjama, complètement trempé, collait à ses cuisses et entravait ses mouvements. Il haletait. Le bord de la fenêtre n'était pas encore en vue. Il s'arrêta un instant, suspendu à ses doigts et à ses orteils, la gorge brûlante. Il avait beau se répéter: «Je peux… Je peux…», il arrivait au bout de ses forces. Il reprit pourtant sa reptation verticale, lentement, lourdement. A mesure que le lierre montait, ses multiples branches s'amincissaient, devenaient moins noueuses, plus glissantes. Il fallait chercher des points d'appui à gauche et à droite, progresser en zigzags. Le sol était loin. Le danger grandissait. Par chance, alors que le rez-de-chaussée était construit en pierres de taille à la surface lisse, le premier étage, d'un matériau plus léger, offrait une espèce de meulière bosselée et poreuse sur laquelle les pieds s'accrochaient plus facilement. Tête levée, mais pas trop, afin de garder l'équilibre, François mesura la distance qu'il devait encore franchir. Il arrivait juste sous le rebord de la fenêtre, ce qui allait compliquer sa tâche, car il ne voyait pas comment franchir ce redan.

Faire un rétablissement? Non. Ce serait trop dur. Il n'était pas Tarzan. La seule solution était d'obliquer, de dépasser la fenêtre et, ensuite, de se rabattre obliquement pour prendre pied sur le bord inférieur. Mais François, bientôt, se rendit compte que cette manœuvre présentait de gros risques. Ecartelé en étoile le long du mur, il resta un moment suspendu, incapable de ramener à lui sa jambe gauche, qui n'obéissait plus. Il en avait les larmes aux yeux, de colère, d'impuissance et de peur. Enfin elle osa se décoller et, pour ainsi dire, le rejoindre. C'était une étrange impression d'être servi par des membres qui semblaient avoir conquis leur indépendance. Il fallait presque parlementer avec eux, leur parler comme à des bêtes aimables mais capricieuses. La main droite s'en allait sous les feuilles, palpait, s'arrêtait. «Plus loin! Va plus loin!.. Je tiens bon…» La main hésitait, lâchait sa prise, s'affolait, revenait précipitamment… Pendant ce temps, le pied droit donnait du souci. Il était agité d'un brusque tremblement et s'insurgeait contre la souffrance, car la pierre râpeuse écorchait la peau mouillée.

Avec une attention aiguë, François était présent partout à la fois et, s'encourageant, se suppliant ou s'insultant, il parvint à se hisser à la hauteur de la fenêtre. Un dernier coup de reins. Les doigts qui se referment sur la barre d'appui. Le corps qui bascule enfin dans la chambre. Les murs tournoient. Le sang cogne dans les artères. C'est fini. Est-ce possible? Je suis arrivé. Je suis chez moi. Le mot de Mrs. Humphrey lui revint en mémoire: «Dans ma jeunesse, on avait de l'éducation.» Il se mit à rire, nerveusement. Toute son angoisse s'en allait comme une humeur maligne qui s'échappe d'un abcès. Il était déjà prêt à se moquer de ce qui, en somme, n'avait été qu'une mésaventure. Et elle avait raison, la brave Mrs. Humphrey. Il faut être bien mal éduqué pour rentrer chez soi par escalade.

Il se leva et, en boitillant, alla allumer sa lampe de chevet. Il examina les dégâts. Ce n'était pas trop grave. Une légère coupure à l'orteil droit; une écorchure à la main gauche. Plus de peur que de mal. Il revêtit un pyjama sec, après s'être frictionné, et se coucha. Merveilleuse chaleur du lit! Mais s'il avait espéré trouver un prompt sommeil, il s'était bien trompé. La fatigue l'empêchait maintenant de dormir et, agissant comme un alcool, donnait au contraire à ses réflexions une acuité presque douloureuse.

Car il était bien obligé de se demander pourquoi Miss Mary, en pleine nuit, avait rendez-vous avec quelqu'un. Et pourquoi elle lui donnait une valise. Que contenait cette valise?… Y avait-il un lien entre cette étrange sortie et le cambriolage?… Et si les objets volés s'étaient trouvés dans la valise?… D'abord, ce n'était pas précisément une valise, mais plutôt une mallette plate, à peine plus volumineuse qu'un attaché-case. Le petit éléphant, la main, le poignard et les pistolets pouvaient y tenir à l'aise. Mais dans ce cas?…

«Allons, mon vieux Sans-Atout, pensa François va jusqu'au bout. Si tu raisonnes juste, tu dois admettre que le cambriolage de la nuit dernière a été simulé!»

C'était absurde! C'était choquant! Et pourtant… Après tout, c'était la jeune femme qui avait donné l'alarme, qui avait prétendu avoir entendu du bruit. Alors, pourquoi n'aurait-elle pas elle-même découpé la vitre? «Travail d'amateur», avait dit l'inspecteur. Travail hâtif, fait par quelqu'un de pressé. Miss Mary savait bien qu'elle ne courait pas grand risque, puisque c'était elle qui habitait au-dessus du salon; c'était elle seule que le bruit aurait pu réveiller… A partir de cette hypothèse, tout se tenait. Miss Mary, après avoir fracturé la fenêtre pour faire croire qu'on est venu de l'extérieur, emporte les objets qu'elle dissimule dans sa chambre, et donne l'alerte. Les garçons sont persuadés qu'un cambrioleur est en train d'opérer. D'ailleurs, ils entendent même du bruit. Ce n'est qu'un volet qui bat, mais comment Morrisson douterait-il de leur témoignage?

François envoya promener ses couvertures et alla boire un grand verre d'eau. Mais il ne réussit pas à calmer l'agitation de sa pensée. Car la conclusion qui se formait d'elle-même dans son esprit était monstrueuse: Miss Mary était la complice de quelque chose. Mais de quoi? Elle n'avait pu participer au vol du dossier rouge, puisqu'elle se trouvait chez elle quand les documents avaient été emportés: Bob l'avait eue au téléphone. Et les objets qu'elle avait fait passer à l'inconnu, toujours par hypothèse, lui appartenaient déjà, puisqu'elle devait épouser bientôt M. Skinner. Enfin, si l'inconnu était l'homme qui avait blessé l'ingénieur, Miss Mary aurait eu partie liée avec l'agresseur de son futur mari? Cela devenait délirant!

Mais parce que cette idée était délirante, elle commençait à obséder François comme un cauchemar. Il la tournait et la retournait, et sa curiosité était plus forte que sa répugnance. Il sentait qu'il avait découvert quelque chose d'important, et en même temps il avait l'impression de faire fausse route. Le vrai et le faux formaient un nœud inextricable. Etait-elle coupable? Innocente? Et pourquoi pleurait-elle? La faisait-on chanter? Agissait-elle sous la menace de quelque infamante révélation?… Mais, dans ce cas, on aurait exigé d'elle de l'argent. Pas un éléphant? Pas une main de marbre?… A force de formuler des suppositions plus abracadabrantes les unes que les autres, François finit par s'endormir.

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