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– Pas très bien. Elle est au service des grands brûlés. Elle dort, on ne peut pas la voir, ils l'ont mise dans une chambre stérile, au quatrième étage.

– Tu viendras me chercher demain?

Zofia lui tourna le dos et regarda le panneau lumineux où étaient accrochées les radiographies.

– Mathilde, je ne crois pas que je pourrai être là.

– Je ne sais pas pourquoi, mais je m'en doutais un peu. C'est le lot de l'amitié de se réjouir que l'autre rompe un jour son célibat, même quand cela renvoie à sa propre solitude. Nos moments vont rudement me manquer.

– À moi aussi. Je vais partir en voyage, Mathilde.

– Longtemps?

– Oui, assez longtemps.

– Mais tu reviendras quand même?

– Je n'en sais rien.

Les prunelles de Mathilde s'embrumèrent de chagrin.

– Je crois que je comprends. Vis, ma Zofia, l'amour est court, mais les souvenirs durent longtemps.

Zofia prit Mathilde dans ses bras et la serra très fort.

– Tu seras heureuse? demanda Mathilde.

– Je ne sais pas encore.

– On pourra se téléphoner de temps en temps?

– Non, je ne pense pas que cela sera possible.

– C'est si loin que ça l'endroit où il t'emmène?

– Encore plus loin. Je t'en prie, ne pleure pas.

– Je ne pleure pas, c'est cette fumée qui continue à piquer, allez, file d'ici!

– Prends soin de toi, dit Zofia d'une voix douce en s'éloignant.

Elle souleva le rideau et regarda à nouveau son amie, les yeux pleins de tristesse.

– Tu vas pouvoir te débrouiller toute seule?

– Toi aussi, prends soin de toi… pour une fois, dit Mathilde.

Zofia sourit, et le voile blanc retomba.

L'inspecteur Pilguez était au volant, Lucas assis à côté de lui. Le moteur tournait déjà. Zofia monta à l'arrière. Le véhicule quitta l'auvent des urgences et prit la direction de l'autoroute. Personne ne parlait.

Zofia, le cœur trop lourd, revivait quelques souvenirs projetés sur les façades et les carrefours qui défilaient par la fenêtre. Lucas inclina le rétroviseur pour la regarder, Pilguez fit la moue et le remit en place. Lucas patienta quelques secondes et le tourna à nouveau.

– Ça vous dérange que je conduise? râla Pilguez en le remettant dans le bon sens.

Il abaissa le pare-soleil côté passager, ouvrit le miroir de courtoisie et reposa ses mains sur le volant.

La voiture quitta la Highway 101 à la hauteur de South Airport Boulevard. Quelques instants plus tard, Pilguez se rangeait sur le parking du Sheraton.

Le directeur de l'hôtel leur avait réservé une suite au sixième étage, le plus haut. Ils avaient été enregistrés dans l'établissement au nom de Oliver et Mary Sweet. Pilguez avait haussé les épaules en expliquant qu'il n'y avait rien de mieux pour attirer l'attention que les Doe et les Smith. Avant de les laisser, il leur recommanda de ne pas quitter leur chambre et de faire appel au room service pour se restaurer. Il leur donna le numéro de son beeper et les informa qu'il viendrait les chercher le lendemain avant midi.

S'ils s'ennuyaient, ils pourraient commencer la rédaction d'un rapport sur les événements de la semaine, ce serait autant de travail en moins pour lui. Lucas et Zofia le remercièrent suffisamment pour qu'il en soit gêné et il partit, la mine bourrue, agrémentant son «au revoir» de quelques «Ça va, ça va». Il était vingt-deux heures, la porte de la suite se refermait sur eux.

Zofia se rendit à la salle de bains. Lucas s'allongea sur le lit, prit la télécommande et fit défiler les chaînes. Les programmes le firent rapidement bâiller. Il éteignit la télévision. Il entendait l'eau couler derrière la porte, Zofia prenait une douche. Alors, il regarda la pointe de ses chaussures, remit en place le revers de son pantalon, en épousseta les deux genoux et tira sur le pli. Il se leva, ouvrit le minibar, qu'il referma aussitôt, avança près de la fenêtre, souleva le voilage, avisa le parking désert et retourna s'allonger. Il observa sa cage thoracique qui se gonflait et se dégonflait au fur et à mesure des mouvements de sa respiration, soupira, inspecta l'abatjour de la lampe de chevet, déplaça le cendrier légèrement sur la droite et fit coulisser le tiroir de la table de la nuit. Son attention fut attirée par la petite couverture cartonnée de l'ouvrage, gravée au sigle de l'hôtel; il le prit et commença à lire. Les premières lignes le plongèrent dans un effroi absolu. Il continua sa lecture en tournant les pages de plus en plus vite. Au septième feuillet, il se leva hors de lui et alla frapper à la salle de bains.

– Je peux entrer?

– Une seconde, demanda Zofia en enfilant un pelgnoir.

Elle ouvrit et le trouva fulminant, faisant les cent pas au seuil de la porte.

– Qu'est-ce qu'il y a? demanda-t-elle, inquiète.

– Il y a que plus personne ne respecte rien!

Il agita le petit livre qu'il tenait dans la main et poursuivit en désignant la couverture:

– Ce Sheraton a entièrement pompé le livre de Hilton! Et je sais de quoi je parle, c'est mon auteur préféré.

Zofia lui prit l'ouvrage des mains et le lui rendit aussitôt. Elle haussa les épaules:

– C'est la Bible, Lucas!

À son air interrogatif, elle ajouta d'un air désolé: – Laisse tomber!

Elle n'osait pas lui dire qu'elle avait faim, il le devina à la façon dont elle feuilletait le livret du service d'étage.

– Il y a une chose que je voudrais comprendre une bonne fois pour toutes, demanda-t-elle. Pourquoi mettent-ils des horaires devant les menus? Ça sousentend quoi? Que passé dix heures trente le matin ils doivent absolument ranger leurs corn flakes dans un coffre-fort avec une serrure à horodateur qui ne s'ouvrira plus avant le lendemain? C'est bizarre, quand même! Et si tu as envie de céréales à dix heures trente, mais du soir! Et regarde, ils font pareil avec les crêpes! De toute façon, tu n'as qu'à mesurer la longueur du cordon de leur sèche-cheveux dans la salle de bains et tu as tout compris! Celui qui a inventé le système devait être chauve; il faut que tu te colles à dix centimètres du mur pour te réchauffer une mèche.

Lucas la prit dans ses bras et la serra contre lui pour la calmer.

– Tu es en train de devenir exigeante!

Elle regarda autour d'elle et rougit.

– Peut-être!

– Tu as faim!

– Pas du tout!

– Je crois que si!

– Un petit quelque chose à grignoter alors, mais pour te faire plaisir.

– Des Frosties ou des SPecial K?

– Ceux qui font «Snap, Crackle, Pop» quand tu les croques?

– Rice Krispies! Je m'en occupe.

– Sans lait!

– Pas de laitage, accorda Lucas en décrochant le téléphone.

– Mais du sucre, plein de sucre!

– Je m'en occupe aussi!

Il raccrocha et vint s'asseoir à côté d'elle.

– Tu ne t'es rien commandé? dit-elle.

– Non, je n'ai pas faim, répondit Lucas.

Après que le room service eut délivré sa commande, elle prit une serviette-éponge et dressa le couvert sur le lit. À chaque cuillerée avalée, elle en enfournait une dans la bouche de Lucas qui l'acceptait de bonne grâce. Un éclair zébra le ciel dans le lointain. Lucas se leva et ferma les rideaux. Il revint s'allonger près d'elle.

– Demain, je trouverai une solution pour que nous leur échappions, dit Zofia. Il doit bien y avoir un moyen.

– Ne dis rien, murmura Lucas. J'aurais voulu des dimanches fantastiques, vivre des demains avec toi en rêvant qu'il y en aurait plein d'autres, mais il ne nous reste qu'une seule journée, et celle-là, je veux que nous la vivions vraiment.

Le peignoir de Zofia se défit légèrement, il en referma les pans, elle posa ses lèvres sur les siennes et murmura:

– Déchois-moi!

– Non, Zofia, les petites ailes tatouées sur ton épaule te vont trop bien et je ne veux pas que tu les brûles.

– Je veux repartir avec toi.

– Pas comme ça, pas pour ça.

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