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– Ne faites pas ça! Vous êtes en train de tomber dans un piège!

Elle lut l'étonnement qui se mêlait à la colère sur les visages tournés vers elle.

– Ce n'est pas l'échelle qui a causé la chute de Gomez, reprit Zofia en haussant le ton.

– De quoi elle se mêle! cria un docker.

– Ça t'arrangerait bien que ta responsabilité de chef de la sécurité ne soit pas mise en cause! hurla un autre.

– C'est lamentable de dire ça! rétorqua Zofia.

Elle sentit l'agressivité ambiante se retourner contre elle.

– On me reproche en permanence de prendre trop de précautions pour vous, et vous le savez tous très bien!

La rumeur se figea quelques secondes avant qu'un troisieme homme ne reprenne:

– Alors pourquoi est-il tombé, Gomez?

– Pas à cause de l'échelle en tout cas! répondit Zofia en baissant la voix et la tête.

Un conducteur de tracteur s'avança en frappant une barre de fer dans le creux de sa main.

– Tire-toi, Zofia! Tu n'es plus la bienvenue ici.

Elle se sentit soudain menacée par les dockers qui se rapprochaient. Elle fit un pas en arrière et se heurta à l'homme qui se tenait derrière elle.

– Donnant, donnant! chuchota Pilguez à son oreille. Vous m'expliquez à qui sert cette grève, et je vous tire de ce mauvais pas. Je pense que vous avez une petite idée sur la question, et vous n'aurez même pas à me dire qui vous essayez de protéger!

Elle tourna la tête vers lui, Pilguez affichait un sounre narquois.

– L'instinct policier, ma chère, ajouta-t-il en faisant rouler le fusible entre ses doigts.

Il se plaça devant elle et présenta son badge à la foule, qui s'arrêta aussitôt.

– Il est bien probable que la petite dame ait raison, dit-il en savourant le silence qu'il venait d'imposer. Je suis l'inspecteur Pilguez de la brigade criminelle de San Francisco et je vais vous demander de bien vouloir reculer de quelques pas, je suis agoraphobe!

Personne n'obéit et de l'estrade Manca lança:

– Pourquoi êtes-vous là, inspecteur?

– Pour empêcher vos amis de faire une connerie, et de tomber dans un piège, comme dit la demoiselle!

– Et en quoi cela vous regarde? reprit le chef du syndicat.

– Ça, ça me regarde! dit Pilguez en levant le bras, le fusible au bout des doigts.

– Qu'est-ce que c'est? questionna Manca.

– Ce qui aurait dû assurer la continuité de l'éclairage dans la cale où Gomez est tombé!

Tous les visages se tournèrent vers Manca qui haussa le ton.

– On ne voit pas où vous voulez en venir, inspecteur.

– C'est bien ce que je dis, mon vieux, et dans la cale, Gomez non plus ne risquait pas de voir grand-chose.

Le petit cylindre en cuivre dessina une parabole au-dessus de la tête des dockers. Manca le saisit au vol.

– L'accident de votre camarade est dû à un acte de malveillance, poursuivit Pilguez. Ce coupe-circuit est dix fois trop faible, constatez par vous-mêmes.

– Pourquoi on aurait fait ça? demanda une voix anonyme.

– Pour que vous vous mettiez en grève! répondit laconiquement Pilguez.

– Des fusibles, y en a partout sur les bateaux, dit un homme.

– Ce que vous racontez n'a rien à voir avec le rapport de la commission d'enquête! reprit un autre.

– Silence! hurla Manca. Supposons que vous disiez vrai, qui aurait fomenté ce coup?

Pilguez regarda Zofia et soupira avant de répondre au chef du syndicat:

– Disons que cet aspect de la chose n'est pas encore tout à fait élucidé!

– Alors partez d'ici avec vos histoires à dortnir debout, clama un docker en agitant un pied-debiche.

La main du policier descendit lentement vers son holster. L'assemblée menaçante se mouvait vers eux, comme une marée montante qui ne tarderait pas à les submerger. Près de l'estrade, devant un container ouvert, Zofia reconnut celui qui la fixait.

– Moi je connais le commanditaire du crime! La voix posée de Lucas avait saisi les dockers sur place. Tous les visages se tournèrent vers lui. Il repoussa la porte ouverte du container qui grinça sur ses gonds, découvrant à la vue de tous la Jaguar qu'elle cachait. Lucas pointa du doigt le conducteur qui tournait fébrilement la clé du démarreur.

– Il y a de grosses enveloppes pour racheter les terrains sur lesquels vous bossez… après la grève bien entendu. Demandez-lui, c'est l'acheteur!

Heurt enclencha brusquement la marche avant, les pneus patinèrent sur l'asphalte et la voiture de fonction du vice-président de A amp;H commença sa course folle entre les grues pour échapper à la fureur des dockers.

Pilguez ordonna à Manca d'aller retenir ses hommes.

– Dépêchez-vous avant que ça tourne au lynchage!

Le chef du syndicat fit la grimace en se frottant le genou.

– J'ai une arthrite terrible, gemit-il, l’humidité des quais, qu'est-ce que vous voulez c'est le métier qui veut ça!

Il claudiqua en s'éloignant.

– Ne bougez pas de là, tous les deux, grommela Pilguez.

Il abandonna Lucas et Zofia pour courir dans la direction où les dockers s'étaient élancés. Lucas le suivit du regard.

Alors que l'ombre de l'inspecteur se dérobait derrière un tracteur, Lucas avança vers Zofia et prit ses mains dans les siennes. Elle hésita avant de poser sa question.

– Vous n'êtes pas un Vérificateur, n'est-ce pas? dit-elle d'une voix pleine d'espoir.

– Non, je ne sais pas de quoi vous parlez!

– Et vous ne faites pas non plus partie du gouvernement?

– Disons que je travaille pour quelque chose de… comparable. Mais je te dois quand même d'autres explications.

Un fracas de tôle retentit au loin. Lucas et Zofia se regardèrent et coururent tous deux dans la direction d'où le bruit était venu.

– S'ils mettent la main sur lui, je ne donne pas cher de sa peau! dit Lucas en courant à petite foulée.

– Alors priez pour que ça n'arrive pas, répondit Zofia en se hissant à sa hauteur.

– Oh, de toute façon, pour ce qu'elle vaut! reprit Lucas avec deux enjambées d'avance.

Zofia le dépassa à nouveau.

– Vous ne manquez vraiment pas d'air quand même!

– Côté souffle, je suis inépuisable!

Il grimaça en redoublant d'efforts pour reprendre la tête dans la chicane qui se profilait entre deux piles de containers. Zofia accéléra sa course pour l'empêcher de revenir à sa hauteur.

– Ils sont là-bas, dit-elle, hors d'haleine mais toujours en tête.

Lucas sprinta pour la rejoindre. Au loin, une fumée blanche s'échappait de la calandre de la Jaguar empalée sur la fourche d'un chargeur. Zofia inspira profondément pour maintenir son allure.

– Je m'occupe de lui et vous des dockers… dès que vous m'aurez rejointe, dit-elle en donnant une nouvelle impulsion.

Elle contourna la foule compacte qui encerclait la carcasse du véhicule, ne voulant pas se retourner au risque de perdre quelques précieuses secondes. Elle se délectait de la tête que devait faire Lucas dans son dos.

– C'est ridicule, on ne faisait pas la course, à ce que je sache! entendit-elle crier trois foulées en arrière.

L'assistance était silencieuse et contemplait la voiture vide. Un des dockers accourut: le gardien n'avait vu passer personne devant sa guérite, Ed était encore prisonnier des quais et devait certainement se cacher à l'abri d'un container. L'assemblée se dispersa, chacun partant dans une direction, décidé à retrouver le premier le fuyard. Lucas se rapprocha de Zofia.

– Je n'aimerais pas être à sa place!

– On dirait vraiment que ça a l'air de vous ravir! répondit-elle, énervée. Aidez-moi plutôt à le localiser avant eux!

– Je suis un peu à court de souffle là, mais on se demande à qui la faute!

– Mais quelle mauvaise foi! dit Zofia en campant ses mains sur ses hanches. Qui a commencé?

– Vous!

La voix de Jules les interrompit.

– Votre conversation a l'air passionnante, mais si vous pouviez la reprendre un peu plus tard, nous pourrions peut-être sauver une vie. Suivez-moi!

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