La Noue fît un signe au moine, qui s’approcha sur-le-champ.
– Voici un prêtre de votre religion, dit-il au capitaine George; nous ne prétendons point gêner les consciences.
– Moine ou ministre, qu’ils aillent au diable! répondit le blessé.
Le moine et le ministre étaient chacun d’un côté du lit, et semblaient disposés à se disputer le moribond.
– Ce gentilhomme est catholique, dit le moine.
– Mais il est né protestant, dit le ministre; il m’appartient.
– Mais il s’est converti.
– Mais il veut mourir dans la foi de ses pères.
– Confessez-vous, mon fils.
– Dites votre symbole, mon fils.
– N’est-ce pas que vous mourez bon catholique…?
– Écartez cet envoyé de l’Antéchrist! s’écria le ministre, qui se sentait appuyé par la majorité des assistants.
Aussitôt un soldat, huguenot zélé, saisit le moine par le cordon de sa robe, et le repoussa en lui criant:
– Hors d’ici, tonsuré! gibier de potence! Il y a longtemps qu’on ne chante plus de messes à la Rochelle.
– Arrêtez! dit La Noue, si ce gentilhomme veut se confesser, je jure ma parole que personne ne l’en empêchera.
– Grand merci, monsieur de La Noue… dit le mourant d’une voix faible.
– Vous en êtes tous témoins, interrompit le moine, il veut se confesser.
– Non, le diable m’emporte!
– Il revient à la foi de ses ancêtres! s’écria le ministre.
– Non, mille tonnerres! Laissez-moi tous les deux. Suis-je déjà mort, pour que les corbeaux se disputent ma carcasse? Je ne veux ni de vos messes ni de vos psaumes.
– Il blasphème! s’écrièrent à la fois les deux ministres des cultes ennemis.
– Il faut bien croire à quelque chose, dit le capitaine Dietrich avec un flegme imperturbable.
– Je crois… que vous êtes un brave homme, qui me délivrerez de ces harpies… Oui, retirez-vous, et laissez-moi mourir comme un chien.
– Oui, meurs comme un chien! dit le ministre en s’éloignant avec indignation.
Le moine fit le signe de la croix et s’approcha du lit de Béville.
La Noue et Mergy arrêtèrent le ministre.
– Encore un dernier effort, dit Mergy. Ayez pitié de lui, ayez pitié de moi!
– Monsieur, dit La Noue au mourant, croyez-en un vieux soldat, les exhortations d’un homme qui s’est voué à Dieu peuvent adoucir les dernières heures d’un mourant. N’écoutez point les conseils d’une vanité coupable, et ne perdez point votre âme par bravade.
– Monsieur, répondit le capitaine, ce n’est point d’aujourd’hui que j’ai pensé à la mort. Je n’ai besoin des exhortations de personne pour m’y préparer. Je n’ai jamais aimé les bravades, en ce moment moins que jamais. Mais, de par le diable! je n’ai que faire de leurs sornettes.
Le ministre haussa les épaules. La Noue soupira. Tous les deux s’éloignèrent à pas lents et la tête baissée.
– Camarade, dit Dietrich, il faut que vous souffriez diablement pour dire ce que vous dites.
– Oui, capitaine, je souffre diablement.
– Alors j’espère que le bon Dieu ne s’offensera pas de vos paroles, qui ressemblent furieusement à des blasphèmes. Mais quand on a une arquebusade tout au travers du corps, morbleu! il est bien permis de jurer un peu pour se consoler.
George sourit, et reprit la gourde.
– À votre santé, capitaine! Vous êtes le meilleur garde-malade que puisse avoir un soldat blessé.
Et en parlant il lui tendait la main.
Le capitaine Dietrich la serra en donnant quelques signes d’émotion.
– Teufel! murmura-t-il tout bas. Pourtant si mon frère Hennig était catholique, et si je lui avais envoyé une arquebusade dans le ventre!… Voilà donc l’explication de la prophétie de la Mila.
– George, mon camarade, dit Béville d’une voix lamentable, dis-moi donc quelque chose. Nous allons mourir; c’est un terrible moment!… Est-ce que tu penses encore maintenant comme tu pensais quand tu m’as converti à l’athéisme?
– Sans doute; courage! dans quelques moments nous ne souffrirons plus.
– Mais ce moine me parle de feu… de diables… que sais-je, moi?… mais il me semble que tout cela n’est pas rassurant.
– Fadaises!
– Pourtant si cela était vrai?
– Capitaine, je vous lègue ma cuirasse et mon épée; je voudrais avoir quelque chose de mieux à vous offrir pour ce bon vin que vous m’avez donné si généreusement.
– George, mon ami, reprit Béville, ce serait épouvantable si ce qu’il dit était vrai… l’éternité!
– Poltron!
– Oui, poltron… cela est bientôt dit; mais il est permis d’être poltron quand il s’agit de souffrir pour l’éternité.
– Eh bien! confesse-toi.
– Je t’en prie, dis-moi, es-tu sûr qu’il n’y ait point d’enfer?
– Bah!
– Non, réponds-moi; en es-tu bien sûr? Jure-moi ta parole qu’il n’y a point d’enfer.
– Je ne suis sûr de rien. S’il y a un diable, nous verrons s’il est bien noir.
– Comment! tu n’en es pas sûr?
– Confesse-toi, te dis-je.
– Mais tu vas te moquer de moi.
Le capitaine ne put s’empêcher de sourire; puis il dit d’un ton sérieux:
– À ta place, moi, je me confesserais; c’est toujours le plus sûr parti, et, confessé, huilé, on est prêt à tout événement.
– Eh bien je ferai comme tu feras. Confesse-toi d’abord.
– Non.
– Ma foi!… tu diras ce que tu voudras, mais je mourrai en bon catholique. Allons, mon père! faites-moi dire mon Confiteor [72], et soufflez-moi, car je l’ai un peu oublié.
Pendant qu’il se confessait, le capitaine George but encore une gorgée de vin, puis il étendit la tête sur son mauvais oreiller et ferma les yeux. Il fut tranquille pendant près d’un quart d’heure. Alors il serra les lèvres et tressaillit en poussant un long gémissement que lui arrachait la douleur. Mergy, croyant qu’il expirait, poussa un grand cri, et lui souleva la tête. Le capitaine ouvrit aussitôt les yeux.