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X – LA CHASSE

Un grand nombre de dames et de gentilshommes richement habillés, montés sur des chevaux superbes, s’agitaient en tout sens dans la cour du château. Le son des trompes, les cris des chiens, les bruyantes plaisanteries des cavaliers, formaient un vacarme délicieux pour les oreilles d’un chasseur, et exécrable pour toute autre oreille humaine.

Mergy suivit machinalement son frère dans la cour, et, sans savoir comment, il se trouva près de la belle comtesse, déjà masquée et montée sur un andalous fougueux qui frappait la terre du pied et mâchait son mors avec impatience; mais, sur ce cheval qui aurait occupé toute l’attention d’un cavalier ordinaire, elle semblait aussi à son aise qu’assise sur un fauteuil dans son appartement.

Le capitaine s’approcha, sous prétexte de resserrer la gourmette de l’andalous.

– Voici mon frère, dit-il à l’amazone à demi-voix, mais assez haut cependant pour être entendu de Mergy. Traitez doucement le pauvre garçon; il en a dans l’aile depuis un certain jour qu’il vous a vue au Louvre.

– J’ai déjà oublié son nom, répondit-elle assez brusquement. Comment s’appelle-t-il?

– Bernard. Remarquez-vous, Madame, que son écharpe est de la même couleur que vos rubans?

– Sait-il monter à cheval?

– Vous en jugerez.

Il la salua, et courut auprès d’une fille d’honneur de la reine, à laquelle il rendait des soins depuis quelque temps. À demi penché sur l’arçon de sa selle, et la main sur la bride du cheval de la dame, il oublia bientôt son frère et sa belle et fière compagne.

– Vous connaissez donc Comminges, monsieur de Mergy? demanda madame de Turgis.

– Moi, Madame?… fort peu, répondit-il en balbutiant.

– Mais vous lui parliez tout à l’heure!

– C’était pour la première fois.

– Je crois avoir deviné ce que vous lui avez dit.

Et sous son masque, ses yeux semblaient vouloir lire jusqu’au fond de l’âme de Mergy.

Une dame, en abordant la comtesse, interrompit leur entretien, à la grande satisfaction de Mergy, qu’il embarrassait prodigieusement. Toutefois il continua de suivre la comtesse sans trop savoir pourquoi; peut-être espérait-il causer ainsi quelque peine à Comminges, qui l’observait de loin.

On sortit du château. Un cerf fut lancé, et s’enfonça dans les bois; toute la chasse le suivit, et Mergy observa, non sans quelque étonnement, l’adresse de madame de Turgis à manier son cheval, et l’intrépidité avec laquelle elle lui faisait franchir tous les obstacles qui se présentaient sur son passage. Mergy dut à la bonté du barbe qu’il montait de ne pas se séparer d’elle; mais, à sa grande mortification, le comte de Comminges, aussi bien monté que lui, l’accompagnait aussi, et malgré la rapidité d’un galop impétueux, malgré l’attention toute particulière qu’il mettait à la chasse, il parlait souvent à l’amazone, tandis que Mergy enviait en silence sa légèreté, son insouciance, et surtout, son talent de dire des riens agréables, qui, à en juger par le déplaisir qu’il en ressentait, devaient amuser la comtesse. Au reste, les deux rivaux, animés d’une noble émulation, ne trouvaient pas de palissades assez hautes, pas de fossés assez larges pour les arrêter, et vingt fois ils risquèrent de se rompre le cou.

Tout d’un coup la comtesse, se séparant du gros de la chasse, entra dans une allée du bois faisant un angle avec celle où le roi et sa suite s’étaient engagés.

– Que faites-vous? s’écria Comminges; vous perdez la voie; n’entendez-vous point de ce côté les cors et les chiens?

– Eh bien! prenez l’autre allée; qui vous arrête?

Comminges ne répondit rien et la suivit. Mergy fit de même, et, quand ils se furent enfoncés dans l’allée de quelque cent pas, la comtesse ralentit l’allure de son cheval. Comminges à sa droite et Mergy à sa gauche l’imitèrent aussitôt.

– Vous avez là un bon cheval de bataille, monsieur de Mergy, dit Comminges; on ne lui voit pas une goutte de sueur.

– C’est un barbe qu’un Espagnol a vendu à mon frère. Voici la marque d’un coup d’épée qu’il a reçu à Moncontour.

– Avez-vous fait la guerre? demanda la comtesse à Mergy.

– Non, Madame.

– Ainsi, vous n’avez jamais reçu d’arquebusade?

– Non, Madame.

– Ni de coup d’épée?

– Non plus.

Mergy crut s’apercevoir qu’elle souriait. Comminges relevait sa moustache d’un air goguenard.

– Rien ne sied mieux à un jeune gentilhomme, dit-il, qu’une belle blessure; qu’en dites-vous, Madame?

– Oui, si elle est bien gagnée.

– Qu’entendez-vous par bien gagnée?

– Oui, une blessure est glorieuse, gagnée sur un champ de bataille; mais dans un duel ce n’est plus de même; je ne connais rien de plus méprisable.

– Mr de Mergy, je le présume, vous a parlé avant de monter à cheval?

– Non, dit sèchement la comtesse.

Mergy conduisit son cheval auprès de Comminges:

– Monsieur, lui dit-il tout bas, aussitôt que nous aurons rejoint la chasse nous pourrons entrer dans un haut taillis, et là je prouverai, j’espère, que je ne voudrais rien faire pour éviter votre rencontre.

Comminges le regarda d’un air où se peignait un mélange de pitié et de plaisir.

– À la bonne heure, je veux bien vous croire, répondit-il; mais, quand à la proposition que vous me faites, je ne puis l’accepter; nous ne sommes pas des goujats, pour nous battre tout seuls; et nos amis, qui doivent être de la fête, ne nous pardonneraient pas de ne pas les avoir attendus.

– Comme il vous plaira, Monsieur, dit Mergy.

Et il se remit à côté de madame de Turgis, dont le cheval avait pris quelques pas d’avance sur le sien. La comtesse marchait la tête baissée sur sa poitrine et semblait tout entière à ses pensées. Ils arrivèrent tous les trois en silence jusqu’à un carrefour qui terminait l’allée dans laquelle ils s’étaient engagés.

– N’est-ce pas la trompe que nous entendons? demanda Comminges.

– Il me semble que le son vient de ce taillis à notre gauche, dit Mergy.

– Oui, c’est bien le cor; j’en suis sûr maintenant, et même un cor de Bologne. Dieu me damne! si ce n’est pas le cor de mon ami Pompignan. Vous ne sauriez croire, monsieur de Mergy, la différence qu’il y a entre un cor de Bologne et ceux que fabriquent nos misérables artisans de Paris.

– Celui-ci s’entend de loin.

– Et quel son! comme il est nourri! Les chiens en l’entendant oublieraient qu’ils ont couru dix lieues. Tenez, à vrai dire, on ne fait rien de bien qu’en Italie et en Flandre. Que pensez-vous de ce collet à la wallonne? Cela est bienséant pour un costume de chasse; j’ai des collets et des fraises à la confusion pour aller au bal; mais ce collet, tout simple qu’il est, croyez-vous qu’on pourrait le broder à Paris? point. Il me vient de Broda. Si vous voulez, je vous en ferai venir par un de mes amis qui est en Flandre… Mais… (Il s’interrompit par un éclat de rire). Que je suis distrait! mon Dieu! je n’y pensais plus!

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