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La comtesse arrêta son cheval.

– Comminges, la chasse est devant vous, et, à en juger par le cor, le cerf est aux abois.

– Je pense que vous avez raison, belle dame.

– Et ne voulez-vous pas assister au hallali?

– Sans doute; autrement notre réputation de chasseurs et de coureurs est perdue.

– Eh bien! il faut se dépêcher.

– Oui, nos chevaux ont soufflé maintenant. Allons, donnez-nous le signal.

– Moi, je suis fatiguée, je reste, ici. Mr de Mergy me fera compagnie. Allons, partez.

– Mais…

– Mais faut-il vous le dire deux fois? Piquez.

Comminges restait immobile; le rouge lui monta au visage, et il regardait tour à tour Mergy et la comtesse d’un air furieux.

– Madame de Turgis a besoin d’un tête-à-tête, dit-il avec un sourire amer.

La comtesse étendit la main vers le taillis d’où l’on entendait le son du cor, et lui fit du bout des doigts un geste très significatif. Mais Comminges ne paraissait pas encore disposé à laisser le champ libre à son rival.

– Il paraît qu’il faut s’expliquer clairement avec vous. Laissez-nous, monsieur de Comminges, votre présence m’importune! Me comprenez-vous, à présent?

– Parfaitement, Madame, répondit-il en fureur.

Et il ajouta plus bas:

– Mais quant à ce beau mignon de ruelle… il n’aura pas longtemps à vous amuser. Adieu, monsieur de Mergy, au revoir!

Il prononça ces derniers mots avec une emphase particulière, puis, piquant des deux, il partit au galop.

La comtesse arrêta son cheval, qui voulait imiter son compagnon, le remit au pas, et chemina d’abord en silence, levant la tête de temps en temps, et regardant Mergy comme si elle allait lui parler, puis détournant les yeux, honteuse de ne pouvoir trouver une phrase pour entrer en matière.

Mergy se crut obligé de commencer.

– Je suis bien fier, Madame, de la préférence que vous m’avez accordée.

– Monsieur Bernard… savez-vous faire des armes?

– Oui, Madame, répondit-il étonné.

– Mais, je dis bien… très bien?

– Assez bien pour un gentilhomme, et mal sans doute pour un maître d’armes.

– Mais, dans le pays où nous vivons, les gentilshommes sont plus forts sur les armes que les maîtres de profession.

– En effet, j’ai entendu dire que beaucoup d’entre eux perdent dans les salles d’armes un temps qu’ils pourraient mieux employer ailleurs.

– Mieux!

– Oui, sans doute. Ne vaut-il pas mieux causer avec les dames, dit-il en souriant, que de fondre en sueur dans une salle d’escrime?

– Dites-moi, vous êtes-vous battu souvent?

– Jamais, grâce à Dieu, Madame! Mais pourquoi ces questions?

– Apprenez, pour votre gouverne, qu’on ne doit jamais demander à une femme pourquoi elle fait telle ou telle chose; du moins tel est l’usage des gentilshommes bien élevés.

– Je m’y conformerai, dit Mergy en souriant légèrement et s’inclinant sur le cou de son cheval.

– Alors… comment ferez-vous demain?

– Demain?

– Oui; ne faites pas l’étonné.

– Madame…

– Répondez-moi, je sais tout; répondez-moi! s’écria-t-elle en étendant la main vers lui avec un geste de reine.

Le bout de son doigt effleura la manche de Mergy et le fit tressaillir.

– Je ferai de mon mieux, dit-il enfin.

– J’aime votre réponse; elle n’est ni d’un lâche ni d’un spadassin. Mais vous savez que pour votre début vous allez avoir affaire à un homme bien redoutable.

– Que voulez-vous? je serai sans doute fort embarrassé, comme je le suis maintenant, ajouta-t-il en souriant; je n’ai jamais vu que des paysannes, et, pour mon début à la cour, je me trouve en tête-à-tête avec la plus belle dame de la cour de France.

– Parlons sérieusement. Comminges est la meilleure épée de cette cour, si fertile en coupe-jarrets. Il est le roi des raffinés.

– On le dit.

– Eh bien! n’êtes-vous point inquiet?

– Je le répète, je ferai de mon mieux. On ne doit jamais désespérer avec une bonne épée, et surtout avec l’aide de Dieu!…

– L’aide de Dieu!… interrompit-elle d’un air méprisant; n’êtes-vous pas huguenot, monsieur de Mergy?

– Oui, Madame, répondit-il gravement, selon son ordinaire, à pareille question.

– Donc, vous courez plus de risques qu’un autre.

– Et pourquoi?

– Exposer sa vie n’est rien; mais vous exposez plus que votre vie, votre âme.

– Vous raisonnez, Madame, avec les idées de votre religion; les miennes sont plus rassurantes.

– Vous allez jouer un vilain jeu. Une éternité de souffrances sur un coup de dé; et les six sont contre vous!

– Dans tous les cas il en serait de même; car, si je mourais demain catholique, je mourrais en péché mortel.

– Il y a fort à dire, et la différence est grande, s’écria-t-elle, piquée de ce que Mergy lui opposait un argument tiré de sa propre croyance; nos docteurs vous expliqueront…

– Oh! sans doute, car ils expliquent tout, Madame; ils prennent la liberté de changer l’Évangile suivant leurs fantaisies. Par exemple…

– Laissons cela. On ne peut causer un instant avec un huguenot sans qu’il ne vous cite à tout propos les saintes Écritures.

– C’est que nous les lisons, tandis que vos prêtres mêmes ne les connaissent pas. Mais changeons de sujet. Croyez-vous qu’à l’heure qu’il est le cerf soit pris?

– Vous êtes donc bien attaché à votre religion?

– C’est vous qui commencez, Madame.

– Vous la croyez bonne?

– Bien plus, je la crois la meilleure, la seule bonne; sinon j’en changerais.

– Votre frère en a bien changé.

– Il avait ses raisons pour devenir catholique; j’ai les miennes pour rester protestant.

– Ils sont tous obstinés et sourds à la voix de la raison! s’écria-t-elle avec colère.

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