Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Il pleuvra demain, dit Mergy en regardant le ciel.

– Monsieur de Mergy, l’amitié que j’ai pour votre frère et le danger que vous allez courir m’inspirent de l’intérêt pour vous…

Il s’inclina respectueusement.

– Vous autres hérétiques, vous n’avez point foi aux reliques?

Il sourit.

– Et vous vous croiriez souillés en les touchant? continua-t-elle… Vous refuseriez d’en porter, comme nous autres catholiques romains nous avons l’usage de le faire?

– Cet usage nous paraît, à nous autres, au moins inutile.

– Écoutez. Un de mes cousins attacha une fois une relique au cou d’un chien de chasse; puis, à douze pas de distance, il lui tira une arquebusade chargée de chevrotines.

– Et le chien fut tué?

– Pas un plomb ne l’atteignit.

– Voilà qui est admirable! Je voudrais bien avoir une semblable relique.

– Vraiment!… et vous la porteriez?

– Sans doute; puisque la relique défendait un chien, à plus forte raison… Mais un instant, est-il bien sûr qu’un hérétique vaille autant que le chien… d’un catholique, s’entend?

Sans l’écouter, madame de Turgis déboutonna promptement le haut de son corps étroit; elle tira de son sein une petite boîte d’or très plate attachée par un ruban noir.

– Tenez, dit-elle, vous m’avez promis de la porter. Vous me la rendrez un jour.

– Si je le puis, certainement.

– Mais écoutez, vous en aurez soin?… Pas de sacrilège! Vous en aurez le plus grand soin!

– Elle vient de vous, Madame!

Elle lui donna la relique, qu’il prit et passa autour de son cou.

– Un catholique aurait remercié la main qui lui donne ce saint talisman.

Mergy se saisit de sa main et voulut la porter à ses lèvres.

– Non, non, il est trop tard.

– Songez-y bien; peut-être n’aurai-je jamais telle fortune!

– Ôtez mon gant, dit-elle en lui tendant la main.

En ôtant le gant, il crut sentir une légère pression. Il imprima un baiser de feu sur cette belle et blanche main.

– Monsieur Bernard, dit la comtesse d’une voix émue, serez-vous entêté jusqu’à la fin, et n’y a-t-il aucun moyen de vous toucher? Vous convertirez-vous enfin, grâce à moi?

– Mais, je ne sais, répondit-il en riant; priez-moi bien fort et bien longtemps. Ce qu’il y a de sûr, c’est que nulle autre que vous ne me convertira.

– Dites-moi franchement… si une femme… là… qui aurait su…

Elle s’arrêta.

– Qui aurait su?…

– Oui; est-ce que… l’amour, par exemple?… Mais soyez franc! parlez-moi sérieusement.

– Sérieusement?

Et il cherchait à reprendre sa main.

– Oui. Est-ce que l’amour que vous auriez pour une femme d’une autre religion que la vôtre… est-ce que cet amour ne vous ferait pas changer?… Dieu se sert de toute sorte de moyens.

– Et vous voulez que je vous réponde franchement et sérieusement?

– Je l’exige.

Mergy baissa la tête et hésitait à répondre. Dans le fait, il cherchait une réponse évasive. Madame de Turgis lui faisait des avances qu’il ne se souciait pas de rejeter. D’autre part, comme il n’était à la cour que depuis quelques heures, sa conscience de province était terriblement pointilleuse.

– J’entends le hallali! s’écria tout d’un coup la comtesse, sans attendre cette réponse si difficile.

Elle donna un coup de houssine à son cheval, et partit au galop sur-le-champ; Mergy la suivit, mais sans pouvoir en obtenir un regard, une parole.

Ils eurent rejoint la chasse en un instant.

Le cerf s’était d’abord lancé au milieu d’un étang, d’où l’on avait eu quelque peine à le débusquer. Plusieurs cavaliers avaient mis pied à terre, et, s’armant de longues perches, avaient forcé le pauvre animal à reprendre sa course. Mais la fraîcheur de l’eau avait achevé d’épuiser ses forces. Il sortit de l’étang haletant, tirant la langue et courant par bonds irréguliers. Les chiens, au contraire, semblaient redoubler d’ardeur. À peu de distance de l’étang, le cerf, sentant qu’il lui devenait impossible d’échapper par la fuite, parut faire un dernier effort, et, s’acculant contre un gros chêne, il fit bravement tête aux chiens. Les premiers qui l’attaquèrent furent lancés en l’air, éventrés. Un cheval et son cavalier furent culbutés rudement. Hommes, chevaux et chiens, rendus prudents, formaient un grand cercle autour du cerf, mais sans oser en venir à portée de ses andouillers menaçants.

Le roi mit pied à terre avec agilité, et, le couteau de chasse à la main, tourna adroitement derrière le chêne, et d’un revers coupa le jarret du cerf. Le cerf poussa une espèce de sifflement lamentable, et s’abattit aussitôt. À l’instant vingt chiens s’élancent sur lui. Saisi à la gorge, au museau, à la langue, il était tenu immobile. De grosses larmes coulaient de ses yeux.

– Faites approcher les dames! s’écria le roi.

Les dames s’approchèrent; presque toutes étaient descendues de leurs montures.

– Tiens, parpaillot! dit le roi en plongeant son couteau dans le côté du cerf, et il tourna la lame dans la plaie pour l’agrandir.

Le sang jaillit avec force, et couvrit la figure, les mains et les habits du roi.

Parpaillot était un terme de mépris dont les catholiques désignaient souvent les calvinistes. Ce mot et la manière dont il était employé déplurent à plusieurs, tandis qu’il fut reçu par d’autres avec applaudissement.

– Le roi a l’air d’un boucher, dit assez haut, et avec une expression de dégoût, le gendre de l’Amiral, le jeune Téligny.

Des âmes charitables, comme il s’en trouve surtout à la cour, ne manquèrent pas de rapporter la réflexion au monarque, qui ne l’oublia pas.

Après avoir joui du spectacle agréable des chiens dévorant les entrailles du cerf, la cour reprit le chemin de Paris. Pendant la route, Mergy raconta à son frère l’insulte qu’il avait reçue et la provocation qui en avait été la suite. Les conseils et les remontrances étaient inutiles, et le capitaine lui promit de l’accompagner le lendemain.

26
{"b":"100882","o":1}