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«Mais, mes frères, combien y en a-t-il d’entre vous, attaqués ainsi en tierce et en quarte, d’estoc et de taille, qui trouveraient une parade toujours prête à toutes les bottes de l’ennemi? J’ai vu plus d’un champion porté par terre, et alors, s’il n’a pas bien vite recours à la Contrition, il est perdu; et ce dernier moyen, il faut en user plus tôt que plus tard. Vous croyez, vous autres courtisans, qu’un peccavi [40] n’est pas long à dire. Hélas! mes frères, combien de pauvres moribonds veulent dire peccavi, à qui la voix manque sur le pec! et crac! voilà une âme emportée par le diable; l’aille chercher qui voudra.

Le frère Lubin continua encore quelque temps à donner carrière à son éloquence; et, lorsqu’il abandonna la chaire, un amateur de beau langage remarqua que son sermon, qui n’avait duré qu’une heure, contenait trente-sept pointes et d’innombrables traits d’esprit semblables à ceux que je viens de citer. Catholiques et protestants avaient également applaudi au prédicateur, qui demeura longtemps au pied de la chaire, entouré d’une foule empressée qui venait de toutes les parties de l’église pour lui offrir des félicitations.

Pendant le sermon, Mergy avait plusieurs fois demandé où était la comtesse de Turgis; son frère l’avait inutilement cherchée des yeux. Ou la belle comtesse n’était pas dans l’église, ou bien elle se cachait à ses admirateurs dans quelque coin obscur.

– Je voudrais, disait Mergy en sortant, je voudrais que toutes les personnes qui viennent d’assister à cet absurde sermon entendissent sur-le-champ les simples exhortations d’un de nos ministres…

– Voici la comtesse de Turgis, lui dit tout bas le capitaine en lui serrant le bras.

Mergy tourna la tête, et vit passer sous le portail obscur, avec la rapidité de l’éclair, une femme, fort richement parée, et que conduisait par la main un jeune homme blond, mince, fluet, d’une mine efféminée, et dont le costume offrait une négligence peut-être étudiée. La foule s’ouvrait devant eux avec un empressement mêlé de terreur. Ce cavalier était le terrible Comminges.

Mergy eut à peine le temps de jeter un coup d’œil sur la comtesse. Il ne pouvait se rendre compte de ses traits, et cependant ils avaient fait sur lui une grande impression; mais Comminges lui avait mortellement déplu, sans qu’il pût s’expliquer pourquoi. Il s’indignait de voir un homme si faible en apparence et déjà possesseur de tant de renommée.

«Si par hasard, pensa-t-il, la comtesse aimait quelqu’un dans cette foule, cet odieux Comminges le tuerait! Il a juré de tuer tous ceux qu’elle aimera.»

Il mit involontairement la main sur la garde de son épée; mais aussitôt il eut honte de ce transport.

«Que m’importe, après tout? Je ne lui envie pas sa conquête, que d’ailleurs j’ai à peine vue.»

Cependant ces idées lui avaient laissé une impression pénible, et pendant tout le chemin de l’église à la maison du capitaine il garda le silence.

Ils trouvèrent le souper servi. Mergy mangea peu; et, aussitôt que la table fut enlevée, il voulut retourner à son hôtellerie. Le capitaine consentit à le laisser sortir, mais sous la promesse qu’il viendrait le lendemain s’établir définitivement dans sa maison.

Il n’est pas besoin de dire que Mergy trouva chez son frère argent, cheval, etc., et de plus la connaissance du tailleur de la cour et du seul marchand où un gentilhomme, curieux d’être bien vu des dames, pouvait acheter ses gants, ses fraises à la confusion et ses souliers à cric ou à pont levis.

Enfin, la nuit étant tout à fait noire, il retourna à son auberge accompagné de deux laquais de son frère, armés de pistolets et d’épées; car les rues de Paris, après huit heures du soir, étaient alors plus dangereuses que la route de Séville à Grenade ne l’est encore aujourd’hui.

VI – UN CHEF DE PARTI

Bernard de Mergy, de retour dans son humble auberge, jeta tristement les yeux sur son ameublement usé et terni. Quand il compara dans son esprit les murs de sa chambre, autrefois blanchis à la chaux, maintenant enfumés et noircis, avec les brillantes tentures de soie de l’appartement qu’il venait de quitter; quand il se rappela cette jolie madone peinte, et qu’il ne vit sur la muraille devant lui qu’une vieille image de saint, alors une idée assez vile entra dans son âme. Ce luxe, cette élégance, les faveurs des dames, les bonnes grâces du roi, tant de choses désirables enfin, n’avaient coûté à George qu’un seul mot, un seul mot bien facile à prononcer, car il suffisait qu’il partit des lèvres, et l’on n’allait pas interroger le fond des cœurs. Aussitôt se présentèrent à sa mémoire les noms de plusieurs protestants qui, en abjurant leur religion, s’étaient élevés aux honneurs; et, comme le diable se fait arme de tout, la parabole de l’Enfant prodigue revint à son esprit, mais avec cette étrange moralité, que l’on ferait plus de fête à un huguenot converti qu’à un catholique persévérant.

Ces pensées, qui se reproduisaient sous toutes les formes et comme malgré lui, l’obsédaient, tout en lui inspirant du dégoût. Il prit une Bible de Genève, qui avait appartenu à sa mère, et lut pendant quelque temps. Plus calme alors, il posa le livre, et, avant de fermer les yeux, il fit en lui-même le serment de vivre et de mourir dans la religion de ses pères.

Malgré sa lecture et son serment, ses rêves se ressentirent des aventures de la journée. Il rêva de rideaux de soie de pourpre, de vaisselle d’or; puis les tables étaient renversées, les épées brillaient et le sang coulait avec le vin. Puis la madone peinte s’animait; elle sortait de son cadre et dansait devant lui. Il cherchait à fixer ses traits dans sa mémoire, et alors seulement il s’apercevait qu’elle portait un masque noir. Mais ses yeux bleu foncé et ces deux lignes de peau blanche qui perçaient à travers les ouvertures du masque!… Les cordons du masque tombaient, une figure céleste apparaissait, mais sans contours fixes; c’était comme l’image d’une nymphe dans une eau troublée. Involontairement il baissait les yeux, bien vite il les relevait, et ne voyait plus que le terrible Comminges, une épée sanglante à la main.

Il se leva de bonne heure, fit porter chez son frère son léger bagage, et, refusant de visiter avec lui les curiosités de la ville, il se rendit seul à l’hôtel de Châtillon pour présenter à l’Amiral la lettre dont son père l’avait chargé.

Il trouva la cour de l’hôtel encombrée de valets et de chevaux, parmi lesquels il eut de la peine à se frayer un passage jusqu’à une vaste antichambre remplie d’écuyers et de pages, qui, bien qu’ils n’eussent d’autres armes que leurs épées, ne laissaient pas de former une garde imposante autour de l’Amiral. Un huissier en habit noir, jetant les yeux sur le collet de dentelle de Mergy et sur une chaîne d’or que son frère lui avait prêtée, ne fit aucune difficulté de l’introduire sur-le-champ dans la galerie où se trouvait son maître.

Des seigneurs, des gentilshommes, des ministres de l’Évangile, au nombre de plus de quarante personnes, tous debout, la tête découverte et dans une attitude respectueuse, entouraient l’Amiral. Il était très simplement vêtu et tout en noir. Sa taille était haute, mais un peu voûtée, et les fatigues de la guerre avaient imprimé sur son front chauve plus de rides que les années. Une longue barbe blanche tombait sur sa poitrine. Ses joues, naturellement creuses, le paraissaient encore davantage à cause d’une blessure dont la cicatrice enfoncée était à peine cachée par sa longue moustache; à la bataille de Moncontour, un coup de pistolet lui avait percé la joue et cassé plusieurs dents. L’expression de sa physionomie était plutôt triste que sévère, et l’on disait que depuis la mort du brave Dandelot [41] personne ne l’avait vu sourire. Il était debout, la main appuyée sur une table couverte de cartes et de plans, au milieu desquels s’élevait une énorme Bible in-quarto. Des cure-dents épars au milieu des cartes et des papiers rappelaient une habitude dont on le raillait souvent. Assis au bout de la table, un secrétaire paraissait fort occupé à écrire des lettres qu’il donnait ensuite à l’Amiral pour les signer.

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[40] Aveu et repentir de ses péchés devant Dieu.

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