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– Eh bien!… Ah! voici le capitaine! Allons, George, donne-nous un texte de sermon. Le père Lubin s’est engagé à prêcher sur le premier sujet que nous lui fournirons.

– Oui, dit le moine, mais dépêchez-vous, mort de ma vie! car je devrais déjà être en chaire.

– Peste, père Lubin! vous jurez aussi bien que le roi! s’écria le capitaine.

– Je parie qu’il ne jurerait pas dans son sermon, dit Béville.

– Pourquoi pas, si l’envie m’en prenait? répondit hardiment le père Lubin.

– Je parie dix pistoles que vous n’oseriez pas.

– Dix pistoles? Tope!

– Béville, dit le capitaine, je suis de moitié dans ton pari.

– Non, non, repartit celui-ci, je veux gagner tout seul l’argent du beau père; et s’il jure, ma foi! je ne regretterai pas mes dix pistoles: jurements de prédicateur valent bien dix pistoles.

– Et moi, je vous annonce que j’ai déjà gagné, dit le père Lubin; je commence mon sermon par trois jurons. Ah! messieurs les gentilshommes, vous croyez que, parce que vous portez une rapière au côté et une plume au chapeau, vous avez seuls le talent de jurer? Nous allons voir!

En parlant ainsi, il sortait de la sacristie, et dans un instant il fut en chaire. Aussitôt, le plus profond silence régna dans l’assemblée.

Le prédicateur parcourut des yeux la foule qui se pressait autour de sa chaire, comme pour chercher son parieur; et lorsqu’il l’eut découvert, adossé contre un pilier précisément en face de lui, il fronça les sourcils, mit le poing sur la hanche, et du ton d’un homme en colère, commença de la sorte:

«Mes chers frères,

«Par la vertu! par la mort! par le sang!…

Un murmure de surprise et d’indignation interrompit le prédicateur, ou plutôt remplit la pause qu’il laissait à dessein.

«…de Dieu, continua le cordelier d’un ton de nez fort dévot, nous sommes sauvés et délivrés de l’enfer.

Un éclat de rire universel l’interrompit une seconde fois. Béville tira sa bourse de sa ceinture, et la secoua avec affectation devant le prédicateur, avouant ainsi qu’il avait perdu.

«Eh bien! mes frères, continua l’imperturbable frère Lubin, vous voilà bien contents, n’est-ce pas? Nous sommes sauvés et délivrés de l’enfer. Voilà de belles paroles, pensez-vous; nous n’avons plus qu’à nous croiser les bras et à nous réjouir. Nous sommes quittes de ce vilain feu d’enfer. Pour celui du purgatoire, ce n’est que brûlure de chandelle, qui se guérit avec l’onguent d’une douzaine de messes. Sus, mangeons, buvons, allons voir Catin.

«Ah! pécheurs endurcis que vous êtes! voilà sur quoi vous comptez! Or çà, c’est frère Lubin qui vous le dit, vous comptez sans votre hôte.

«Vous croyez donc, messieurs les hérétiques, huguenots huguenolisant, vous croyez donc que c’est pour vous délivrer de l’enfer que notre Sauveur a bien voulu se laisser mettre en croix? Quelque sot! Ah! ah! vraiment oui! c’est pour pareille canaille qu’il aurait versé son précieux sang! C’eût été, révérence parlant, jeter des perles aux pourceaux; et tout au contraire, Notre-Seigneur jetait les pourceaux aux perles: car les perles sont dans la mer, et Notre-Seigneur jeta deux mille pourceaux dans la mer. Et ecce impetu abiit totus grex prœceps in mare. Bon voyage, messieurs les pourceaux, et puissent tous les hérétiques prendre le même chemin!

Ici l’orateur toussa et s’arrêta un moment pour regarder l’assemblée et jouir de l’effet que produisait son éloquence sur les fidèles. Il reprit:

«Ainsi, messieurs les huguenots, convertissez-vous, et faites diligence; autrement… foin de vous! vous n’êtes ni sauvés ni délivrés de l’enfer: donc tournez-moi les talons au prêche, et vive la messe!

«Et vous, mes chers frères les catholiques, vous vous frottez les mains et vous vous léchez les doigts, vous pensant déjà aux faubourgs du paradis. Franchement, mes frères, il y a plus loin de la cour où vous vivez au paradis (même en prenant par la traverse) que de Saint-Lazare à la porte Saint-Denis.

«LA VERTU, LA MORT, LE SANG DE DIEU vous ont sauvés et délivrés de l’enfer… Oui, en vous délivrant du péché originel, d’accord; mais gare à vous si Satan vous rattrape! Et je vous le dis: Circuit quœrens quem devoret.

«Ô mes chers frères! Satan est un escrimeur qui en remontrerait à Grand-Jean, à Jean-Petit et à l’Anglais; et, je vous le dis en vérité, rudes sont les assauts qu’il nous livre!

«Car, aussitôt que nous quittons nos jaquettes pour prendre des hauts-de-chausses, je veux dire dès que nous sommes en âge de pécher mortellement, messire Satan nous appelle sur le Pré-aux-Clercs de la vie. Les armes que nous apportons sont les divins sacrements; lui, il porte tout un arsenal: ce sont nos péchés, armes offensives et défensives à la fois.

«Il me semble le voir entrer en champ clos, la Gourmandise sur le ventre: voilà sa cuirasse; la Paresse lui sert d’éperons; à sa ceinture est la Luxure, c’est un estoc dangereux; l’Envie est sa dague; il porte l’Orgueil sur la tête comme un gendarme son armet [39]; il garde dans sa poche l’Avarice pour s’en servir au besoin; et pour la Colère, avec les injures et tout ce qui s’ensuit, il les tient dans sa bouche: ce qui vous fait voir qu’il est armé jusqu’aux dents.

«Quand Dieu a donné le signal, Satan ne vous dit pas, comme ces duellistes courtois: Mon gentilhomme, êtes-vous en garde? mais il fond sur le chrétien, tête baissée, sans dire gare! Le chrétien, qui s’aperçoit qu’il va recevoir une botte de Gourmandise au milieu de l’estomac, pare avec le Jeûne.

Ici le prédicateur, pour se rendre plus intelligible, décrocha un crucifix et commença à s’en escrimer, poussant des bottes et faisant des parades, comme un maître d’armes ferait avec son fleuret pour démontrer un coup difficile.

«Satan, en se retirant, lui décharge un grand fendant de Colère; puis, faisant une feinte d’Hypocrisie, lui pousse en quarte une botte d’Orgueil. Le chrétien se couvre d’abord avec la Patience, puis il riposte à l’Orgueil avec une botte d’Humilité. Satan, irrité, lui donne d’abord un coup d’estoc de Luxure; mais, le voyant rendu sans effet par une parade de Mortifications, il se jette à corps perdu sur son adversaire, lui donnant à la fois un croc-en-jambe de Paresse et un coup de dague d’Envie, tandis qu’il essaye de lui faire entrer l’Avarice dans le cœur. C’est alors qu’il faut avoir bon pied, bon œil. Par le Travail on se délivre du croc-en-jambe de Paresse, de la dague d’Envie par l’Amour du prochain (parade bien difficile, mes frères); et, quant à la botte d’Avarice, il n’y a que la Charité qui puisse la détourner.

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[39] Casque léger pour les fantassins.

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