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– Pour cela, mon père, je vous remercie. Je n’ai nulle envie de me convertir. Mais comment me connaissez-vous? Quel est votre nom?

– On m’appelle le frère Lubin… et… petit coquin, je vous vois rôder bien souvent autour d’une maison… Chut! Dites-moi, monsieur de Mergy, croyez-vous maintenant qu’un moine puisse faire du bien?

– Je publierai partout votre générosité, père Lubin.

– Vous ne voulez pas quitter le prêche pour la messe?

– Non, encore une fois; et je n’irai jamais à l’église que pour entendre vos sermons.

– Vous êtes homme de goût, à ce qu’il paraît.

– Et de plus votre grand admirateur.

– Ma foi, je suis fâché pour vous que vous vouliez rester dans l’hérésie. Je vous ai prévenu, j’ai fait ce que j’ai pu; il en sera ce qui pourra: pour moi, je m’en lave les mains. Adieu, mon garçon.

– Adieu, mon père.

Mergy remonta sur son cheval et regagna son logis, un peu moulu, mais fort content de s’être tiré à bon marché d’un si mauvais pas.

XX – LES CHEVAU-LÉGERS

Le soir du 24 août, une compagnie de chevau-légers entrait dans Paris par la porte Saint-Antoine. Les bottes et les habits des cavaliers, tout couverts de poussière, annonçaient qu’ils venaient de faire une longue traite. Les dernières lueurs du jour expirant éclairaient les visages basanés de ces soldats; on y pouvait lire cette inquiétude vague qui se fait sentir à l’approche d’un événement que l’on ne connaît point encore, mais que l’on soupçonne être d’une nature funeste.

La troupe se dirigea au petit pas vers un grand espace sans maisons, qui s’étendait près de l’ancien palais des Tournelles. Là le capitaine ordonna de faire halte, puis envoya en reconnaissance une douzaine d’hommes commandés par son cornette, et posta lui-même à l’entrée des rues voisines des sentinelles à qui il fit allumer la mèche, comme en présence de l’ennemi. Après avoir pris cette précaution extraordinaire, il revint devant le front de sa compagnie.

– Sergent! dit-il d’une voix plus dure et plus impérieuse que de coutume.

Un vieux cavalier, dont le chapeau était orné d’un galon d’or, et qui portait une écharpe brodée, s’approcha respectueusement de son chef.

– Tous nos cavaliers sont pourvus de mèches?

– Oui, capitaine.

– Les flasques sont-elles garnies? Y a-t-il des balles en quantité suffisante?

– Oui, capitaine.

– Bien.

Il fit marcher au pas sa jument devant le front de sa petite troupe. Le sergent le suivait à la distance d’une longueur de cheval. Il s’était aperçu de l’humeur de son capitaine, et il hésitait à l’aborder. Enfin il prit courage.

– Capitaine, puis-je permettre aux cavaliers de donner à manger à leurs bêtes? Vous savez qu’elles n’ont pas mangé depuis ce matin.

– Non.

– Une poignée d’avoine? cela serait bien vite fait.

– Que pas un cheval ne soit débridé.

– C’est que si l’on a besoin de les faire travailler cette nuit… comme l’on dit… que peut-être…

L’officier fit un geste d’impatience.

– Retournez à votre poste, dit-il sèchement.

Et il continua de se promener. Le sergent revint au milieu des soldats.

– Eh bien, sergent, est-ce vrai? Que va-t-on faire? qu’y a-t-il? qu’a dit le capitaine?

Une vingtaine de questions lui furent adressées toutes à la fois par de vieux soldats, dont les services et une longue habitude autorisaient cette familiarité à l’égard de leur supérieur.

– Nous allons en voir de belles, dit le sergent du ton capable d’un homme qui en sait plus qu’il n’en dit.

– Comment? comment?

– Il ne faut pas débrider, même pour un instant… car, qui sait? d’un moment à l’autre on peut avoir besoin de nous.

– Ah! est-ce qu’on va se battre? dit le trompette. Et contre qui, s’il vous plaît?

– Contre qui? dit le sergent, répétant la question pour se donner le temps de réfléchir. Parbleu! belle demande! Contre qui veux-tu qu’on se batte, sinon contre les ennemis du roi?

– Oui, mais qu’est-ce que ces ennemis du roi? continua l’opiniâtre questionneur.

– Les ennemis du roi! il ne sait pas qui sont les ennemis du roi!

Et il haussa les épaules de pitié.

– C’est l’Espagnol qui est l’ennemi du roi; mais il ne serait pas venu comme cela en catimini sans qu’on s’en aperçût, observa l’un des cavaliers.

– Bah! reprit un autre; j’en connais bien des ennemis du roi qui ne sont pas Espagnols!

– Bertrand a raison, dit le sergent; et je sais bien de qui il veut parler.

– Et de qui donc enfin?

– Des huguenots, dit Bertrand. Il ne faut pas être sorcier pour s’en apercevoir. Tout le monde sait que les huguenots ont pris leur religion de l’Allemagne; et je suis bien sûr que les Allemands sont nos ennemis, car j’ai fait bien souvent le coup de pistolet contre eux, notamment à Saint-Quentin, où ils se battaient comme des diables.

– Tout cela est bel et bon, dit le trompette; mais la paix a été conclue avec eux, et l’on a sonné assez de fanfares à cette occasion pour qu’il m’en souvienne.

– La preuve qu’ils ne sont pas nos ennemis, dit un jeune cavalier mieux habillé que les autres, c’est que ce sera le comte de La Rochefoucauld qui commandera les chevau-légers dans la guerre que nous allons faire en Flandre; or, qui ne sait que La Rochefoucauld est de la religion? Le diable m’emporte s’il n’en est pas depuis les pieds jusqu’à la tête! Il a des éperons à la Condé, et porte un chapeau à la huguenote.

– Que la peste le crève! s’écria le sergent. Tu ne sais pas cela, toi, Merlin; tu n’étais pas encore avec nous: c’est La Rochefoucauld qui commandait l’embuscade où nous avons manqué de demeurer tous à La Robraye en Poitou. C’est un gaillard qui est tout confit en malices.

– Et il a dit, ajouta Bertrand, qu’une compagnie de reîtres valait mieux qu’un escadron de chevau-légers. J’en suis sûr comme voilà un cheval rouan. Je le tiens d’un page de la reine.

Un mouvement d’indignation se manifesta dans l’auditoire; mais il céda bientôt à la curiosité de savoir contre qui étaient dirigés les préparatifs de guerre et les précautions extraordinaires qu’ils voyaient prendre.

– Est-ce vrai, sergent, demanda le trompette, que l’on a voulu tuer le roi hier?

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