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– Je parie que ce sont ces… d’hérétiques.

– L’aubergiste de la Croix-de-Saint-André, chez qui nous avons déjeuné, dit Bertrand, nous a conté comme cela qu’ils voulaient défaire la messe.

– En ce cas nous ferons gras tous les jours, observa Merlin très philosophiquement; le morceau de petit salé au lieu de la gamelle de fèves! Il n’y a pas là de quoi s’affliger.

– Oui; mais si les huguenots font la loi, la première chose qu’ils feront, ce sera de casser comme verre toutes les compagnies de chevau-légers, pour mettre à la place leurs chiens de reîtres allemands.

– Si cela est ainsi, je leur taillerais volontiers des croupières. Mort de ma vie! cela me rend bon catholique. Dites donc, Bertrand, vous qui avez servi avec les protestants, est-ce vrai que l’Amiral ne donnait que huit sous à ses cavaliers?

– Pas un denier de plus, le vieux ladre vert! Aussi l’ai-je quitté après la première campagne.

– Comme le capitaine est de mauvaise humeur aujourd’hui, dit le trompette. Lui qui d’ordinaire est si bon diable, et qui parle volontiers avec le soldat, il n’a pas desserré les dents tout le long de la route.

– Ce sont ces nouvelles-là qui le chagrinent, répondit le sergent.

– Quelles nouvelles?

– Oui; apparemment ce que veulent faire les huguenots.

– La guerre civile va recommencer, dit Bertrand.

– Tant mieux pour nous, dit Merlin, qui voyait toujours le bon côté des choses; il y aura des coups à donner, des villages à brûler, et des huguenotes à houspiller.

– Il y a de l’apparence qu’ils ont voulu recommencer leur vieille affaire d’Amboise, dit le sergent; c’est pour cela que l’on nous fait venir. Nous y mettrons bon ordre.

Dans ce moment le cornette revint avec son escouade; il s’approcha du capitaine et lui parla bas, tandis que les soldats qui l’avaient accompagné se mêlaient à leurs camarades.

– Par ma barbe! dit un de ceux qui avaient été en reconnaissance, je ne sais ce qui se passe aujourd’hui dans Paris. Nous n’avons pas vu un chat dans la rue; mais, en récompense, la Bastille est pleine de troupes: j’ai vu des piques de Suisses qui foisonnaient dans la cour comme des épis de blé, quoi!

– Il n’y en avait pas plus de cinq cents, répartit un autre.

– Ce qui est certain, dit le premier, c’est que les huguenots ont voulu assassiner le roi, et que l’Amiral a été blessé dans la bagarre de la propre main du grand duc de Guise.

– Ah! le brigand! c’est bien fait! s’écria le sergent.

– Tant il y a, continua le cavalier, que ces Suisses disaient, dans leur diable de baragouin, qu’il y a trop longtemps que l’on souffre les hérétiques en France.

– C’est vrai que depuis un temps ils font bien les fiers, dit Merlin.

– Ne dirait-on pas qu’ils nous ont battus à Jarnac et à Moncontour, tant ils piaffent et font les fendants?

– Ils voudraient, dit le trompette, manger le gigot et ne nous donner que le manche.

– Il est bien temps que les bons catholiques leur donnent un tour de peigne.

– Pour moi, dit le sergent, si le roi me disait: Tue-moi ces coquins-là, que je perde mon baudrier si je me le faisais dire deux fois!

– Belle-Rose, dis-nous donc un peu ce qu’a fait notre cornette? demanda Merlin.

– Il a parlé avec une espèce d’officier des Suisses; mais je n’ai pu entendre ce qu’il disait. Il faut toujours que cela soit curieux, car il s’écriait à tout moment: Ah! mon Dieu! ah! mon Dieu!

– Tiens, voici des cavaliers qui viennent à nous au grand galop; c’est sans doute un ordre que l’on nous apporte.

– Ils ne sont que deux, ce me semble; et le capitaine et le cornette vont à leur rencontre.

Deux cavaliers se dirigeaient rapidement vers la compagnie de chevau-légers. L’un, richement vêtu, et portant un chapeau couvert de plumes et une écharpe verte, montait un cheval de bataille. Son compagnon était un homme gros, court, ramassé dans sa petite taille; il était vêtu d’une robe noire, et portait un grand crucifix de bois.

– On va se battre, sûr, dit le sergent; voici un aumônier qu’on nous envoie pour confesser les blessés.

– Il n’est guère agréable de se battre sans avoir dîné, murmura tout bas Merlin.

Les deux cavaliers ralentirent l’allure de leurs chevaux, de manière qu’en joignant le capitaine ils purent les arrêter sans effort.

– Je baise les mains de Mr de Mergy, dit l’homme à l’écharpe verte. Reconnaît-il son serviteur, Thomas de Maurevel?

Le capitaine ignorait encore le nouveau crime de Maurevel; il ne le connaissait que comme l’assassin du brave de Mouy. Il lui répondit fort seulement:

– Je ne connais point Mr de Maurevel. Je suppose que vous venez nous dire enfin pourquoi nous sommes ici.

– Il s’agit, Monsieur, de sauver notre bon roi et notre sainte religion du péril qui les menace.

– Quel est donc ce péril? demanda George d’un ton de mépris.

– Les huguenots ont conspiré contre Sa Majesté; mais leurs coupables complots ont été découverts à temps, grâce à Dieu, et tous les bons chrétiens doivent se réunir cette nuit pour les exterminer pendant leur sommeil.

– Comme furent exterminés les Madianites par le fort Gédéon, dit l’homme en robe noire.

– Qu’entends-je! s’écria Mergy frémissant d’horreur.

– Les bourgeois sont armés, poursuivit Maurevel; les gardes françaises et trois mille Suisses sont dans la ville. Nous avons près de soixante mille hommes à nous; à onze heures le signal sera donné, et le branle commencera.

– Misérable coupe-jarret! quelle infâme imposture viens-tu nous débiter? Le roi n’ordonne point les assassinats… et tout au plus il les paye.

Mais, en parlant ainsi, George se souvint de l’étrange conversation qu’il avait eue quelques jours auparavant avec le roi.

– Pas d’emportement, monsieur le capitaine; si le service du roi ne réclamait tous mes soins je répondrais à vos injures. Écoutez-moi: je viens, de la part de Sa Majesté, vous requérir de m’accompagner avec votre troupe. Nous sommes chargés de la rue Saint-Antoine et du quartier avoisinant. Je vous apporte une liste exacte des personnes qu’il nous faut expédier. Le révérend père Malebouche va exhorter vos gens, et leur distribuer des croix blanches comme en porteront tous les catholique, afin que, dans l’obscurité, on ne prenne pas des fidèles pour des hérétiques.

– Et je consentirais à prêter mes mains pour massacrer des gens endormis!

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