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– Des huguenots!

– Oui, des huguenots. Est-ce que ça vous fait quelque chose? Il ne faut pas que cela vous ôte l’appétit. Quant à changer de salle pour dîner, je n’en ai qu’une; ainsi vous serez bien obligé de vous en contenter. Bah! le huguenot, cela ne sent pas déjà si mauvais. Au reste, si on ne les brûlait pas, peut-être qu’ils pueraient bien davantage. Il y en avait un tas ce matin sur le sable, un tas aussi haut… quoi! aussi haut que voilà cette cheminée.

– Et vous allez voir ces cadavres?

– Ah! vous me dites cela parce qu’ils étaient nus. Mais des morts, mon révérend, ça ne compte pas; ça ne me faisait pas plus d’effet que si j’avais vu un tas de grenouilles mortes. Il paraît tout de même qu’ils ont joliment travaillé hier à Orléans, car la Loire nous en a furieusement apporté de ce poisson hérétique-là, et, comme les eaux sont basses, on en trouve tous les jours sur le sable qui restent à sec. Même hier, comme le garçon meunier regardait s’il y avait des tanches dans son filet, voilà-t-il pas qu’il trouve dedans une femme morte qui avait un fier coup de hallebarde dans l’estomac. Tenez, ça lui entrait par là et ça sortait entre les épaules. Il aurait mieux aimé trouver une belle carpe, tout de même… Mais qu’avez-vous donc, mon révérend?… Est-ce que vous voulez tomber en pâmoison? Voulez-vous que je vous donne, en attendant votre dîner, un coup de vin de Beaugency? ça vous remettra le cœur au ventre.

– Je vous remercie.

– Eh bien! que voulez-vous pour votre dîner?

– La première chose venue… peu m’importe.

– Quoi, encore? J’ai un garde-manger qui est bien garni, voyez-vous.

– Eh bien! donnez-moi un poulet, et laissez-moi lire mon bréviaire.

– Un poulet! un poulet, mon révérend! ah! bien! en voici d’une bonne! Ce n’est pas sur vos dents que les araignées feront leurs toiles en temps de jeûne. Vous avez donc une dispense du pape pour manger du poulet le vendredi?

– Ah! que je suis distrait!… Oui, sans doute, c’est aujourd’hui vendredi… Vendredi chair ne mangeras. Donnez-moi des œufs. Je vous remercie bien de m’avoir averti à temps pour éviter un si grand péché.

– Voyez donc! dit la cabaretière à demi-voix, ces messieurs, si on ne les avertissait pas, ils vous mangeraient des poulets un jour maigre, et, pour un mauvais morceau de lard qu’ils trouveront dans la soupe d’une pauvre femme, ils feront un bruit à vous faire tourner le sang.

Cela dit, elle s’occupa de préparer ses œufs, et le moine se remit à lire son bréviaire.

– Ave, Maria! ma sœur, dit un autre moine en entrant dans le cabaret, au moment où dame Marguerite tenait la queue de sa poêle et s’apprêtait à retourner une volumineuse omelette.

Le nouveau venu était un beau vieillard à barbe grise, grand, fort et replet; il avait la figure très enluminée; mais ce qui attirait d’abord la vue, c’était un énorme emplâtre qui lui cachait un œil et lui couvrait la moitié de la joue. Il parlait français facilement, mais on distinguait dans son langage un léger accent étranger.

Au moment où il entra, le jeune moine baissa encore davantage son capuchon, de manière à ne pouvoir pas être vu; et ce qui surprit plus encore dame Marguerite, c’est que le moine survenant, qui avait son capuchon levé à cause de la chaleur, se hâta de le baisser aussitôt qu’il eut aperçu son confrère en religion.

– Ma foi! mon père, dit la cabaretière, vous arrivez à propos pour dîner; vous n’attendrez pas, et vous allez vous trouver en pays de connaissance.

Puis s’adressant au jeune moine:

– N’est-ce pas, mon révérend, que vous êtes enchanté de dîner avec sa révérence que voilà? L’odeur de mon omelette vient de l’attirer. Dame, aussi, c’est que je n’y épargne pas le beurre!

Le jeune moine répondit avec timidité et en balbutiant:

– Je craindrais de gêner monsieur.

Le vieux moine dit de son côté, en baissant fort la tête:

– Je suis un pauvre moine alsacien… Je parle mal français… et je crains que ma compagnie ne soit pas agréable à mon confrère.

– Allons donc! dit dame Marguerite, vous feriez des façons? Entre moines, et moines du même ordre, il ne doit y avoir qu’une seule table et un seul lit.

Et, prenant un escabeau, elle le plaça auprès de la table, précisément en face du jeune moine. Le vieux s’y assit de côté, évidemment fort empêché de sa personne; il semblait combattu entre le désir de dîner et une certaine répugnance à se trouver face à face avec un confrère. L’omelette fut servie.

– Allons, mes pères, dépêchez bien vite votre bénédicité, et ensuite vous me direz si mon omelette est bonne.

À ce mot de bénédicité, les deux moines parurent encore plus mal à leur aise. Le plus jeune dit au plus vieux:

– C’est à vous à le dire; vous êtes mon ancien, et cet honneur vous est du.

– Non, pas du tout. Vous étiez ici avant moi, c’est à vous à le dire.

– Non; je vous en prie.

– Je ne le ferai pas certainement.

– Il le faut absolument.

– Vous allez voir, dit dame Marguerite, qu’ils laisseront refroidir mon omelette. A-t-on jamais vu deux franciscains aussi cérémonieux? Que le plus vieux dise le bénédicité, et le plus jeune dira les grâces.

– Je ne sais dire le bénédicité que dans ma langue, dit le vieux moine.

Le jeune parut surpris, et jeta un coup d’œil à la dérobée sur son compagnon. Cependant ce dernier, joignant les mains d’une façon fort dévote, commença à marmotter sous son capuchon quelques paroles que personne n’entendit. Puis il se rassit, et en moins de rien, sans dire une parole, il eut englouti les trois quarts de l’omelette et vidé la bouteille placée en face de lui. Son compagnon, le nez sur son assiette, n’ouvrit la bouche que pour manger. L’omelette achevée, il se leva, joignit les mains, et prononça fort vite et en bredouillant quelques mots latins dont les derniers étaient: Et beata viscera virginis Mariæ. Ce furent les seuls que Marguerite entendit.

– Quelles drôles de grâces, révérence parler, nous dites-vous là, mon père! Il me semble que ce n’est pas comme celles que dit notre curé.

– Ce sont les grâces de notre couvent, dit le jeune franciscain.

– Le bateau va-t-il bientôt venir? demanda l’autre moine.

– Patience! Il s’en faut qu’il soit près d’arriver, répondit dame Marguerite.

Le jeune frère parut contrarié, du moins à en juger par un mouvement de tête qu’il fit. Cependant, il ne hasarda pas la moindre observation; et, prenant son bréviaire, il se mit à lire avec un redoublement d’attention.

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