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– Est-ce que c’est là que nous allons? dit Urbain, en montrant la maison, dont la lune éclairait tous les détails: Qui diable peut loger dans ce joujou? N’importe, entrons, j’ai hâte de voir du feu, il me semble que je nage dans la Bérézina.

– Je ne connais personne dans cette maison, fit Olivier tranquillement.

– Mais alors, fit Urbain impatienté, où me mènes-tu? il n’y a point d’autres maisons. Cette fois je ne vais pas plus loin.

– C’est inutile, dit Olivier, nous sommes arrivés.

– Arrivés… où?

– À la fontaine, dit le poète, tu vas l’entendre chanter…

– Sacrebleu! dit Urbain, te moques-tu de moi? Me faire faire deux lieues, à dix heures du soir, pour me montrer une fontaine gelée, au risque de me faire assassiner avec toi!…

– C’est ici que je venais avec Marie, dit doucement Olivier, dans les beaux jours. Et, étendant sa main vers un immense espace, il ajouta: Voilà les champs et les arbres! Vois-tu, dit-il à Urbain, j’ai regardé de cette place de très beaux soleils couchants; le ciel était en feu derrière le calvaire, on eût dit une copie de Marilhat. Souvent nous allions jusqu’au bois de Boulogne en prenant par ce chemin bordé d’une haie; il y a aussi des acacias blancs, le chemin était tout blanc de fleurs tombées des arbres. C’était pendant l’été alors, maintenant c’est la neige qui blanchit le chemin. Ma pauvre plaine! Je l’ai vue si gaie au mois d’août dernier, il n’y a pas très longtemps, tu vois. C’était un dimanche, un jour de fête aux environs, j’étais couché dans l’herbe, près de ces peupliers, les blés venaient d’être fauchés, on entendait les cigales, et au loin les tambours et les violons de la fête, la fontaine coulait en chantant, et de bonnes odeurs couraient dans l’air comme des fumées d’encens. Marie est venue par ce chemin où il y a un grand noyer, je l’ai aperçue de loin; elle avait une robe blanche et une ombrelle bleue, et son voile flottait au vent; quand elle est arrivée, ses cheveux étaient défaits, elle avait déchiré sa robe aux buissons. Nous sommes restés ensemble jusqu’au soir. Ah! la belle journée! J’ai été bien heureux ce jour-là. Pourquoi me l’as-tu prise? acheva Olivier, qui, pendant ses ressouvenirs, avait oublié Urbain et le trouvait tout à coup devant lui. Non, reprit-il aussitôt, ne te fâche pas, ne parlons plus de cela… Je ne veux me rappeler du passé que les bonnes choses. J’ai voulu revoir cet endroit. C’est bien triste, c’est comme un linceul, les cigales sont mortes et la fontaine est gelée. Mais c’est égal… je suis content d’être venu. Maintenant nous nous en irons si tu veux.

– Si tu veux est joli, pensa Urbain, qui n’eut cependant pas le courage de railler tout haut.

Ils rentrèrent chez eux fort tard. Le tremblement d’Olivier avait redoublé. Urbain fit grand feu dans la cheminée, et comme son ami ne parvenait pas à se réchauffer, le peintre lui proposa de prendre un peu de punch chaud.

– Ah! oui, dit Olivier… oui, je veux bien. Fais vite! Comme cela je dormirai cette nuit, ajouta-t-il, pendant qu’Urbain était allé chercher de l’eau-de-vie.

Ainsi qu’il l’avait espéré, Olivier dormit cette nuit-là. Mais le lendemain il se réveillait avec une fièvre cérébrale. Urbain, effrayé, alla chez le père d’Olivier, qui le reçut très froidement et se borna à lui donner l’adresse de son médecin. Urbain y courut aussitôt, et, l’ayant heureusement trouvé, le ramena auprès d’Olivier. Le médecin fit un mauvais signe de tête, écrivit une prescription, ordonna les plus grands soins, et alla redire au père d’Olivier que son fils était en péril. Laissez-moi son adresse, dit le père au médecin; j’irai le voir. Il se mit en route en effet, mais à moitié du chemin il revint sur ses pas, et envoya seulement savoir de ses nouvelles par la bonne.

– M. Olivier est très mal, vint lui redire la servante. On a été obligé de l’attacher sur son lit; il passe son temps à mordre une grosse poignée de cheveux et crie à faire peur: Marie! Marie!…

– Ah! dit le père, Marie, c’est le nom de cette femme. Mal d’amour… ça n’est pas mortel. Qu’est-ce qui le soigne?

– Un de ses amis, répondit la servante, celui qui est venu ici, il est très inquiet…

Au bout de huit jours Olivier n’allait pas mieux. Urbain vint trouver le père et lui demanda de l’argent. Celui-ci lui en remit un peu, mais avec un air si maussade, qu’Urbain lui dit très sèchement:

– Le médecin ne répond pas de votre fils. En cas de malheur, devrai-je vous prévenir pour l’enterrement, monsieur?

– Sans doute, répondit tranquillement le père.

Lazare et les autres artistes ayant appris la maladie d’Olivier étaient accourus, et se relayaient pour venir auprès de lui la nuit. Urbain était désespéré; il avait raconté au médecin l’histoire d’Olivier et de Marie, la part qu’il y avait eue, et le long désespoir dont son ami avait été atteint quand il s’était trouvé séparé de sa maîtresse.

– Dès qu’il sera un peu mieux, dit le médecin, il faudra le retirer de cette chambre et l’éloigner de tout ce qui pourrait lui rappeler cette femme. Au bout d’une dizaine de jours le délire devint moins fréquent. On transporta Olivier au logement de Lazare, situé près de la maison d’Urbain. Les Buveurs d’eau mirent leur habitation sens dessus dessous pour laisser une chambre libre au malade. Enfin le médecin commença à donner des espérances. D’après les conseils de Lazare, Urbain avait cessé de venir dès l’époque où Olivier avait commencé à retrouver un peu de raison. Quand Olivier, hors de danger, demanda après lui, Lazare répondit qu’Urbain était en voyage. Cependant avec la vie le souvenir de Marie commençait à renaître dans le cœur d’Olivier; mais ce souvenir n’était déjà plus la douleur ni le désespoir, c’était la mélancolie, muse rêveuse et caressante. La convalescence d’Olivier, hâtée par les soins fraternels de ses amis, fut entourée de toutes les distractions qui pouvaient éloigner son cœur d’une rechute. Enfin le jour de la première sortie arriva. C’était au commencement de mars; Lazare et Valentin conduisirent Olivier dans le jardin du Luxembourg. Des chœurs d’oiseaux, perchés dans les arbres verdissants, récitaient le prologue de la saison nouvelle, dont ce beau jour était comme le premier sourire.

En ce moment, à quelques pas du banc où ils étaient assis, un jeune homme passait avec une jeune femme, se tenant par le bras et riant tout haut. Leurs éclats de rire firent tourner la tête à Olivier. Avant que Lazare et Valentin eussent eu le temps de le retenir, il s’était levé de son banc et avait couru après Urbain.

– Olivier! s’écria Urbain en reconnaissant son ancien ami; et sur un signe que lui fit Lazare il ajouta: Je suis arrivé de voyage seulement hier: je devais aller te voir… mais je savais de tes nouvelles.

La compagne d’Urbain s’était retirée un peu à l’écart.

– Et Marie? demanda Olivier, dont le cœur avait tout d’abord tremblé en rencontrant le peintre son ami avec une femme.

– Mais, dit Urbain, j’ai été absent de Paris. D’ailleurs je ne m’en suis point inquiété. J’ai l’oubli prompt. Voici qui doit te le prouver, ajouta Urbain en montrant du doigt la jeune femme qui était avec lui.

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