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Enfin, quand je suis rentré, j’ai trouvé la chambre vide et sur la table cette lettre qu’on lui avait permis d’écrire avant de l’emmener. La voici. Et Urbain tendit à Olivier la lettre de Marie. Elle était écrite sur du papier et avec du crayon à dessin.

«Monsieur Urbain, je vous remercie de vos bontés pour moi; votre hospitalité a prolongé ma liberté de quelques jours. Au moment où je vous écris, on vient m’arrêter sur un mandat du juge d’instruction. Je ne sais pas de quoi l’on peut m’accuser, je vous assure. J’ignorais les affaires de mon mari. Mais, quoi qu’il arrive, j’ai pris mes précautions pour ne point paraître devant la justice… Dans la crainte d’être arrêtée un jour ou l’autre, j’avais sur moi un petit flacon plein de cette eau bleue qui vous servait pour graver…»

– De l’acide sulfurique, dit Urbain. Heureusement il était éventé. Olivier continua à lire la lettre de Marie:

«Je boirai cette eau, qui est du poison, et ça sera fini. Je n’ai pas eu le temps de vous aimer, Urbain, parce que je n’avais pas eu le temps d’oublier Olivier.»

En cet endroit de la lettre, il y avait quelques mots raturés avec de l’encre et non point du crayon, comme l’écriture de la lettre. Cette suppression avait été faite par Urbain; mais Olivier n’en déchiffra pas moins l’alinéa supprimé. Il continua:

«que j’ai aimé pendant si longtemps. Vous lui donnerez mes cheveux, que j’ai coupés le jour où vous m’aviez fait déguiser en homme. MARIE.»

– Urbain, resta confondu en voyant son ami lire presque couramment ce passage, malgré la rature qui le recouvrait.

– Pourquoi as-tu rayé cela? demanda Olivier.

– Je voulais garder les cheveux de Marie, répondit Urbain; je te les donnerai.

– Écoute, dit Olivier, si tu veux me donner cette lettre, nous partagerons les cheveux.

– Oui, répondit Urbain. Écoute le reste… le lendemain du jour où Marie a été arrêtée, j’ai couru au palais de justice, où je connais quelqu’un; c’est là que j’ai appris que Marie avait en effet tenté de se suicider. Mais, comme je te l’ai dit, l’acide qu’elle avait employé était éventé: elle ne mourra pas… Maintenant je vais te dire adieu; après ce qui est arrivé, il est probable que nous ne pouvons plus avoir de relations. J’ai aimé Marie malgré moi, et pour une maîtresse de huit jours, je perds un ami de longue date; j’ai du malheur.

– Pourquoi ne plus nous revoir? dit Olivier avec un sourire mélancolique; et, tendant la main à Urbain, il ajouta: Il faut bien que je te revoie… à qui donc veux-tu que je parle d’ELLE?

Comme Urbain sortait de chez Olivier, le père de celui-ci y rentrait. Resté sur le carré, l’oreille collée à la porte, il avait entendu tout l’entretien des deux jeunes gens. Il se doutait bien que la tentative de suicide faite par son fils avait sa source dans quelque amourette contrariée. Mais en apprenant que sa maîtresse était en état d’arrestation, il craignit que les relations d’Olivier avec cette femme n’eussent des suites compromettantes. Sans aucun préambule conciliateur, il aborda la discussion avec une violente colère, que le calme d’Olivier ne fit qu’irriter. Il fut impitoyable pour son fils, et plus impitoyable encore pour la maîtresse de celui-ci, qu’il traita de femme perdue.

Trahi par cette femme, pour laquelle il avait frappé aux portes de la mort, Olivier ne put l’entendre injurier par son père; celui-ci avait été sans pitié, Olivier fut sans respect. Cette scène horrible se prolongea deux heures. Elle se termina par cette épouvantable accusation que le fils en délire jeta au visage du père en courroux:

– Vous avez été le bourreau de ma mère, morte lentement sous vos colères.

– Malheureux! s’écria son père, en levant sa main, qu’il laissa aussitôt retomber.

– Si je suis sacrilège, que Dieu vous venge! répondit Olivier.

– Retire les affreuses paroles que tu viens de dire, reprit son père.

– Retirez les injures que vous avez jetées à Marie, à une femme malheureuse, mourante peut-être en ce moment.

– Cette femme est une misérable, elle te perdra.

– Ma mère est morte de chagrin, dit Olivier avec un regard sinistre. Encore une fois, si j’ai menti, qu’elle me maudisse, et si je dis vrai qu’elle vous pardonne!

Le père était blanc de fureur; et comme il venait d’apercevoir sur la cheminée, parmi les souvenirs que Marie avait donnés à Olivier, un portrait d’elle au daguerréotype, il le prit et s’écria:

– La voilà donc la créature pour qui tu m’insultes, malheureux!

Et jetant le portrait à terre, il l’écrasa sous son pied.

– Mon père, dit Olivier en se dressant sur son lit et en étendant sa main vers la porte, pas un mot de plus… sortez.

– Pourquoi n’est-ce pas elle que j’ai là sous mon pied? continuait le père en écrasant les morceaux déjà brisés du portrait.

Il n’avait pas achevé, que son fils était debout devant lui, terrible, l’œil hagard, la voix étranglée.

– Mon père, murmura-t-il en paroles hachées par le claquement de ses dents… vous voyez bien cette arme… et il montrait un petit pistolet, dit coup de poing, qu’il venait de décrocher du mur, vous voyez cette arme… je n’ai pas osé m’en servir hier quand je voulais mourir… j’ai préféré le poison, qui ne fait pas de bruit…

– Après? lui dit son père froidement, en portant la main sur les autres souvenirs de Marie.

– Après? continua Olivier… qui armait son pistolet… Si vous dites un mot de plus sur Marie… si vous touchez à ces choses qui lui ont appartenu, eh bien, mon père, je me brûle la cervelle devant vous… et ceux qui vous connaissent diront ceci: «Il avait mis vingt ans à tuer la mère… mais il a tué le fils d’un seul coup.»

Son père le regarda un moment… et saisissant rapidement parmi les souvenirs un petit bouquet de fleurs fanées, il le jeta à terre…

Comme il mettait le pied dessus, Olivier porta le pistolet à son front et lâcha la détente.

On entendit le bruit sec causé par la chute du chien sur la cheminée.

– Oh! malheur! s’écria Olivier en retombant sur son lit la tête entre ses mains… la mort ne veut pas de moi!

Dans une visite domiciliaire faite dans la chambre huit jours auparavant, le pistolet avait été trouvé par son père, qui l’avait déchargé.

Olivier était resté seul. Cinq minutes après sa sortie, son père lui envoyait la servante avec une lettre et un petit rouleau d’argent.

La lettre contenait seulement ces mots: «Voilà cent francs. Sois parti demain.»

– Dites à mon père que je serai parti ce soir, répondit Olivier, et allez me chercher une voiture.

Il jeta au hasard dans une malle ses habits, son linge, tous ses papiers; il ramassa tous les souvenirs de Marie, éparpillés par l’ouragan de la colère paternelle, les enveloppa soigneusement, et ayant fait monter le cocher, il lui fit transporter sa malle dans la voiture.

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