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– Quand je le disais! murmura Maheu. Il y en a toujours là, qui sortent de la terre.

Paul Négrel, neveu de M. Hennebeau, était un garçon de vingt-six ans, mince et joli, avec des cheveux frisés et des moustaches brunes. Son nez pointu, ses yeux vifs, lui donnaient un air de furet aimable, d’une intelligence sceptique, qui se changeait en une autorité cassante, dans ses rapports avec les ouvriers. Il était vêtu comme eux, barbouillé comme eux de charbon; et, pour les réduire au respect, il montrait un courage à se casser les os, passant par les endroits les plus difficiles, toujours le premier sous les éboulements et dans les coups de grisou.

– Nous y sommes, n’est-ce pas? Dansaert, demanda-t-il.

Le maître porion, un Belge à face épaisse, au gros nez sensuel, répondit avec une politesse exagérée:

– Oui, monsieur Négrel… Voici l’homme qu’on a embauché ce matin.

Tous deux s’étaient laissés glisser au milieu de la taille. On fit monter Etienne. L’ingénieur leva sa lampe, le regarda, sans le questionner.

– C’est bon, dit-il enfin. Je n’aime guère qu’on ramasse des inconnus sur les routes… Surtout, ne recommencez pas.

Et il n’écouta point les explications qu’on lui donnait, les nécessités du travail, le désir de remplacer les femmes par des garçons, pour le roulage. Il s’était mis à étudier le toit, pendant que les haveurs reprenaient leurs rivelaines. Tout d’un coup, il s’écria:

– Dites donc, Maheu, est-ce que vous vous fichez du monde!… Vous allez tous y rester, nom d’un chien!

– Oh! c’est solide, répondit tranquillement l’ouvrier.

– Comment! solide!… Mais la roche tasse déjà, et vous plantez des bois à plus de deux mètres, d’un air de regret! Ah! vous êtes bien tous les mêmes, vous vous laisseriez aplatir le crâne, plutôt que de lâcher la veine, pour mettre au boisage le temps voulu!… Je vous prie de m’étayer ça sur-le-champ. Doublez les bois, entendez-vous!

Et, devant le mauvais vouloir des mineurs qui discutaient, en disant qu’ils étaient bons juges de leur sécurité, il s’emporta.

– Allons donc! quand vous aurez la tête broyée, est-ce que c’est vous qui en supporterez les conséquences? Pas du tout! ce sera la Compagnie, qui devra vous faire des pensions, à vous ou à vos femmes… Je vous répète qu’on vous connaît: pour avoir deux berlines de plus le soir, vous donneriez vos peaux.

Maheu, malgré la colère dont il était peu à peu gagné, dit encore posément:

– Si l’on nous payait assez, nous boiserions mieux.

L’ingénieur haussa les épaules, sans répondre. Il avait achevé de descendre le long de la taille, il conclut seulement d’en bas:

– Il vous reste une heure, mettez-vous tous à la besogne; et je vous avertis que le chantier a trois francs d’amende.

Un sourd grognement des haveurs accueillit ces paroles. La force de la hiérarchie les retenait seule, cette hiérarchie militaire qui, du galibot au maître porion, les courbait les uns sous les autres. Chaval et Levaque pourtant eurent un geste furieux, tandis que Maheu les modérait du regard et que Zacharie haussait gouailleusement les épaules. Mais Etienne était peut-être le plus frémissant. Depuis qu’il se trouvait au fond de cet enfer, une révolte lente le soulevait. Il regarda Catherine résignée, l’échine basse. Etait-ce possible qu’on se tuât à une si dure besogne dans ces ténèbres mortelles, et qu’on n’y gagnât même pas les quelques sous du pain quotidien?

Cependant Négrel s’en allait avec Dansaert, qui s’était contenté d’approuver d’un mouvement continu de la tête. Et leurs voix, de nouveau, s’élevèrent: ils venaient de s’arrêter encore, ils examinaient le boisage de la galerie, dont les haveurs avaient l’entretien sur une longueur de dix mètres, en arrière de la taille.

– Quand je vous dis qu’ils se fichent du monde! criait l’ingénieur. Et vous, nom d’un chien! vous ne surveillez donc pas?

– Mais si, mais si, balbutiait le maître porion. On est las de leur répéter les choses.

Négrel appela violemment:

– Maheu! Maheu!

Tous descendirent. Il continuait:

– Voyez ça, est-ce que ça tient?… C’est bâti comme quatre sous. Voilà un chapeau que les moutons ne portent déjà plus, tellement on l’a posé à la hâte… Pardi! je comprends que le raccommodage nous coûte si cher. N’est-ce pas? pourvu que ça dure tant que vous en avez la responsabilité! Et puis tout casse, et la Compagnie est forcée d’avoir une armée de raccommodeurs… Regardez un peu là-bas, c’est un vrai massacre.

Chaval voulut parler, mais il le fit taire.

– Non, je sais ce que vous allez dire encore. Qu’on vous paie davantage, hein? Eh bien! je vous préviens que vous forcerez la Direction à faire une chose: oui, on vous paiera le boisage à part, et l’on réduira proportionnellement le prix de la berline. Nous verrons si vous y gagnerez… En attendant, reboisez-moi ça tout de suite. Je passerai demain.

Et, dans le saisissement causé par sa menace, il s’éloigna. Dansaert, si humble devant lui, resta en arrière quelques secondes, pour dire brutalement aux ouvriers:

– Vous me faites empoigner, vous autres… Ce n’est pas trois francs d’amende que je vous flanquerai, moi! Prenez garde!

Alors, quand il fut parti, Maheu éclata à son tour.

– Nom de Dieu! ce qui n’est pas juste n’est pas juste. Moi, j’aime qu’on soit calme, parce que c’est la seule façon de s’entendre; mais, à la fin, ils vous rendraient enragés… Avez-vous entendu? la berline baissée, et le boisage à part! encore une façon de nous payer moins!… Nom de Dieu de nom de Dieu!

Il cherchait quelqu’un sur qui tomber, lorsqu’il aperçut Catherine et Etienne, les bras ballants.

– Voulez-vous bien me donner des bois! Est-ce que ça vous regarde?… Je vas vous allonger mon pied quelque part.

Etienne alla se charger, sans rancune de cette rudesse, si furieux lui-même contre les chefs, qu’il trouvait les mineurs trop bons enfants.

Du reste, Levaque et Chaval s’étaient soulagés en gros mots. Tous, même Zacharie, boisaient rageusement. Pendant près d’une demi-heure, on n’entendit que le craquement des bois, calés à coups de masse. Ils n’ouvraient plus la bouche, ils soufflaient, s’exaspéraient contre la roche, qu’ils auraient bousculée et remontée d’un renfoncement d’épaules, s’ils l’avaient pu.

– En voilà assez! dit enfin Maheu, brisé de colère et de fatigue. Une heure et demie… Ah! une propre journée, nous n’aurons pas cinquante sous!… Je m’en vais, ça me dégoûte.

Bien qu’il y eût encore une demi-heure de travail, il se rhabilla. Les autres l’imitèrent. La vue seule de la taille les jetait hors d’eux. Comme la herscheuse s’était remise au roulage, ils l’appelèrent en s’irritant de son zèle: si le charbon avait des pieds, il sortirait tout seul. Et les six, leurs outils sous le bras, partirent, ayant à refaire les deux kilomètres, retournant au puits par la route du matin.

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