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Cependant la sœur divine de Turnus l’avertit de venir prendre la place de Lausus: le héros, sur son char qui vole, fend la mêlée. À la vue de ses alliés: «Il est temps, s’écria-t-il, d’arrêter la bataille. Je marcherai, moi seul, contre Pallas; c’est à moi seul que Pallas est dû et je voudrais que son père fût témoin du spectacle.» À ces mots et à cet ordre, ses compagnons lui quittèrent la place sur le champ de bataille.

La retraite des Rutules, ce commandement impérieux avaient étonné le jeune Pallas; il considère, stupéfait, Turnus, promène les yeux sur ce corps énorme, le parcourt de loin tout entier d’un regard farouche et répond à ses paroles superbes: «Ou les dépouilles opimes que je te ravirai ou une mort insigne feront ma gloire. Mon père aime autant l’un que l’autre. Assez de menaces!» Il dit et s’avance au milieu de la plaine. Le sang glacé se retire au cœur des Arcadiens.

Turnus a sauté de son char; il veut combattre à pied et de près. Lorsque, de son haut repaire, un lion a vu debout au loin dans la plaine un taureau qui s’exerçait aux combats, il s’élance: c’est l’image de Turnus accourant. Pallas le croyait à une portée de javelot; il le devance, espérant que la Fortune secondera son audace en cette lutte inégale; et il adresse ces mots au ciel immense: «Par l’hospitalité de mon père, par les tables où, étranger, tu as pris place, je t’en supplie, Alcide, sois favorable à ce que j’entreprends d’énorme. Que Turnus me voie en mourant lui ravir ses armes sanglantes et que ses yeux, avant de s’éteindre, reflètent leur vainqueur!» Alcide a entendu le jeune homme; il étouffe dans son cœur un profond gémissement et verse des larmes vaines. Son Père lui dit ces paroles amicales: «L’heure est marquée pour chaque homme; pour tous le temps de la vie est irréparable et bref. Mais étendre sa renommée par ses actes, c’est l’œuvre de la vertu. Sous les hauts murs de Troie que de fils des dieux tombèrent! Sarpédon, mon propre fils, n’a-t-il pas péri? Sa destinée appelle aussi Turnus; il touche aux dernières limites du temps qui lui est accordé.» Jupiter a ainsi parlé et détourne ses yeux des champs rutules.

Cependant Pallas lance un javelot de toute sa force et tire du fourreau son épée qui jette des éclairs. Le javelot vole, tombe à l’endroit où le haut du bouclier couvre l’épaule, et, s’ouvrant un chemin à travers ses bords, finit par effleurer à peine le grand corps de Turnus. Alors Turnus brandit longtemps contre Pallas un javelot de bois dur que termine un fer acéré, et dit: «Vois si notre trait ne pénètre pas mieux.» À peine avait-il parlé, malgré tant de lames de fer, tant de lames d’airain, tant de couches d’une peau de taureau, dont il est couvert et entouré, la pointe vibrante frappe et perce le milieu du bouclier, traverse l’obstacle de la cuirasse et s’enfonce dans la vaste poitrine de Pallas. Le jeune homme arrache en vain de sa blessure le trait brûlant: son sang et sa vie s’échappent en même temps, par la même voie. Il tombe sur sa blessure; au-dessus de lui ses armes résonnent; mourant, il mord la terre hostile d’une bouche sanglante. Turnus debout près du cadavre s’écria: «Arcadiens, souvenez-vous de mes paroles et rapportez-les à Évandre. Je lui rends son fils tel que son fils l’a mérité. Honneurs du tombeau, consolation de la sépulture, je lui en fais la largesse. Il lui en coûtera cher d’avoir été l’hôte d’Énée.» Cela dit, il a pressé du pied gauche le corps sans vie et arrache l’énorme poids du baudrier où est empreint le crime des Danaïdes: ces jeunes gens égorgés dans leur même nuit nuptiale et les lits de noces sanglants; Clonus, fils d’Euryte, les avait ciselés dans l’épaisseur de l’or. Maintenant Turnus, qui s’en est emparé, triomphe et se réjouit. L’esprit de l’homme ignore le destin et l’avenir; dès que les faveurs de la fortune l’exaltent, il ne connaît plus la mesure. Un temps viendra où Turnus paierait très cher la vie de Pallas, où il détestera le baudrier et le souvenir de ce jour. Cependant un long cortège des compagnons du jeune homme, en gémissant et en pleurant, l’emporte couché sur son bouclier. Ô retour douloureux et si glorieux pour ton père! Ton premier jour de guerre a été le dernier de ta vie. Et pourtant tu laisses derrière toi un entassement de cadavres rutules!

Ce n’est pas la renommée, c’est un messager plus certain qui court annoncer ce malheur à Énée. Ses troupes, lui dit-on, sont en grand danger de périr; il est temps de secourir les Troyens en déroute. L’épée à la main, Énée moissonne tout sur son passage et s’ouvre ardemment avec le fer un large sentier à travers l’armée: c’est toi qu’il cherche, Turnus, toi que ton nouveau meurtre remplit d’orgueil. Pallas, Évandre, toutes ces images sont présentes à ses yeux, et la table où, étranger, il avait été reçu à son arrivée, et leur serrement de mains en signe d’alliance. Il saisit vivants quatre jeunes gens fils de Sulmon et quatre autres qu’Ufens a élevés, afin de les immoler, offrandes funéraires, à l’ombre de Pallas et d’arroser de ce sang captif les flammes du bûcher. Puis, de loin, il avait lancé un furieux javelot à Magus. Celui-ci se baisse adroitement, et le trait, frémissant, passe au-dessus de sa tête. Alors il embrasse les genoux d’Énée et lui dit en suppliant: «Par les mânes de ton père, par Iule qui grandit, ton espoir, je t’en prie, conserve ma vie pour mon fils, pour mon père. J’ai une haute demeure; des talents d’argent ciselé y sont profondément cachés sous la terre; je possède des monceaux d’or travaillé ou brut. Ma mort ne donnera pas la victoire aux Troyens; la vie d’un seul homme ne change pas ainsi les événements.» Il dit; Énée lui répond: «Tous ces talents d’argent et d’or dont tu parles, réserve-les à tes fils. Turnus a le premier aboli ces marchandages en tuant Pallas. C’est ce que pensent les mânes de mon père Anchise et mon fils Iule.» À ces mots il saisit de la main gauche le casque de Magus lui renverse malgré ses prières la tête en arrière et lui plonge dans la gorge son épée jusqu’à la garde. Non loin de là Hémonide, prêtre de Phébus et de Trivia, les tempes ceintes d’un bandeau que retenaient des bandelettes sacrées, resplendissait des pieds à la tête dans ses blancs insignes sacerdotaux. Énée, l’épée au poing, le poursuit dans la plaine, et comme l’autre glisse et tombe, il met le pied sur lui, l’immole et le couvre de sa grande ombre. Serestus rassemble les armes du mort et rapporte sur ses épaules ce trophée pour toi, ô dieu Mars!

Céculus, sorti de la souche de Vulcain, et Umbro, venu de la montagne des Marses, rallient les Rutules. La fureur précipite Énée contre eux. D’un coup de son épée il avait abattu la main gauche d’Anxur et tout l’orbe de son bouclier. Anxur avait prononcé une formule magique; il avait cru à la vertu de cette parole; il élevait ses espérances jusqu’au ciel; et il s’était promis une vieillesse chenue et de longues années. Le fils que la Nymphe Driopé avait donné au silvestre Faunus, Tarquitus, fier de ses armes étincelantes, s’est présenté à la rencontre du héros en furie. Énée, d’un coup de sa javeline d’abord ramenée en arrière, cloue à la fois la cuirasse et le bouclier au poids énorme. Puis il fait tomber à terre cette tête qui le priait en vain et qui s’apprêtait à dire tant de choses! Le tronc encore chaud roule sous son pied et il s’écrie dans sa colère: «Gis maintenant ici, guerrier redoutable! Une mère excellente ne t’ensevelira pas et ne fera pas peser sur ton corps le sépulcre de tes pères. Tu seras abandonné aux oiseaux rapaces ou plongé dans le gouffre de la mer. L’eau t’emportera, et les poissons affamés lécheront tes blessures.»

Sans s’arrêter il poursuit Antée et Lucas aux premiers rangs de l’armée de Turnus, le courageux Numa, le fauve Camers, fils du magnanime Volcens, qui possédait les plus riches domaines de l’Ausonie, et qui régna sur la silencieuse Amyclée. On dit qu’Égéon aux cent bras, aux cent mains, vomissait la flamme par cinquante bouches et cinquante poitrines, quand il tenait tête à la foudre de Jupiter en entrechoquant cinquante boucliers et en dégainant cinquante épées: ainsi, son glaive une fois échauffé par le carnage, Énée sévit dans toute la plaine victorieusement. Le voici même qui marche contre le quadrige et la poitrine de Niphée. À peine ont-ils vu le héros s’avancer à grands pas tout frémissant de rage, les chevaux se retournent d’épouvante et, se ruant en arrière, renversent leur conducteur et entraînent le char vers le rivage.

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