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«De ce jour date une fête en l’honneur du dieu Joyeux, les descendants en ont conservé l’anniversaire. Ce fut d’abord le fondateur Potitius, puis la famille des Pinarii, gardienne du sacrifice à Hercule. Le dieu avait dans ce bois sacré élevé cet autel que nous nommerons toujours «Le plus grand autel» et qui le restera toujours. Et maintenant, jeunesse, pour le sacrifice en l’honneur d’une telle prouesse, ceignez vos cheveux de feuillage, levez vos coupes, invoquez le dieu qui est maintenant le vôtre comme le nôtre et répandez les libations de bon cœur.» Il dit; le peuplier aux deux couleurs a voilé sa chevelure d’une ombre herculéenne en laissant pendre son feuillage; et la coupe sacrée remplit sa main. Tous aussitôt allègrement font des libations sur la table et prient les dieux.

Pendant ce temps, Vesper s’approche dans l’Olympe incliné. Déjà les prêtres et, le premier, Potitius s’avancent ceints de peaux, selon l’usage, des flambeaux à la main. On recommence à manger; le second service apporte des mets agréables; et les autels se couvrent de bassins chargés d’offrandes. Alors les Saliens se rangent pour chanter autour des autels illuminés, les tempes couronnées de peuplier. D’un côté le chœur des jeunes gens, de l’autre celui des vieillards entonnent l’éloge d’Hercule et ses hauts faits: comment il étouffa de sa main ses premiers monstres, les deux serpents de sa marâtre; comment le même héros renversa les villes guerrières de Troie et d’Œchalie; comment il endura mille rudes épreuves sous le roi Eurysthée, par la volonté de l’injuste Junon: «Ô invaincu, tu immoles de ta main les fils de la Nue, à la fois hommes et chevaux, Hylée et Pholus, et le monstre de Crète, et le vaste lion de la roche Némée. C’est toi qui as fait trembler les marais du Styx, le portier de l’Orcus couché sur des os à demi rongés dans son antre sanglant; et aucune race de monstre ne t’a effrayé, pas même Typhée qui brandit ses armes du haut de sa grande taille. Ta raison n’a pas failli quand l’Hydre de Lerne t’a entouré de son armée de têtes. Salut, vrai rejeton de Jupiter, une gloire de plus parmi les dieux. Sois-nous propice et, d’un pied favorable, viens à ce sacrifice en ton honneur!» Ils célèbrent Hercule en chantant ainsi; ils redisent surtout la caverne de Cacus et Cacus respirant du feu. Tout le bois en résonne et l’écho s’en répercute dans les collines.

Ensuite, la cérémonie achevée, tous retournent à la ville. Le roi, alourdi par l’âge, s’appuyait en marchant sur Énée et sur son fils; et la variété de son entretien rendait la route légère. Énée promenait sur tout le paysage des regards complaisants; il en admirait la beauté captivante; il demandait et entendait avec joie l’histoire de ce qui restait du passé. Et le roi Évandre, fondateur de la citadelle romaine, lui disait: «Ces bois, les Faunes et les Nymphes indigènes les occupaient et une race humaine née du tronc dur des chênes: elle n’avait ni règles morales ni culture; elle ne savait ni mettre sous le joug les taureaux, ni amasser des provisions, ni ménager les biens acquis. Mais ils se nourrissaient du fruit des arbres et d’une pénible chasse. Le premier, Saturne vint de l’Olympe éthéré, fuyant la victoire de Jupiter, exilé privé de son royaume. Il rassembla ces hommes indociles et dispersés sur les hautes montagnes, leur donna des lois et choisit le nom de Latium pour le pays où il s’était caché (latuisset) en sûreté. On appelle âge d’or les siècles durant lesquels il fut roi: il gouvernait ainsi les peuples dans la tranquillité et la paix. Mais peu à peu à cet âge en succéda un autre, terne et de métal moins pur, avec la rage de la guerre et la fureur de posséder. Alors une troupe d’Ausonie, des peuples de Sicile survinrent; et la terre de Saturne changea plusieurs fois de nom. Elle eut des rois et l’âpre Thybris à l’énorme corps, en mémoire de qui, plus tard, Italiens, nous avons appelé le fleuve Tibre: la vieille Albula perdit son vrai nom. Chassé de ma patrie, parcourant les mers lointaines, la toute-puissante Fortune et l’inéluctable destinée m’ont fixé ici où me poussaient les ordres redoutables de ma mère, la Nymphe Carmentis et le dieu qui l’inspirait, Apollon.»

Il dit; puis, en avançant, il montre l’autel et la porte que les Romains, en souvenir, ont nommée Carmentale, antique honneur rendu à la nymphe Carmentis, la prophétesse dont les prédictions annoncèrent, les premières, l’avenir des grands Énéades et la gloire de Pallantée; puis il montre le vaste bois sacré que l’impétueux Romulus appela Asyle, et sous la roche glacée le Lupercal ainsi nommé de Pan Lycéen, selon la mode arcadienne. Il leur montre encore le bois sacré d’Argilète, prend le lieu à témoin et raconte la mort (letum) de son hôte, Argus. Puis il les conduit à la roche Tarpéienne et au Capitole, aujourd’hui étincelant d’or, jadis hérissé de ronces et de broussailles. Déjà les pâtres craintifs y éprouvaient une terreur superstitieuse; déjà cette forêt et cette roche les faisaient trembler. «Ce bois, dit-il, cette colline à la verte crête sont habités par un dieu. Lequel? On ne sait. Les Arcadiens croient y avoir vu Jupiter en personne, souvent, secouant de sa droite la noire égide et assemblant les nuages. Tu vois maintenant les ruines dispersées de ces deux fortifications: ce sont les restes de monuments d’autrefois. Celle-ci fut élevée par le divin Janus, celle-là par Saturne. La première s’appelait Janicule; la seconde, Saturnie.»

En parlant ainsi ils s’approchaient de la demeure du pauvre Évandre; et ça et là, ils voyaient de grands troupeaux mugir sur le forum romain et dans le riche quartier des Carènes. Lorsqu’ils arrivèrent à la maison: «Alcide, après sa victoire, dit-il, a franchi ce seuil; ce palais l’a reçu. Prends sur toi, mon hôte, de mépriser les richesses; toi aussi montre-toi digne d’un dieu; entre et sois indulgent à notre pauvreté.» Il dit, et dans son étroite demeure il introduisit le grand Énée et lui offrit pour se coucher un lit de feuillage et la peau d’une ourse de Libye.

La nuit tombe et embrasse la terre de ses sombres ailes. Cependant Vénus, dont l’âme maternelle, justement effrayée, redoute les menaces des Laurentes, émue par l’âpre tumulte de la guerre, s’adresse à Vulcain et, sur la couche d’or de son mari, répand dans ses paroles un divin amour. «Aussi longtemps que les rois argiens ravageaient Pergame condamnée par les destins et des citadelles qui devaient s’écrouler dans les flammes ennemies, je ne t’ai demandé pour les malheureux Troyens ni secours ni armes, rien de toi, mon époux bien-aimé; je n’ai pas voulu te harceler ni te faire travailler en vain, bien que les fils de Priam eussent droit à ma reconnaissance et que les dures épreuves d’Énée m’eussent souvent tiré des larmes. Maintenant, mon fils s’est arrêté sur l’ordre de Jupiter au pays des Rutules; et cette fois en suppliante, je viens demander à ta volonté divine qui m’est sacrée des armes; mère, je t’implore pour mon fils. La fille de Nérée, la femme de Tithon, ont pu te fléchir par leurs larmes. Vois les peuples qui se liguent, les cités qui ont fermé leurs portes et aiguisent le fer contre moi, pour la perte des miens.»

Elle dit, et comme il hésite, elle lui jette autour du cou ses bras de neige et l’enveloppe de sa tiède et molle étreinte. Il se sent tout à coup envahi de la flamme accoutumée; un feu qu’il connaît bien a pénétré ses moelles et couru par ses membres pleins de langueur. Ainsi parfois, quand le tonnerre éclate, le sillon enflammé de l’éclair parcourt les nuages de son étincelante lumière. L’épouse s’en est bien aperçue, heureuse de son adresse, consciente de sa beauté. Alors le dieu, enchaîné par l’éternel amour, lui dit: «Pourquoi chercher si loin des raisons? Ai-je perdu ta confiance, déesse? Si jadis tu avais eu le même souci, il m’eût été permis, même alors, d’armer les Troyens. Ni le Père tout puissant ni les destins ne défendaient que Troie résistât et que Priam survécût encore dix ans. Maintenant si tu prépares la guerre, si c’est là ton intention, tout ce que je puis promettre de travail dans mon art, tout ce que peut donner la fonte du fer et de l’électre, tout ce que mes forges et mes soufflets sont capables de produire, tu l’auras. Cesse de me prier: tu n’as pas à douter de ta force.» Ces mots prononcés, il lui donna les embrassements qu’elle désirait; et, couché sur le sein de son épouse, il fut gagné par un tranquille sommeil qui se répandit dans tout son corps.

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