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Quand ils se retrouvèrent, en face l’un de l’autre, seuls, Monsieur et Madame se regardèrent longtemps, fixement, hostilement, avant d’échanger leurs impressions.

– Pour un joli ratage, tu sais… c’est un joli ratage… exprima Monsieur.

– C’est de ta faute… reprocha aigrement Madame…

– Ah! elle est bonne celle-là…

– Oui, de ta faute… Tu ne t’es occupé de rien… tu n’as fait que rouler de sales boulettes de pain, entre tes gros doigts. On ne pouvait pas te tirer une parole… Ce que tu étais ridicule!… C’est honteux…

– Eh bien, je te conseille de parler… riposta Monsieur… Et ta toilette verte… et tes sourires… et tes gaffes avec Sartorys… C’est moi, peut-être?… Moi aussi, sans doute qui raconte la douleur de Pinggleton… moi qui mange des confitures canaques, moi qui peins des âmes… moi qui suis pédéraste et lilial?…

– Tu n’es même pas capable de l’être!… cria Madame, au comble de l’exaspération…

Ils s’injurièrent longtemps. Et Madame, après avoir rangé l’argenterie et les bouteilles entamées, dans le buffet, prit le parti de se retirer en sa chambre, où elle s’enferma.

Monsieur continua de rôder à travers l’hôtel dans un état d’agitation extrême… Tout d’un coup, m’ayant aperçue dans la salle à manger où je remettais un peu d’ordre, il vint à moi… et me prenant par la taille:

– Célestine, me dit-il… veux-tu être bien gentille avec moi?… Veux-tu me faire un grand, grand plaisir?

– Oui, Monsieur…

– Eh bien, mon enfant, crie-moi, en pleine figure, dix fois, vingt fois, cent fois: «Merde!»

– Ah! Monsieur!… quelle drôle d’idée!… Je n’oserai jamais…

– Ose, Célestine… ose, je t’en supplie!…

Et quand j’eus fait, au milieu de nos rires, ce qu’il me demandait:

– Ah! Célestine, tu ne sais pas le bien, tu ne sais pas la joie immense que tu me procures… Et puis, voir une femme qui ne soit pas une âme… toucher une femme qui ne soit pas un lys!… Embrasse-moi…

Si je m’attendais à celle-là, par exemple!…

Mais, le lendemain, lorsqu’ils lurent dans le Figaro un article où l’on célébrait pompeusement leur dîner, leur élégance, leur goût, leur esprit, leurs relations, ils oublièrent tout, et ne parlèrent plus que de leur grand succès. Et leur âme appareilla vers de plus illustres conquêtes et de plus somptueux snobismes.

– Quelle femme charmante que la comtesse Fergus!… dit Madame, au déjeuner, en finissant les restes.

– Et quelle âme!… appuya Monsieur…

– Et Kimberly… Crois-tu?… en voilà un causeur épatant… et si exquis de manières!…

– On a tort de le blaguer… Après tout, son vice ne regarde personne… nous n’avons rien à y voir…

– Bien sûr…

Indulgente, elle ajouta:

– Ah! s’il fallait éplucher tout le monde!

Et, toute la journée, dans la lingerie, je me suis amusée à évoquer les histoires drôles de cette maison… et la fureur de réclame qui, depuis ce jour-là, prit Madame jusqu’à se prostituer à tous les sales journalistes qui lui promettaient un article sur les livres de son mari, ou un mot sur ses toilettes et sur son salon… et la complaisance de Monsieur qui n’ignorait rien de ces turpitudes et laissait faire. Avec un cynisme admirable, il disait: «C’est toujours moins cher qu’au bureau.» Monsieur, de son côté, était tombé au plus bas degré de l’inconscience et de la vileté. Il appelait cela de la politique de salon, et de la diplomatie mondaine.

Je vais écrire à Paris pour qu’on m’envoie le nouveau volume de mon ancien maître. Mais ce qu’il doit être moche dans le fond!

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