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Te revoici hors de ta chambre, à prendre en sens inverse l'ascenseur, à enfiler les couloirs en direction de la chambre numéro tu ne sais plus combien. Il y a quelque chose d'assez réjouissant, il te semblait, à aller ainsi en plein milieu de la nuit, longeant porte après porte, et savoir qu'une femme vous attend derrière l'une d'elles au bout d'un dédale de couloirs. C'est une scène de très mauvais roman ou de mauvais film, et tu la savoures en mécanicienne professionnelle. On dirait une parodie. Et tu en es le personnage consentant. Tu as pris place dans une sorte de deux chevaux d'auto-école, avec double commande, double pédalier. Les vitesses passent avec des raclements terribles, la marche arrière se distingue à peine de la quatrième, la suspension est abominable et le paysage ne défile pas vite. La conductrice écrase l'accélérateur et le frein des deux pieds en même temps. What a ride.

Et elle a pris avant de t'appeler, te dit-elle, une double dose de somnifères…! Même pas sûr qu'on aura assez de carburant pour faire l'étape… Elle attend par ailleurs dans quatre heures un coup de téléphone important et qu'elle désire confidentiel. Jamais vu une conductrice aussi terrorisée de la route qu'elle a prise. N'a-t-elle jamais roulé que sur autoroute dégagée, en terrain plat, et encore, avec boîte automatique et régulateur de vitesse?… Embrayons.

Il te semblait qu'elle assistait au spectacle de son propre désir effaré. Tu eus même le soupçon qu'elle mimait les bruits du moteur qui s'emballe, comme assis dans un carton on fait vroom vroom et s'imagine aux 24 heures du Mans.

De son corps, que tu revois nu dans la lumière qui filtrait du dehors par les rideaux mal joints, un corps mince, tendu sous tes mains, surgit dans ton souvenir l'éclat fixe de ses yeux posés sur toi sans relâche, sans abandon. Elle s'était comme absentée de son corps qu'elle te laissait et qui à tes sollicitations, investigations réagissait sensiblement mais comme automatiquement. Tu eus la tentation de lui bander les yeux, mais réfléchis que c'était là lui demander comme un désarmement unilatéral. Pour ne plus voir ses yeux, tu t'étendis sur elle, entre ses jambes qu'elle referma instantanément autour de toi, et cachas ton visage dans sa chevelure.

Puis tu commenças à t'ennuyer. Tu avais la tentation presque irrésistible de penser à autre chose. Tu t'étonnais d'être condamnée à passer cette nuit absurde dans les bras d'une poupée mécanique dont chacune de tes oscillations semblait remonter le ressort, qui ne te lâchait pas mais ne t'émouvait pas et que tu désespérais d'émouvoir. On roulait en descente en cinquième polonaise, et à la vitesse grisante de ces transports, les défaillances de la suspension, loin de vous donner du ressort, vous secouaient. Bad trip. Et quel point d'honneur imbécile t'interdisait de t'arracher de ses bras et de la planter là pour aller retrouver ton lit à toi où tu ne te regarderais ni dormir, ni rêver?

Tu sais que tu t'endormis. Mais que plus tard, filtrant à travers ton sommeil, une inquiétude te réveilla dans un sursaut. C'était, en ouvrant les yeux, la voir te regarder, voir son visage penché sur toi et qui te regardait tandis que tu dormais. L'insomnie plutôt que ça.

Tu lui demandas ce qu'elle faisait. Elle te répondit qu'elle te regardait dormir. Tu jetas un coup d'œil subreptice à ta montre. Dans trente minutes les deux réveils qu'elle avait disposés à sonner l'alarme se déclencheraient, signalant l'heure convenue de ton départ. Se souvenait-elle seulement de l'échéance qu'elle avait si impérativement posée, fait promettre de respecter et qui sifflerait la fin de partie? Tu lui demandas si elle avait l'habitude d'ainsi regarder dormir les gens qui partageaient son lit. Elle dit que non.

Il y a un blanc dans ton souvenir qui s'étend jusqu'à l'instant où elle prit ta main et l'amena contre son ventre. Tu la laisses disposer de ta main, curieuse de découvrir jusqu'où elle la voudrait mener. Plus curieuse encore de ce que tu la vis fermer les yeux quand elle l'eut abandonnée sur son sexe. Tes doigts glissant selon la pente naturelle en écartent les lèvres, tu en sens la moiteur ombreuse et palpitante. Ses paupières tressaillirent mais demeuraient fermées, et encore lorsqu'ils en forcent l'entrée et s'en retirent pour aller s'égarer parmi les reliefs de sa chair. Tu l'écoutais, prenant soin de ne pas presser son plaisir. Rompant le rythme dont tu pressens qu'il la rapproche trop près de jouir, glissant d'une caresse à une autre sans lui laisser le loisir de s'y fixer avec certitude. Tu t'étonnais qu'elle te laissât ainsi la décevoir, et que son corps parvienne à suivre tous les détours que tu prenais. A quel moment s'emparerait-elle de ta main pour la forcer, la contraindre à conclure, la fixer dans sa chair et d'un coup de reins se délivrer de l'insoutenable fuite du plaisir?

Mais c'est le temps de la remémoration qui à présent te presse de conclure.

Le réveil a sonné. Tu te souviens avoir interrompu ta caresse inachevée. Tu te souviens de la surprise de E* et lui avoir rappelé la promesse qu'elle avait exigée de toi. Tu te souviens t'être rhabillée, avoir retracé ton chemin par les couloirs encore déserts. S'est évanoui du souvenir ce qu'alors tu n'as pu manquer penser de cette nuit dont la froideur contrainte, la cruauté paradoxale et la vaine inquiétude aujourd'hui t'étonnent.

[Nuit 3]

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