A peine le président fut-il arrivé, que la marquise et sa sœur lui demandèrent des nouvelles de son aventure.
– Ce n’est rien, dit le marquis en suivant les intentions de son beau-frère, c’est une bande de coquins qu’on réduira tôt ou tard, il s’agira de savoir ce que le président voudra sur cela, chacun de nous se fera un plaisir de concourir à ses vues.
Et comme d’Olincourt s’était hâté de prévenir tout bas des succès et du désir qu’avait le président qu’ils restassent dans l’oubli, la conversation changea et l’on ne parla plus des revenants de Téroze.
Le président témoigna toute son inquiétude à sa petite femme et plus encore l’extrême chagrin qu’il avait, que cette maudite incommodité dût reculer encore l’instant de son bonheur. Et comme il était tard, on soupa et fut se coucher ce jour-là sans qu’il arrivât rien d’extraordinaire.
M. de Fontanis qui, en bon robin, augmentait la somme de ses bonnes qualités d’un penchant extrême pour les femmes, ne vit pas sans quelque velléité la jeune Lucile dans le cercle de la marquise d’Olincourt; il commença par s’informer de son confident La Brie, quelle était cette jeune personne, et celui-ci lui ayant répondu de manière à nourrir l’amour qu’il voyait naître au cœur du magistrat, lui persuada d’aller en avant.
– C’est une fille de qualité, répondit le perfide confident, mais qui n’est pourtant pas à l’abri d’une proposition d’amour d’un homme de votre espèce; monsieur le président, continua le jeune fourbe, vous êtes l’effroi des pères et la terreur des maris, et quelques projets de sagesse qu’un individu femelle ait pu faire, il est bien difficile de vous tenir rigueur. Figure à part, et n’y eût-il que l’état, quelle femme peut résister aux attraits d’un homme de justice, cette grande robe noire, ce bonnet carré, croyez-vous que tout cela ne séduise pas?
– Il est certain qu’on se défend difficilement de nous, nous avons un certain homme à nos ordres qui fut toujours l’effroi des vertus… enfin tu crois donc, La Brie, que si je disais un mot…
– On se rendrait, n’en doutez pas.
– Mais il faudrait me garder le silence, tu sens bien que dans la situation où je me trouve, il est important pour moi de ne pas débuter avec ma femme par une infidélité.
– Oh, monsieur, vous la mettriez au désespoir, elle vous est si tendrement attachée.
– Oui, crois-tu qu’elle m’aime un peu?
– Elle vous adore, monsieur, et ce serait un meurtre que de la tromper.
– Cependant tu crois que de l’autre côté?…
– Vos affaires s’avanceront infailliblement si vous le voulez, il n’est question que d’agir.
– Oh, mon cher La Brie, tu me combles d’aise, quel plaisir de mener deux affaires de front et de tromper deux femmes à la fois! tromper, mon ami, tromper, quelle volupté pour un homme de robe!
En conséquence de ces encouragements, Fontanis se pare, s’ajuste, oublie les coups de fouet dont il est déchiré et tout en mijotant sa femme qui ne cesse de garder son lit, il dirige ses batteries sur la rusée Lucile qui l’écoutant d’abord avec pudeur, lui fait insensiblement plus beau jeu.
Il y avait environ quatre jours que ce petit manège durait sans qu’on eût l’air de s’en apercevoir, lorsqu’on reçut au château des avis des gazettes et des mercures, invitant tous les astronomes à observer la nuit suivante le passage de Vénus sous le signe du Capricorne .
– Oh, parbleu, l’événement est singulier, dit le président en connaisseur aussitôt qu’il eût lu cette nouvelle, je ne me serais jamais attendu à ce phénomène: j’ai comme vous le savez, mesdames, quelques teintures de cette science, j’ai même fait un ouvrage en six volumes sur les satellites de Mars .
– Sur les satellites de Mars, dit la marquise en souriant, ils ne vous sont pourtant pas très favorables, président, je suis étonnée que vous ayez choisi cette matière.
– Toujours badine, charmante marquise, je vois bien qu’on n’a pas gardé mon secret, quoi qu’il en soit je suis très curieux de l’événement qu’on nous annonce… et avez-vous un endroit ici, marquis, où nous puissions aller observer la trajectoire de cette planète?
– Assurément, répondit le marquis, n’ai-je pas au-dessus de mon colombier un observatoire très en forme: vous y trouverez d’excellentes lunettes, des quarts de cercle, des compas, tout ce qui caractérise en un mot l’atelier d’un astronome.
– Vous êtes donc un peu du métier!
– Pas un mot, mais on a des yeux comme un autre, on trouve des gens de l’art et l’on est bien aise d’être instruit par eux.
– Eh bien, je me ferai un plaisir de vous donner quelques leçons, en six semaines je vous apprends à connaître la terre mieux que Descartes ou Copernic.
Cependant l’heure arrive de se transporter à l’observatoire: le président était désolé de ce que l’incommodité de sa femme allait le priver du plaisir de faire le savant devant elle, sans se douter, le pauvre diable, que c’était elle qui allait jouer le premier rôle dans cette singulière comédie.
Quoique les ballons ne fussent pas encore publiés, ils étaient déjà connus en 1779 et l’habile physicien qui devait exécuter celui dont il va être question, plus savant qu’aucun de ceux qui le suivirent, eut le bon esprit d’admirer comme les autres et de ne dire mot quand des intrus arrivèrent pour lui ravir sa découverte; au milieu d’un aérostat parfaitement bien fait devait s’élever, à l’heure prescrite, Mlle de Téroze dans les bras du comte d’Elbène et cette scène vue de très loin et seulement éclairée d’une flamme artificielle et légère, était assez adroitement représentée pour en imposer à un sot comme le président qui n’avait même de sa vie lu un ouvrage sur la science dont il se parait.
Toute la compagnie arrive sur le sommet de la tour, on s’arme de lunettes, le ballon part.
– Apercevez-vous? se dit-on mutuellement.
– Pas encore.
– Si fait, je vois.
– Non, ce n’est pas cela.
– Je vous demande pardon, à gauche, à gauche, fixez-vous vers l’orient.
– Ah! je le tiens, s’écrie le président tout enthousiasmé, je le tiens, mes amis, dirigez-vous sur moi… un peu plus près de Mercure, pas si loin que Mars, très au-dessous de l’ellipse de Saturne, là, ah, grand Dieu, que c’est beau!
– Je vois comme vous, président, dit le marquis, c’est en vérité une chose superbe, apercevez-vous la conjonction?
– Je la tiens au bout de ma lunette.
Et le ballon passant en ce moment au-dessus de la tour:
– Eh bien, dit le marquis, les avis que nous avons reçus ont-ils tort, et ne voilà-t-il pas Vénus au-dessus du Capricorne ?
– Rien de plus sûr, dit le président, c’est le plus beau spectacle que j’ai vu de ma vie.
– Qui sait, dit le marquis, si vous serez toujours obligé de monter si haut pour le voir à votre aise.
– Ah! marquis, que vos plaisanteries sont hors de propos dans un si beau moment…
Et le ballon se perdant alors dans l’obscurité, chacun descendit fort content du phénomène allégorique que l’art venait de prêter à la nature.
– En vérité, je suis désolé que vous ne soyez pas venue partager avec nous le plaisir que nous a donné cet événement, dit M. de Fontanis à sa femme qu’il retrouva au lit en rentrant, il est impossible de rien voir de plus beau.
– Je le crois, dit la jeune femme, mais on m’a dit qu’il y avait à cela tout plein de choses immodestes que dans le fond, je ne suis nullement fâchée de n’avoir point vues.
– Immodestes, dit le président en ricanant avec tout plein de grâces… eh, point du tout, c’est une conjonction, y a-t-il rien de plus dans la nature? C’est ce que je voudrais bien qui se passât enfin entre nous, et ce qui se fera quand vous voudrez; mais dites-moi là, en bonne conscience, souveraine directrice de mes pensées… n’est-ce pas assez faire languir votre esclave et ne lui accorderez-vous pas bientôt la récompense de ses peines?
– Hélas, mon ange, lui dit amoureusement sa jeune épouse, croyez que j’en ai pour le moins autant d’empressement que vous, mais vous voyez mon état… et vous le voyez sans le plaindre, cruel, quoiqu’il soit absolument votre ouvrage: moins de tourment pour ce qui vous intéresse, et je m’en porterais beaucoup mieux.
Le président était aux nues de s’entendre cajoler de la sorte, il se pavanait, il se redressait, jamais robin, pas même ceux qui viennent de pendre, n’avait encore eu le cou si roide. Mais comme avec tout cela les obstacles se multipliaient du côté de Mlle de Téroze, et que de celui de Lucile on faisait au contraire le plus beau jeu du monde, Fontanis ne balança point à préférer les myrtes fleuris de l’amour aux roses tardives de l’hymen; l’une ne peut pas me fuir, se disait-il, je l’aurai toujours quand je voudrai, mais l’autre n’est peut-être ici que pour un instant, il faut se presser d’en tirer parti; et d’après ces principes, Fontanis ne perdait aucune des occasions qui pouvait avancer ses affaires.