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Dorci, un peu revenu du premier choc de son abattement, fit tout au monde, et par lui-même et par ses amis, pour sauver son misérable frère; on le plaignit, mais on ne l’écouta point. On lui refusa même la satisfaction d’embrasser ce malheureux ami, et, dans un état difficile à peindre, il quitta Rouen le propre jour de l’exécution du mortel de l’univers qui lui fût le plus précieux et le plus sacré, et que lui-même traînait à l’échafaud; il revint un instant dans sa terre, mais avec le projet de la quitter bientôt pour toujours.

Annette n’avait que trop appris quelle victime s’immolait à la place de celle qui possédait ses vœux. Elle osa paraître au château de Dorci, elle y vint avec son père; tous deux se précipitent aux pieds de leur bienfaiteur, et frappant la terre de leur front, ils supplient le comte de faire aussitôt couler leur sang en dédommagement de celui qu’il a répandu pour les servir; s’il ne veut pas se faire cette justice, ils le conjurent de leur permettre d’user au moins leurs jours à le servir sans gages.

Le comte, aussi prudent au sein de l’infortune que bienfaisant dans la prospérité, mais dont le cœur endurci par l’excès de ses maux ne peut plus comme autrefois s’ouvrir au sentiment qui lui coûte aussi cher, ordonne au bûcheron et à sa fille de se retirer, et leur souhaite de jouir tous deux, aussi longtemps qu’il leur sera possible, d’un bienfait qui lui enlève pour toujours l’honneur et le repos. Ces malheureux n’osèrent répliquer, ils disparurent.

Le comte laissa de son vivant ses biens à ses plus proches héritiers, sous la seule charge d’une pension de mille écus qu’il fut manger dans une retraite impénétrable aux yeux des hommes, où il mourut, au bout de quinze ans d’une vie sombre et triste, dont tous les instants furent marqués par des actes de désespoir et de misanthropie.

1788

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