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– En voilà assez, dit le chef, je l’ai dit, donnons-lui l’exemple de la pitié et de la bienfaisance; si le coquin nous tenait, il nous ferait écarteler; nous en sommes les maîtres, tenons-l’en quitte pour cette correction fraternelle et qu’il apprenne à notre école que ce n’est pas toujours en assassinant les hommes qu’on parvient à les rendre meilleurs; il n’a eu que cinq cents coups de fouet, et je parie contre qui voudra que le voilà revenu de ses injustices et qu’il va faire à l’avenir un des magistrats le plus intègre de sa compagnie; qu’on le dégage et continuons nos opérations.

– Ouf, s’écria le président dès qu’il vit ses bourreaux partis, je vois bien que si nous portons le flambeau sur les actions d’autrui, si nous cherchons à les développer pour avoir le charme de les punir, je vois bien qu’on nous le rend aussitôt; et qui donc a pu dire à ces gens-là tout ce que j’ai fait, comment est-il qu’ils soient si bien instruits de ma conduite?

Quoi qu’il en soit, Fontanis se rajuste comme il peut, mais à peine avait-il remis son habit qu’il entend des cris épouvantables du côté par où les revenants étaient sortis de sa chambre; il prête l’oreille, il reconnaît la voix du marquis qui l’appelle de toute sa force au secours.

– Que le diable m’emporte si je bouge, dit le président éreinté, que ces coquins-là l’étrillent comme moi s’ils veulent, je ne m’en mêle pas, chacun a assez de ses propres querelles sans se mêler de celles des autres.

Cependant le bruit redouble, et d’Olincourt entre enfin dans la chambre de Fontanis, suivi de ses deux valets jetant tous trois les hauts cris comme si l’on les eût égorgés: tous les trois paraissaient ensanglantés, l’un avait le bras en écharpe, l’autre un bandeau sur le front et l’on eût juré à les voir pâles, échevelés, sanglants comme ils l’étaient, qu’ils venaient de se battre contre une légion de diables échappée de l’enfer.

– Oh, mon ami, quel assaut, s’écrie d’Olincourt, j’ai cru que nous y serions étranglés tous les trois.

– Je vous défie d’être plus malmenés que moi, dit le président en montrant ses reins tout meurtris, regardez comme ils m’ont traité.

– Oh, par ma foi, mon ami, dit le colonel, vous voilà pour le coup au cas d’une belle et bonne plainte, vous n’ignorez pas l’intérêt puissant que vos confrères ont pris de tous les siècles à des culs fouettés; faites assembler les chambres, mon ami, trouvez quelque avocat célèbre qui veuille bien exercer son éloquence en faveur de vos fesses molestées: usant de l’artifice ingénieux par lequel un orateur ancien émouvait l’aréopage en découvrant aux yeux de la cour la gorge superbe de la beauté pour laquelle il plaidait, que votre Démosthène découvre ces intéressantes fesses à l’instant le plus pathétique du plaidoyer, qu’elles attendrissent l’auditoire; rappelez surtout aux juges de Paris devant lesquels vous allez être obligé de comparaître, cette aventure fameuse de 1769, où leur cœur bien plus ému de compassion pour le derrière flagellé d’une raccrocheuse que pour le peuple dont ils se disent les pères et qu’ils laissent pourtant mourir de faim, les détermina à faire un procès criminel à un jeune militaire qui revenant de sacrifier ses plus belles années au service de son prince, ne trouva d’autres lauriers au retour que l’humiliation préparée par la main des plus grands ennemis de cette patrie qu’il venait de défendre… Allons, cher camarade d’infortune, pressons-nous, partons, il n’y a point de sûreté pour nous dans ce maudit château, courons à la vengeance, volons implorer l’équité des protecteurs de l’ordre public, des défenseurs de l’opprimé et des colonnes de l’État.

– Je ne peux pas me soutenir, dit le président, et dussent ces maudits coquins me peler comme une pomme encore une fois, je vous prie de me faire donner un lit, et de m’y laisser tranquille au moins vingt-quatre heures.

– Vous n’y pensez pas, mon ami, vous serez étranglé.

– Soit, ce ne sera jamais qu’un rendu et les remords se réveillent avec tant de force maintenant dans mon cœur, que je regarderai comme un ordre du ciel tous les malheurs qu’il lui plaira de m’envoyer.

Comme le train était entièrement cessé, et que d’Olincourt s’aperçut que réellement le pauvre Provençal avait besoin d’un peu de repos, il fit appeler maître Pierre et lui demanda s’il y avait à craindre que ces coquins revinssent encore la nuit suivante.

– Non, monsieur, répondit le fermier, les voilà maintenant tranquilles pour huit ou dix jours et vous pouvez vous reposer en toute sûreté.

On conduisit le président éclopé dans une chambre où il se coucha et reposa comme il put une bonne douzaine d’heures; il y était encore lorsqu’il se sentit tout à coup mouillé dans son lit; il lève les yeux, il voit le plancher percé de mille trous de chacun desquels découle une fontaine dont il court le risque d’être inondé s’il ne décampe au plus vite; il se jette promptement tout nu dans les salles d’en bas, où il trouve le colonel et maître Pierre oubliant leur chagrin autour d’un pâté et d’un rempart de bouteilles de vin de Bourgogne; leur premier mouvement fut de rire en voyant accourir Fontanis à eux dans un costume aussi indécent; il leur conta ses nouveaux chagrins, on l’obligea de se placer à table sans lui donner le temps de mettre sa culotte qu’il tenait toujours sous son bras à la manière des peuples du Pégu. Le président se mit à boire et trouva la consolation de ses maux au fond de la troisième bouteille de vin; comme on avait encore deux heures de plus qu’il ne fallait pour retourner à d’Olincourt, les chevaux se préparèrent et l’on partit.

– Voilà une fière école, marquis, que vous m’avez fait faire là, dit le Provençal dès qu’il se vit en selle.

– Ce ne sera pas la dernière, mon ami, répondit d’Olincourt, l’homme est né pour faire des écoles, et les gens de robe surtout, c’est sous l’hermine que la bêtise érigea son temple, elle ne respire en paix que dans vos tribunaux; mais enfin, quoi que vous en puissiez dire, fallait-il laisser ce château sans s’éclaircir de ce qui s’y passait?

– En sommes-nous plus avancés pour l’avoir su?

– Assurément, nous pouvons maintenant asseoir nos plaintes avec plus de raison.

– Des plaintes, que le diable m’emporte si j’en fais, je garderai ce que j’ai pour moi, et vous m’obligerez infiniment de n’en parler à personne.

– Mon ami, vous n’êtes pas conséquent, si c’est un ridicule que de faire des plaintes quand on est molesté, pourquoi les mendiez-vous, pourquoi les excitez-vous sans cesse? Eh quoi! vous qui êtes un des plus grands ennemis du crime vous voulez le laisser impuni quand il est aussi constaté? n’est-ce pas un des plus sublimes axiomes de jurisprudence qu’à supposer même que la partie lésée donne son désistement, il revient encore une satisfaction à la justice, n’est-elle donc pas visiblement violée dans ce qui vient de vous arriver et devez-vous lui refuser l’encens légitime qu’elle exige?

– Autant qu’il vous plaira, mais je ne dirai mot.

– Et la dot de votre femme?

– J’attendrai tout de l’équité du baron, et je le chargerai seul du soin de nettoyer cette affaire-là.

– Il ne s’en mêlera point.

– Eh bien, nous mangerons des croûtes.

– Le brave homme! Vous serez cause que votre femme vous maudira, qu’elle se repentira toute la vie d’avoir lié son sort à un poltron de votre espèce.

– Oh, en fait de remords, nous en aurons bien je crois chacun notre part, mais pourquoi voulez-vous que je me plaigne à présent quand vous en étiez si loin tantôt?

– Je ne connaissais pas ce dont il était question: tant que j’ai cru pouvoir vaincre sans le secours de personne, je choisis ce parti comme le plus honnête et maintenant que je trouve essentiel d’appeler à nous l’appui des lois, je vous le propose, qu’y a-t-il donc d’inconséquent dans ma conduite?

– A merveille, à merveille, dit Fontanis en descendant de cheval parce qu’on arrivait à d’Olincourt, mais ne disons mot je vous conjure, voilà la seule grâce que je vous demande.

Quoiqu’on n’eût été que deux jours absent, il y avait bien du nouveau chez la marquise; Mlle de Téroze était dans son lit, une indisposition prétendue causée par l’inquiétude, par le chagrin de savoir son mari exposé, la retenait couchée depuis vingt-quatre heures: une baigneuse intéressante, vingt aunes de gaze autour de sa tête et de son col… une pâleur tout à fait touchante, en la rendant cent fois plus belle encore, ranima tous les feux du président dont la fustigation passive qu’il venait de recevoir enflammait encore mieux le physique. Delgatz était auprès du lit de la malade, et prévint tout bas Fontanis de ne pas même avoir l’air du désir dans la douloureuse situation où se trouvait sa femme; l’instant critique était venu dans le temps des règles, il ne s’agissait rien moins que d’une perte.

– Ventrebleu, dit le président, il faut que je sois bien malheureux, je viens de me faire étriller pour cette femme; mais étriller magistralement, et l’on me prive encore du plaisir de m’en dédommager avec elle.

Au reste la société du château se trouvait augmentée de trois personnages dont il est essentiel de rendre compte. M. et Mme de Totteville, gens à leur aise des environs, venaient d’y amener Mlle Lucile de Totteville, leur fille, petite brune éveillée d’environ dix-huit ans et qui ne le cédait en rien aux attraits langoureux de Mlle de Téroze; afin de ne pas faire languir plus longtemps le lecteur, nous lui apprendrons tout de suite ce qu’étaient ces trois nouveaux personnages qu’on avait trouvé à propos d’introduire sur la scène pour en reculer le dénouement ou pour l’amener plus sûrement aux fins proposées. Totteville était un de ces chevaliers de Saint-Louis ruinés qui traînant leur ordre dans la boue pour quelques dîners ou pour quelques écus, acceptent indifféremment tous les rôles qu’on a dessein de leur faire jouer; sa femme supposée était une vieille aventurière dans un autre genre, qui ne se trouvant plus d’âge à trafiquer de ses attraits, se dédommage en commerçant de ceux des autres; pour la belle princesse qui passait pour leur appartenir, tenant à une telle famille, on imagine aisément de quelle classe elle sortait: écolière de Paphos dès son enfance, elle avait déjà ruiné trois ou quatre fermiers généraux, et c’était en raison de son art et de ses attraits que l’on l’avait spécialement adoptée; cependant chacun de ces personnages choisi dans ce que leur classe offrait de mieux, bien stylé, parfaitement instruit, et possédant ce qu’on appelle le vernis du bon ton, soutenait au mieux ce qu’on attendait de lui, et il était difficile en les voyant ainsi mêlés à des hommes et à des femmes de bonne compagnie, de ne pas les en croire également.

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