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- N'ouvre pas cette fenêtre, Sibylla! Attention que le cierge ne s'éteigne pas!

Il se mit à cogner sur la porte.

Elle se retourna et regarda le chandelier. La flamme de la bougie vacillait sous le courant d'air.

Elle se pencha. En dessous d'elle se trouvaient les marches du perron et si, contre toute attente, elle parvenait à éviter d'aller cogner contre la rambarde en fer, elle s'écraserait sans doute sur les dalles.

- Ferme la fenêtre, Sibylla! dit-il d'une voix impérieuse.

Elle la laissa ouverte et avança vers la commode. Le répit que lui procurait cette porte fermée à clé lui permit de reprendre ses esprits.

Attention que le cierge ne s'éteigne pas.

À côté du chandelier en argent se trouvaient deux bougies de la même taille que celle qui était allumée, mais entourées de plastique, et non loin de là, quatre autres, du genre de celles utilisées dans les cimetières, elles aussi dans de petits récipients en plastique.

De quoi brûler pendant environ soixante heures.

Elle prit la bible et l'ouvrit à la première page. À l'intérieur de la couverture, quelqu'un avait écrit ces lignes qu'elle parcourut rapidement:

Car l'amour est aussi fort que la mort

son désir aussi indomptable que le royaume des morts

sa flamme est telle celle du feu,

car c'est la flamme du Seigneur.

Elle comprit soudain que c'était maintenant elle qui avait le dessus. Cette flamme allait être son arme.

Elle entendit quelque chose racler dans la serrure. Elle reposa la bible et se dépêcha de refermer la fenêtre.

- Si vous entrez, j'éteins le cierge, s'écria-t-elle.

L'espagnolette reprit sa place initiale et le bruit dans la serrure s'arrêta.

- Cela brûle depuis qu'il est mort, n'est-ce pas?

Elle n'obtint pas de réponse, mais elle n'en avait pas besoin. Telle la flamme olympique, il avait maintenu ce cierge allumé en souvenir de l'être qu'il aimait.

Elle venait de se procurer un nouveau répit.

Mais que pouvait-elle en faire?

Elle regarda autour d'elle.

Mis à part le lit et la commode, la pièce était vide. Le sol était recouvert d'une moquette de couleur brune sur laquelle étaient posés trois tapis de lirette dépareillés. Elle regarda le lit. Le drap serait peut-être assez long pour lui permettre d'atteindre le sol. Mais ensuite? Il n'aurait pas de mal à la rattraper.

Elle alla soulever le chandelier. Prudemment, sachant que le fait de maintenir cette flamme allumée était sa meilleure assurance vie.

- Vous pouvez entrer, s'écria-t-elle.

- Mais, pour ça, il faut m'ouvrir la porte.

Elle hésita un instant.

- Comptez jusqu'à trois avant d'entrer. Sinon, j'éteins le cierge.

Il ne répondit pas. La moquette rendit ses pas inaudibles. Elle tourna la clé dans la serrure et recula vivement.

Au bout de trois secondes, la poignée s'abaissa.

Ils se retrouvèrent face à face, avec ce cierge allumé entre eux.

La colère se lisait dans ses yeux. Il tendait devant lui sa main meurtrie et elle suivit son regard dans cette direction.

Ses doigts étaient profondément entaillés et l'auriculaire semblait totalement sectionné.

Ni l'un ni l'autre ne dit quoi que ce soit. La flamme était la seule chose qui bougeait dans la pièce.

- Pourquoi fais-tu ça? finit-il par demander. Qu'est-ce que tu crois que tu vas y gagner?

- Appelez la police, dit-elle.

Il secoua la tête. Non pas tant pour refuser que pour lui faire comprendre à quel point il était fâché.

- Tu ne comprends donc pas que c'était écrit, tout ça? Nous avons été élus pour cela, toi et moi. On n'y peut rien... Pose ce cierge.

Elle pouffa en signe de refus et ce souffle fit vaciller la flamme. Cela lui fit comprendre à quel point l'avantage qu'elle avait sur lui était fragile et, tout à coup, la panique s'empara à nouveau d'elle.

Peut-être le vit-il sur elle, peut-être en sentit-il l'odeur. Mais un sourire vint éclairer son visage.

- Nous sommes pareils, toi et moi. J'ai lu tout ce qui a été écrit sur toi, dans le journal.

Comment faire pour sortir de cette pièce?

- Ils ont posé des questions à une de tes anciennes camarades de classe, tu n'as pas lu ça?

Si elle mettait les pieds dehors, la flamme s'éteindrait. Elle ne pouvait jouir de ce répit que tant qu'elle restait à l'intérieur.

- J'étais un solitaire, moi aussi.

- Où est le téléphone?

- Dès la première année d'école, cela se voyait que je n'étais pas comme les autres. C'était évident pour tous les gens...

- Faites demi-tour et descendez, sinon je souffle.

Son sourire se figea mais il ne bougea pas.

- Et après, Sibylla? dit-il posément. Qu'est-ce que tu feras, après?

Il s'écoula une éternité et, au moment où elle pensait que son cœur allait éclater à force de battre, il se retourna enfin. Il sortit lentement dans le couloir et elle le suivit, à quelques mètres de distance, tentant vainement de dissimuler sa respiration haletante. Une marche à la fois. Ils descendirent l'escalier en une sorte de défilé de la Sainte-Lucie inversé, dans lequel celle qui portait la flamme ne venait pas en tête. Elle la protégeait avec la main et il tendait toujours la sienne, ensanglantée, devant lui. Elle avait les jambes qui tremblaient. Elle tenta de penser à ce qui allait se passer. Devait-elle le laisser téléphoner? Ne serait-il pas mieux qu'elle le fasse elle-même? Il ne restait plus que quatre marches. Une fois en bas, il s'arrêta.

- Continuez.

Il fit ce qu'elle lui disait et entra dans la cuisine. Le chandelier était lourd. Elle n'arrivait plus à le tenir aussi haut. Elle l'abaissa lentement et, en même temps, posa le pied sur le sol du hall.

Elle ne le vit plus.

- Placez-vous dans l'embrasure de la porte!

Rien ne bougea dans la cuisine. Elle changea de main.

- Je vais souffler!

Mais elle comprit qu'il avait saisi, aussi bien qu'elle, la vanité de cette menace. Que faire, alors?

Elle passa la tête à l'intérieur de la pièce qui se trouvait à sa gauche. Un canapé et une table basse. Et la même moquette que dans la chambre, à l'étage. La porte de l'atelier était entrouverte. Elle fit un pas dans la pièce. Le poids du chandelier la força à s'en saisir à deux mains.

- Avancez, pour que je vous voie, s'écria-t-elle.

Elle ne vit pas de téléphone. Elle se dirigea vers l'atelier. Aucun bruit en provenance de la cuisine. Une fois le seuil franchi, elle ferma rapidement la porte derrière elle.

L'appareil était posé sur la table ronde qui se trouvait au centre. C'était un modèle Cobra, en forme de serpent dressé, couvert de taches de peinture de toutes les couleurs.

Mais il fallait le saisir à deux mains, puisque le cadran était placé en dessous.

Sans lâcher du regard la porte de la cuisine, elle posa prudemment le chandelier, souleva l'appareil et passa ses doigts tremblants sur le cadran. Elle avait peur au point d'avoir mal.

Elle était si près du but et pourtant si loin aussi.

C'est alors qu'il se jeta sur elle.

La porte de la salle de séjour s'ouvrit brutalement, elle perçut un cri, mais, avant qu'elle ait eu le temps d'esquisser un mouvement, il la frappa avec une chaise de cuisine. Elle tomba sur le sol, ses yeux se brouillèrent sous le coup de la douleur et, lorsqu'il s'assit sur elle, elle sentit qu'une de ses côtes se brisait.

- Ne fais plus jamais ça! siffla-t-il.

Elle secoua la tête, s'efforçant en vain d'écarter la douleur.

- Le Seigneur est avec moi, poursuivit-il. Tu ne pourras pas m'échapper.

Elle secoua à nouveau la tête. Elle aurait donné tout pour qu'il se lève. N'importe quoi pourvu qu'il ne pèse plus sur sa côte brisée.

Il regarda autour de lui.

- Ne bouge pas!

Elle acquiesça de la tête et il se leva enfin. Près du téléphone était posé un chiffon de coton blanc. Il en banda sa main blessée. Elle se demanda s'il était droitier. Dans ce cas, il serait sérieusement handicapé.

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