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Alors quoi, Dieu?

Et Jörgen Grundberg? Quoi que Tu aies eu à lui reprocher, Tu n'avais pas besoin de me mêler à cela, hein?

À moins que Tu ne veuilles me punir, moi aussi? Dans ce cas, QUAND EST-CE que Tu en auras terminé?

Elle se leva et hissa le sac sur son dos. Ce n'était pas là qu'elle trouverait la paix.

Sans un regard pour l'homme dans sa cabine de verre, elle quitta l'église.

Quand elle se retrouva à l'extérieur, le soleil avait commencé à se coucher. Elle fit un pas de plus pour voir l'horloge. Cinq heures et quart.

Cette nuit, elle voulait vraiment dormir dans un lit. Mais l'hôtel était trop risqué et elle n'osait pas se rendre dans une institution de charité. Il n'y avait jamais assez de place pour tout le monde et, si quelqu'un se voyait refuser l'entrée au profit de quelqu'un d'autre, il pouvait toujours aller trouver les flics - échange de bons procédés.

Elle posa la main sur la pochette contenant son argent. Pour la première fois depuis qu'elle avait pris sa décision, elle fut tentée de procéder à un prélèvement et de s'offrir une bonne cuite, afin d'oublier pendant un moment.

Toute cette merde, bon sang.

Elle prit le raccourci pour regagner Skanegatan. Au bout d'une dizaine de mètres, elle passa devant une porte de couleur verte qui s'ouvrait dans une palissade passée au rouge de Falun. Un monument historique. À droite de cette porte on voyait le pignon, de couleur brune, d'une petite maison en bois en assez mauvais état. Elle s'arrêta. Il y avait une ouverture au niveau du sol, sur le pignon, mais celle-ci avait été bouchée à l'aide de planches. En revanche, celle qui se trouvait un mètre plus haut était simplement fermée à l'aide d'une cheville en bois.

Elle regarda autour d'elle.

Le parc était désert.

Elle ôta rapidement son sac à dos, ouvrit le panneau de bois et se glissa à l'intérieur.

Les jeudis nous appartenaient. Ces jours-là, il venait me retrouver. Il suffit que je ferme les yeux pour le voir devant moi, ouvrir la barrière et remonter l'allée. La chaleur dans ma poitrine. Il faisait attention à essuyer ses pieds sur le paillasson. Puis il était là. Avec ses bras puissants. Ce n'était pas un péché, Seigneur, c'était de l'amour, le genre d'amour que Tu nous as enseigné. Je Te remercie de m'avoir permis de le connaître.

Je faisais toujours le ménage, avant qu'il vienne. Je voulais qu'il sente à quel point j'attendais sa visite. Chaque fois j'espérais qu'il resterait pour de bon, mais, à quatre heures au plus tard, il était forcé de partir. Je savais alors que j'avais sept longues journées et sept longues nuits à attendre avant de le revoir. Et maintenant une vie entière.

Pourtant, je Te remercie, Seigneur, de me montrer le chemin. De m'avoir prouvé que je pouvais l'aider à parvenir dans Ton royaume. Ainsi, je sais qu'il m'attend, là-haut. Merci, Seigneur, de m'avoir permis d'être à Ton service et de faire en sorte que je sois en mesure de redresser les erreurs et les injustices des êtres humains.

Je vous annonce une grande nouvelle: nous ne nous endormirons pas pour l'éternité, nous serons tous métamorphosés, en un instant, lorsque retentira la dernière trompette. Car elle retentira et alors les morts ressusciteront sous une forme impérissable. Car ce qui est périssable doit se revêtir de l'impérissable et la mort se muer en immortalité.

Mais lorsque ceci sera consommé, alors se réalisera la prédiction:

"Mort, où est ta victoire? Mort, où est ton aiguillon?"

L'aiguillon de la mort, c'est le péché et le pouvoir du péché est fondé sur la loi. Mais Dieu soit loué, qui nous donne la victoire par l'intermédiaire de Notre Seigneur Jésus-Christ!

Je veux aussi Te remercier, Seigneur, de Ta protection. De ne pas m'avoir laissé agir en solitaire et d'avoir envoyé une femme pour m'assister. De lui permettre d'expier ses péchés afin de Te servir.

De tout cela je Te remercie, Seigneur.

Amen.

À son réveil, elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait. Cela n'avait rien d'inhabituel, soit, mais ce matin-là elle mit plus de temps pour se repérer. La lumière pénétrait par les interstices de la paroi de bois et éclairait un vaste bric-à-brac. Mais ce n'est que lorsque l'église Sainte-Sophie sonna sept heures qu'elle sut où elle était.

Elle se mit sur son séant et sortit la dernière banane de son sac à dos.

Autour d'elle, le sol était couvert de sciure et, la veille au soir, elle avait dû ôter quelques planches et les placer en travers des verrous pour étaler son tapis de sol. Elle n'avait plus mal à la gorge. Tout en mangeant, elle observa la poussière qui voltigeait dans les rayons de lumière. Après une telle nuit, elle aurait besoin d'une douche. Mais elle n'osait pas aller à la gare centrale. Pas plus que dans une institution caritative.

Depuis qu'elle avait oublié son agenda au Grand Hôtel, elle ne savait plus exactement quel jour c'était, mais, si elle ne s'était pas trompée, son aumône mensuelle devait être arrivée. Pourtant, il fallait d'abord qu'elle fasse quelque chose à propos de ses cheveux. Elle pourrait prélever un peu d'argent sur sa réserve pour une teinture, puis aller chercher celui du mois.

Elle savait que l'autobus n°76 était à destination de Ropsten. Elle évitait en général ce moyen de transport, car il était plus facile de prendre le métro sans payer. Elle sortit un billet de vingt couronnes de la pochette accrochée autour de son cou et se dirigea vers l'arrêt d'autobus de Renstiernasgata.

Pour la première fois depuis six ans, elle venait d'enfreindre la règle qu'elle s'était fixée.

Les salauds, c'est eux qui l'avaient forcée.

Au début, elle fut seule à l'arrêt d'autobus, mais au bout de quelques minutes elle eut de la compagnie. Personne ne s'occupait d'elle, mais elle s'efforça d'éviter de croiser le regard des autres.

Lorsque l'autobus arriva, il y avait pas mal de place, bien que ce fût l'heure de pointe du matin. Le trajet coûtait quatorze couronnes. Une petite fortune.

Elle alla s'asseoir au fond du véhicule et posa son sac à dos sur le siège, à côté d'elle. Ce n'est qu'à l'Écluse que tous les sièges furent occupés. Une femme lança alors un regard courroucé en direction de son sac. En temps normal, elle ne s'en serait pas souciée mais, ce jour-là, elle désirait éviter d'attirer l'attention sur elle.

Elle mit donc son sac sur ses genoux. La femme s'assit à côté d'elle et sortit un journal de son porte-documents.

Sibylla regarda par la fenêtre. Ils étaient maintenant sur Skeppsbron. L'autobus s'arrêta au feu rouge juste devant un bureau de tabac. Le buraliste était en train d'installer les affichettes des journaux de la journée et, au moment où l'autobus démarrait, il bougea, lui permettant de voir ce qui était marqué.

En fait, ses yeux lurent d'eux-mêmes et firent ensuite parvenir l'information à son cerveau.

Ce n'était pas possible!

Elle resta un moment à regarder dans le vide, devant elle. La peur le disputait en elle à la perplexité, comme si un lacet se resserrait lentement autour de sa gorge.

Elle s'avisa soudain que quelqu'un la regardait et cela rompit le charme. D'instinct, elle plaça son sac à dos entre eux, à la manière d'un rempart. Ce geste eut pour conséquence qu'elle put voir le journal étalé sur les genoux de la femme qui était assise à côté d'elle.

Elle ne voulait pas voir mais, une fois encore, ses yeux furent plus forts qu'elle.

Le titre suffit à lui donner la nausée, elle n'eut pas la force de lire le reste. Pendant la fin du trajet, elle garda le regard obstinément fixé sur son sac à dos et ce n'est que lorsque la femme referma le journal et descendit qu'elle osa bouger à nouveau.

Au terminus, il ne restait plus qu'elle dans l'autobus. En se levant pour sortir, elle vit que la femme avait laissé son journal sur le siège.

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