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Il se leva si brusquement qu'elle eut un réflexe de recul en même temps que sa chaise à lui basculait et se renversait sur le sol. Il la releva, alla chercher la cafetière sur l'évier et revint en la tenant à la main.

- Encore un peu de café?

Elle secoua la tête, sans trop savoir ce qu'elle faisait, et il s'en versa à lui-même, à la place. Elle profita de ce qu'il allait reporter la cafetière pour faire le tour de la pièce des yeux. Derrière elle se trouvait une porte.

- Je croyais que ça passerait si je partais d'ici quelque temps. Si je ne voyais plus sa face de sainte-nitouche, tous les jours, dans la salle où on prend le café, au travail.

Elle n'était séparée que par environ deux mètres de cette porte close.

- Il ne restait plus qu'une seule place, à l'agence de voyages. C'était la première fois que le Seigneur se manifestait dans ma vie, mais je ne le savais pas, alors.

Il était maintenant totalement détendu. Il avala une gorgée de café et regarda par la fenêtre. Deux amis en train de prendre le café et qui avaient beaucoup à se dire.

- À Malte, il y a une ville qui s'appelle Mosta et qui possède une cathédrale. C'était là que le Seigneur voulait que je me rende. J'avais pris une place dans un voyage organisé, pour ne plus être seul. Et il a bouleversé ma vie.

Il joignit les mains et les posa devant lui, sur la table.

- C'était comme si un voile était tombé de mes yeux. Comme si je pouvais enfin voir.

Il rayonnait de gratitude.

- Le 9 avril 1942, cette église était remplie de fidèles. Des gens ordinaires, qui étaient allés à la messe comme d'habitude. Soudain, une bombe a traversé la coupole. Elle a fait voler le toit en miettes et est tombée devant l'autel. Mais elle n'a pas explosé. Dieu a fait un miracle et elle n'a pas explosé. Les fidèles ont tous pu sortir de là indemnes, jusqu'au dernier. C'est un miracle, ça, hein?

S'il espérait une réponse, il dut être bien déçu.

- C'était un avion anglais qui avait lâché cette bombe par erreur.

Il la regarda fixement.

- Tu ne comprends donc pas?

Elle secoua la tête.

- Leur heure n'était pas encore arrivée. Dieu n'avait appelé aucun de ceux qui se trouvaient dans cette église. Ils ne devaient pas encore mourir. C'est pourquoi Il est intervenu et a fait en sorte que rien ne se passe.

Il se tut et regarda un instant par la fenêtre avant de poursuivre:

- Mais Rune... Rune, lui, son heure était venue. Je ne sais pas pourquoi Dieu l'avait appelé, j'attends toujours qu'il me donne une réponse. Peut-être le fera-t-Il quand j'aurai mené ma mission à bien.

Sibylla avala sa salive. Elle avait peur, maintenant qu'elle voyait que sa confession touchait à son terme.

- Mais elle ne l'a pas laissé mourir, elle. Elle s'est arrogé le privilège de Dieu et l'a maintenu en vie, parmi nous, sur la terre... Elle l'a rattrapé alors qu'il était à mi-chemin du royaume des cieux.

Son visage était maintenant déformé par une grimace.

- Comment aurais-je pu tolérer ça?

Il joignit les mains devant lui.

- Je me mettrai en colère, je les punirai et j'exercerai sur eux une terrible vengeance. Ils comprendront ainsi que je suis le Seigneur.

Il se tut.

La peur, qui un instant avait fait place à une sorte de désir d'agir, reprit possession d'elle avec une force redoublée.

Il fallait qu'elle gagnât du temps.

- Et ceux que vous avez tués? Qu'est-ce qu'il en dit, Dieu?

- Mais tu n'as donc pas compris?

Elle n'osa même pas secouer la tête.

- Dieu les avait appelés. Ils devaient mourir. De quel droit nous opposons-nous à Sa volonté?

Que répondre à cela? Lui dire qu'il était fou n'aurait servi à rien.

- Et moi, là-dedans? finit-elle par demander.

Il sourit à nouveau.

- Toi aussi, tu as été élue.

C'était une sorte de compliment, dans sa bouche.

- Le Seigneur a fait de toi aussi Son instrument. Nous devons tous les deux mener notre mission à son terme.

Il ne fallait plus tarder, maintenant.

- Et quelle est ma mission, à moi?

Son sourire gagna son visage tout entier.

- Me protéger.

L'instant d'après, elle fut sur ses jambes. Sans hésiter, elle se jeta en arrière et réussit à poser la main sur la poignée de la porte. La chance était avec elle car elle ouvrait sur une autre pièce et, avant qu'il ait eu le temps de faire le tour de la table, elle refermait la porte derrière elle. Il la suivit quelques secondes plus tard, appuya sur la poignée et poussa de toutes ses forces. Elle sentit le poids de son corps, de l'autre côté, et pesa de toutes ses forces, elle aussi, pour empêcher la porte de s'ouvrir, car il n'y avait pas de clé dans la serrure.

Elle inspecta les lieux. Elle se trouvait dans son atelier de peinture. La pièce était remplie de pots de peinture et derrière elle se trouvait un chevalet soutenant un Christ en croix à moitié terminé. Sur le mur situé à sa droite s'ouvrait une autre porte, mais celle-ci n'avait pas de clé non plus. Elle sentit soudain que la poussée avait cessé et se pencha rapidement pour regarder par le trou de la serrure.

Il n'y avait plus personne.

Elle fit deux pas en arrière et se cogna à une table. Une boîte de peinture et des pinceaux tombèrent sur le sol. La peur lui picotait le corps et elle alla se placer au centre de la pièce. Soudain, elle entendit un bruit et sut qu'il revenait. Au même instant, elle vit sa main se glisser par l'entrebâillement de l'autre porte et se poser sur la tranche. Elle n'hésita pas un instant et se jeta de toutes ses forces. Elle entendit le bruit que firent ses doigts lorsque le battant se referma sur eux.

Il ne cria pas. Ses doigts se raidirent sous l'effet de la douleur, mais elle n'entendit pas le moindre bruit. Uniquement sa propre respiration accélérée. Puis il donna une violente poussée à la porte et elle y résista de son mieux. Mais le petit interstice ainsi créé lui avait permis de retirer sa main.

Soudain, une pendule se mit à sonner, derrière elle. Cela suffit à lui faire perdre ce qu'il lui restait de maîtrise d'elle-même. Elle fit demi-tour et partit en courant. Elle ouvrit violemment la porte de la cuisine et s'engouffra dans le hall. Parvenue là, elle hésita une seconde et regarda autour d'elle. La porte d'entrée était fermée à clé, elle le savait. S'engager dans l'escalier revenait à se jeter un peu plus profondément encore dans la gueule du loup. Mais un bruit en provenance de la pièce voisine la priva de toute alternative. Elle fit un pas en avant et vit ses pieds par l'ouverture de la porte. Il était assis sur le sol, le dos contre la porte et les jambes tendues devant lui. Elle se glissa très vite dans l'escalier et l'entendit se lever. En haut des marches se trouvait un petit couloir sur lequel donnaient trois portes fermées. Sur l'une d'entre elles, la clé était dans la serrure. Elle était fermée mais s'ouvrit à la première tentative.

- N'entre pas là! l'entendit-elle lui crier.

Mais elle était déjà à l'intérieur.

Malgré ses mains qui tremblaient, elle réussit à glisser la clé dans la serrure, de son côté, et à la tourner. Un instant plus tard, elle vit la poignée qui s'abaissait.

- Ne fais pas de bêtises, Sibylla.

Elle se retourna.

Au milieu de la pièce se trouvait un lit défait. Le drap de dessous et l'oreiller, qui avaient jadis été blancs, étaient maintenant gris et couverts de taches.

Contre le mur était adossée une commode en bois sombre - peut-être du chêne - surmontée d'une glace. Devant celle-ci était posé un chandelier en argent d'environ cinquante centimètres surmonté d'une bougie allumée. Mais elle n'avait vu semblable cierge dans aucune église. Devant le chandelier était placée une bible.

- Ouvre cette porte, Sibylla.

Elle avança jusqu'à la fenêtre. L'espagnolette n'avait pas été actionnée depuis longtemps et elle dut tirer très fort pour la faire bouger. Mais un raclement lui indiqua qu'elle consentait finalement à faire son office.

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