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- Je peux vous emmener en voiture, si vous voulez, finit-il par dire. Ce n'est pas tout près.

Elle en oublia son sac à dos. Tout ce qu'elle avait à l'esprit, c'était de rendre coup pour coup. De punir.

Ingmar ne disait rien.

Sans rien dire, il pilota la vieille Volvo à travers le centre de Vimmerby, passa devant un lotissement mais sans s'y arrêter. À nouveau la forêt des deux côtés de la route, mais Sibylla ne la vit pas.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit.

Ces mots résonnaient dans sa tête comme un sinistre présage.

Elle ne remarqua même pas qu'ils s'étaient arrêtés.

- On dirait qu'elle n'est pas encore rentrée. Sa voiture n'est pas là.

La voix la tira de sa torpeur et la ramena sur le siège du passager de la Volvo. Elle regarda par la vitre. Une maison en bois de couleur jaune aux stores baissés.

- Je peux attendre.

Elle se prépara à ouvrir la portière.

- Il pleut, constata-t-il.

C'était exact. Le pare-brise ruisselait.

- J'habite là-bas. Voulez-vous prendre une tasse de café, en attendant?

Du café. Rien ne pouvait moins l'intéresser pour l'instant. Mais, d'un autre côté, c'était stupide de refuser un peu de nourriture gratuite. Les saucisses étaient seulement venues combler une partie d'un vide beaucoup plus vaste dans son estomac.

Elle hocha la tête et il embraya.

Avant d'avoir passé la seconde, il franchit une barrière, entre deux poteaux, devant une maison à crépi vert qui se trouvait presque en face de celle de Kerstin Hedlund.

Ainsi, ils étaient voisins, en plus.

Sibylla sortit de la voiture.

Il pleuvait toujours. Ingmar la précéda et ils se hâtèrent de gagner la maison, le long de l'allée de gravier. Sur le perron, elle se retourna pour voir si la voiture de Kerstin Hedlund n'arrivait pas, mais la route était déserte.

- Vous l'entendrez arriver, l'assura-t-il. Nous sommes les seuls à habiter par ici.

Elle entra dans le hall de la maison. Une odeur de dissolvant frappa ses narines.

- Ah, dit-il, j'ai dû oublier de sortir la boîte d'essence.

Il disparut à sa vue et revint très rapidement avec une boîte de verre dans laquelle trempaient des pinceaux.

- L'odeur ne va pas tarder à disparaître. Je vais la mettre dehors.

Il ouvrit la porte d'entrée, posa la boîte sur le seuil, puis tira la porte derrière lui et la ferma à clé. Elle ôta sa veste et l'accrocha sous une étagère fixée au mur.

- Vous êtes peintre? demanda-t-elle.

- C'est uniquement un passe-temps. Mais venez. Vous désiriez un peu de café, n'est-ce pas?

Il se pencha pour dénouer ses lacets et elle suivit son exemple. Puis il l'invita à pénétrer dans la cuisine.

Elle regarda autour d'elle. Cet homme ne vivait pas seul. Devant la fenêtre étaient accrochés des rideaux de dentelle, maintenus de chaque côté par une embrasse rose. Sur le rebord étaient posées des plantes en pots bien soignées dont elle ne connaissait pas le nom et, en dessous, un mince chemin de table au crochet qui pouvait fort bien avoir été fait à la maison.

Il se dirigea vers l'évier et versa de l'eau dans une bouilloire.

- Asseyez-vous, dit-il.

Elle fit comme il l'en priait. Par la fenêtre, elle pouvait voir la route. Il sortit une boîte en métal fort usagée et y prit quelques cuillers de café. Elle le regarda. Cette cuisine avait quelque chose d'étrange. Elle était certes propre et bien rangée, mais tout y était démodé. Les placards semblaient d'origine et l'évier lui arrivait en haut des cuisses. Celui qui vivait là ne s'intéressait guère au confort moderne, mais elle était assez mal placée pour le critiquer.

- Vous vivez seul? demanda-t-elle.

Il la regarda, mais presque timidement, cette fois.

- Oui, depuis que maman est morte, je suis seul.

- Ah bon. C'est récent?

La cafetière se mit à bouillir.

- Oh non, il y a près de dix ans de cela.

Mais tu n'as pas changé les rideaux, pensa-t-elle.

- Voulez-vous quelque chose à grignoter?

- Oui, volontiers.

Il se dirigea vers le réfrigérateur. C'était un vieux modèle qui s'ouvrait au moyen d'un bouton. Gun-Britt en avait un comme cela, à Hultaryd, vingt-cinq ans auparavant.

La main sur la poignée, il hésita.

- Ah, c'est vrai, dit-il en retirant sa main. J'ai oublié de faire des provisions. Je crains de ne pouvoir vous offrir autre chose qu'une tasse de café.

- Ça ne fait rien.

Il ouvrit un placard et sortit des tasses et des soucoupes, à la place. De belles petites tasses avec des fleurs bleu clair. Il les posa sur la table et ouvrit un tiroir situé sous la table.

Une voiture arriva sur la route. Elle regarda par la fenêtre, mais le véhicule passa sans s'arrêter.

Ingmar sortit des serviettes qu'il plia avec soin. De ces serviettes en papier, très minces et au bord légèrement ondulé, comme elle n'en avait pas vu depuis l'époque où elle participait aux thés de sa mère, à Hultaryd. Mais, à la campagne, le temps ne passait pas aussi vite qu'à la ville.

- Il faut bien faire les choses, quand on a de la visite.

Elle l'observa replier soigneusement la toile cirée, après avoir refermé le tiroir. Il avait l'air très excité. Comme s'il n'avait pas fait ce genre de chose depuis longtemps. Peut-être n'était-il pas très habitué aux visites féminines.

Avant de verser le café, il alla chercher un petit plateau en argent sur lequel étaient posés un sucrier et un petit pot à lait du même service que les tasses. Il regarda alors l'ensemble et eut l'air satisfait de lui. Puis il s'assit en face d'elle avec un sourire.

- Je vous en prie.

- Merci.

Elle regarda le pot vide. Elle aurait bien aimé un peu de crème, mais n'osa pas en demander. Elle prit la tasse par la petite anse et but une gorgée. Sur le mur, derrière lui, était accrochée une de ces petites tentures au point de croix portant la maxime bien connue: L'amour est plus fort que tout.

- Que voulez-vous dire à Kerstin? demanda-t-il.

La question la surprit. Il n'y avait certes rien d'étonnant à ce qu'il se soit interrogé à ce sujet pendant le trajet en voiture, mais elle ne put s'empêcher de penser, aussi, qu'il ne savait toujours pas qui elle était.

Elle baissa les yeux.

- Je voulais seulement parler un peu avec elle.

Il souriait toujours, comme machinalement.

- Pourquoi donc?

Elle fut un peu contrariée. Sans doute n'avait-il que de bonnes intentions, mais elle n'avait que faire de celles-ci.

- C'est une chose entre elle et moi, finit-elle par dire.

Ingmar ne la lâcha pas du regard.

- Vous en êtes certaine?

Le café n'était vraiment pas bon. Il avait mis trop peu de poudre. Et puis elle n'avait plus la force de poursuivre cette conversation. Elle se leva.

- Merci pour le café et de m'avoir ramenée en voiture. Mais je crois que je vais aller l'attendre dehors.

Il ne répondit pas et continua à sourire. Un instant, il lui vint à l'idée qu'il était peut-être un peu dérangé. Il souriait de façon si niaise qu'elle avait presque envie de le remettre en place. On aurait dit qu'il pensait à une histoire drôle qu'il gardait pour lui.

Elle passa dans le hall et remit ses chaussures. Quand elle se redressa, elle vit qu'il se tenait devant la porte. Il souriait encore plus qu'avant.

- Vous ne partez pas déjà?

C'était presque un ordre. Elle changea alors d'attitude du tout au tout.

- Si. Je ne bois jamais de café sans crème.

- Ah bon. Je ne vous aurais pas crue si difficile.

Il avait frappé comme un cobra. Sans hésiter un instant. Comme s'il n'avait plus à peser ses mots.

Elle sentit la moutarde lui monter au nez et décrocha sa veste.

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là? finit-elle par demander, mais d'une voix qui n'était plus aussi assurée.

Il avait sûrement perçu ce changement de ton, car il se remit à sourire de toutes ses dents.

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