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- Vous pouvez peut-être attendre pour la vendre?

La femme secoua la tête.

- Je ne veux plus y venir. Je n'ose même plus y entrer.

Elles restèrent un instant sans rien dire. Sibylla avait ôté sa main. Soudain, une fanfare déchira l'air. Sibylla regarda autour d'elle, stupéfaite.

- Ne vous inquiétez pas: ce n'est que Magnusson. Il sonne le réveil, le matin, et le couvre-feu, le soir, quand il est ici. Il aime ça, dit-il.

Gunvor Strömberg esquissa un sourire, au cœur de sa douleur.

Sibylla ferma les yeux. Pouvoir vivre ici. Toute seule, en paix et avec pour seul voisin, à bonne distance, quelqu'un qui jouait de la trompette pour son simple plaisir.

Un rêve de bonheur.

- Combien en demandez-vous?

Gunvor Strömberg se retourna et la regarda.

- L'agence dit qu'elle peut valoir dans les trois cent mille...

Sibylla vit ses espoirs s'effondrer.

- ...mais, pour moi, l'important, c'est la personnalité de l'acquéreur.

Elles se regardèrent.

- Sören et moi l'avons construite en 57. Nous nous sommes donné un mal fou pour joindre les deux bouts et nous avons connu bien des joies, ici. Il y avait des moments où il nous paraissait impossible de partir et que quelqu'un d'autre vienne s'installer à notre place. Et que la maison reste ici. Sans nous.

Sibylla baissa les yeux vers les planches du ponton et Gunvor Strömberg serra sa veste sur son corps.

- Comme si nous n'avions été qu'une parenthèse et n'avions joué aucun rôle.

- Mais si, dit Sibylla, très sincèrement. C'est ce qui rend cette maison unique. Les traces de vie que vous y avez laissées. Et à l'extérieur, aussi. Cette allée que vous avez tracée de vos pas, elle sera toujours là. Les buissons que vous avez plantés. Tout ça. Moi, je ne laisserai rien derrière moi. Il n'y aura plus rien, quand je disparaîtrai.

Elle se tut. Qu'était-elle en train de faire? Pourquoi ne pas dire à cette femme comment elle s'appelait, pendant qu'elle y était?

- Mais vous avez un fils.

Sibylla se racla la gorge.

- Bien sûr, dit-elle, gênée, avec un sourire. Je ne sais pas pourquoi je dis tout ça.

Elle se tourna vers la maison et s'écria.

- Patrik! Il faut qu'on s'en aille, maintenant, si on veut arriver à temps pour prendre le car.

- Vous êtes en voiture? demanda Gunvor Strömberg.

- Non. Nous sommes venus en taxi.

- Alors, je peux vous ramener en ville, j'y vais.

Ils arrivèrent juste à l'heure. Sibylla était assise contre la vitre et tenait dans sa main le numéro de téléphone de Gunvor Strömberg.

Pour le cas où elle voudrait acheter la maison.

Elle plia le morceau de papier et le glissa dans sa poche. Patrik la regarda avec curiosité.

- Alors, t'as appris quelque chose d'intéressant?

Sibylla dut s'extraire de son rêve et le regarder.

- Je ne sais pas au juste. Elle n'a rien dit sur le meurtre lui-même. Elle m'a simplement confié que son mari avait un cancer et avait été opéré il y a environ un an.

Patrik eut l'air déçu.

- Mais tu devais lui poser des questions sur le meurtre!

- Ce n'était pas facile!

Ils restèrent un moment sans rien dire. Patrik sortit alors ses documents et les examina une nouvelle fois. Il avait écrit quelque chose au crayon, au verso de la photo du mur.

- Qu'est-ce que c'est que ça?

- Y avait une chemise en plastique contenant le journal intime de son mari, dans son sac à main. J'ai recopié un ou deux trucs.

Elle le regarda, scandalisée.

- Tu as fouillé dans son sac?

- Ben oui. Comment tu veux faire, autrement?

Elle secoua la tête et fut soudain prise d'une crainte.

- Tu n'as rien fauché, n'est-ce pas?

Il la regarda avec de grands yeux.

- Si. Quatre millions.

Elle lui fit une grimace et tendit la main pour prendre ses notes. Au moment critique, il retira le papier.

- Pourquoi t'as autant d'argent?

- Comment ça?

- Pourquoi tu loges dans le grenier d'une école alors que t'as plein de billets de mille autour du cou?

- C'est mon affaire.

D'abord, elle se moqua qu'il fasse la tête à nouveau. Il croisa les bras sur la poitrine et se détourna ostensiblement. Elle regarda alors par la vitre et ce ne fut que lorsqu'ils eurent dépassé Söderköping qu'elle comprit qu'elle lui devait une explication.

- Ce sont mes économies, dit-elle, toujours tournée vers la vitre.

Il la regarda.

Elle lui confia alors son rêve, cette maison qui lui permettrait de changer de vie et de se passer des subsides mensuels de sa mère, désormais interrompus. Il l'écouta avec intérêt et, quand elle eut fini, il lui tendit la feuille de papier.

- Tiens.

Il avait eu le temps de noter la date des séjours de Sören Strömberg à l'hôpital et de ses opérations. Elle sauta certaines expressions et abréviations incompréhensibles, mais, soudain, elle buta sur un mot qu'elle avait déjà rencontré quelque part. Sandimmum Neoral.

Quelqu'un l'avait prononcé devant elle peu auparavant. À moins qu'elle ne l'ait lu quelque part? Patrik observa sa réaction.

- Qu'est-ce qu'il y a?

Elle secoua la tête, pensive.

- Je ne sais pas.

Elle montra du doigt la feuille de papier.

- Ça, là: Sandimmum Neoral, cinquante milligrammes. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me dit quelque chose.

Patrik regarda le mot.

- On dirait que c'est un médicament. Contre quoi?

- Aucune idée.

- La mère d'un de mes copains est médecin. Je peux lui demander.

Bien sûr. Va demander à sa mère pourquoi on prend du Sandimmum Neoral. Les garçons de quinze ans font ça tous les jours.

Elle lui sourit. Elle aurait voulu prendre sa main mais n'osa pas.

- Patrik.

- Mmouais.

- Merci de ton aide.

Il eut l'air un peu gêné.

- Bah, j'ai encore rien fait.

Son sourire se fit plus large.

- Oh si. Tu as déjà fait beaucoup.

Elle passa la nuit suivante dans le grenier de l'immeuble de Patrik. C'est lui qui l'y introduisit et elle déroula son tapis de sol dans un compartiment inutilisé.

Elle eut du mal à dormir. Patrik était monté lui apporter des tartines à la suédoise, ce n'était donc pas dû à la faim. Plutôt au fait qu'elle avait l'esprit encombré de tout ce qu'elle venait de vivre en si peu de temps. Diverses images et scènes défilèrent derrière ses paupières et elle ne trouva le sommeil qu'au bout de quelques heures.

Dès qu'elle ouvrit les yeux, le dimanche matin, elle sut pourquoi elle connaissait le Sandimmum Neoral. Son cerveau avait fait le tri dans ses souvenirs, pendant son sommeil.

Jörgen Grundberg.

C'était le nom qui était inscrit sur la tablette de médicaments qu'il avait sortie de sa poche à la fin du repas, au Grand Hôtel.

Elle en fut si excitée qu'elle se mit sur son séant.

Étrange coïncidence! Deux des victimes de l'assassin prenaient le même remède.

Elle fut aussitôt parfaitement réveillée et ne put s'empêcher de se lever. Elle gagna le couloir pour aller regarder par la lucarne. Il faisait jour et elle se demanda quelle heure il était. Dans combien de temps Patrik viendrait-il?

Elle dut attendre plusieurs heures.

Pendant ce temps, elle prit conscience d'un changement inattendu. Le désir de persévérer, qu'elle avait cru s'évanouir en elle, était revenu. Elle était à nouveau bien décidée à ne pas abandonner.

Lorsqu'elle entendit enfin la lourde porte de métal s'ouvrir et Patrik lui dire que c'était lui qui arrivait, elle ne put attendre une seconde pour lui annoncer sa découverte.

- Jörgen Grundberg prenait du Sandimmum Neoral, lui aussi.

- Ah bon? T'es sûre?

Il lui tendit un gros sandwich à deux étages et une bière. Mais elle n'avait pas l'esprit à cela.

- Oui. J'en suis sûre. Ça ne peut pas être une simple coïncidence.

- Moi, j'ai parlé avec la mère de mon copain.

- Déjà? Quelle heure est-il?

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