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Il regarda sa montre.

- Onze heures dix. Je l'ai réveillée, avec mon coup de téléphone. Mais je lui ai dit que j'avais un dossier à faire - et c'est vrai, en un certain sens, hein? ajouta-t-il en ricanant. J'ai d'abord cherché un peu sur le Net, mais j'ai pas réussi à comprendre à quoi ça servait.

- Qu'est-ce qu'elle t'a dit, alors?

Il tira une feuille de papier pliée de sa poche-revolver.

- Elle m'a dit que c'est un immunodépresseur. Les gens qui ont subi une greffe prennent ça pour que l'organe transplanté ne soit pas rejeté par leur corps.

Il la regarda d'un air de triomphe et replia le papier.

- Une greffe? Tu veux dire quand on vous opère pour vous mettre un nouveau cœur ou autre chose?

- Oui. Elle m'a dit qu'on pouvait remplacer tout un tas de parties du corps de cette façon-là.

Sibylla s'assit sur son tapis de sol.

Jörgen Grundberg souffrait des reins. Sa veuve le lui avait dit, au cours de la désagréable conversation qu'elles avaient eue. Sören Strömberg, lui, avait un cancer du foie. Tous deux prenaient un immunodépresseur. Lena Grundberg avait dit que son mari avait subi une grave opération environ un an auparavant. Et, la veille, Gunvor Strömberg avait mentionné la même chose à propos du sien, dans son petit paradis.

Ce ne pouvait être une simple coïncidence.

- Tu penses la même chose que moi? demanda Patrik.

Sibylla hocha la tête.

- Je crois, oui. Mais il faudrait peut-être vérifier sur un autre, pour être sûr. Montre-moi ta liste.

- Elle est en bas, dans ma veste.

Quand il revint, il avait apporté le téléphone portable de son père. Il lui tendit la liste et elle parcourut à nouveau ces noms qui lui étaient désormais familiers.

- Bon. Tu veux appeler Bollnäs ou Stocksund?

En l'entendant poser cette question, elle se dit que son idée n'était peut-être pas si bonne que cela, après tout. Elle aurait préféré que ce soit lui qui appelle. Mais cela revenait à lui confier la conduite des opérations, une fois de plus, et elle s'y refusait. Il l'avait remise sur ses pieds et elle lui en était profondément reconnaissante, mais maintenant elle n'avait plus l'intention de se laisser manœuvrer.

- J'appelle Stocksund.

- Bon. J'ai trouvé le numéro dans l'annuaire.

Il l'aida à composer le numéro. La sonnerie retentit mais personne ne répondit. Elle avait le cœur qui battait. Patrik la dévisageait. Cela aurait été plus facile si elle avait été seule: elle n'avait pas l'habitude de mentir en public.

- Mårten Samuelsson.

Elle fut surprise d'entendre soudain la voix au bout du fil. Elle avait déjà perdu l'espoir d'obtenir une réponse. Elle vérifia sur sa liste.

- Je vous prie de m'excuser de vous déranger. Vous êtes bien le mari de Sofie Samuelsson?

Elle ferma les yeux. C'était pitoyable, comme entrée en matière. Il ne pouvait pas être le mari de Sofie Samuelsson. Plus maintenant.

- À qui ai-je l'honneur de parler?

Elle regarda autour d'elle comme si elle pouvait trouver une bonne réponse à cette question.

- C'est...

Elle regarda Patrik.

- La police, lui souffla-t-il.

- ...de la part de la police.

Pas de réponse.

- Nous aimerions savoir si votre femme a subi une greffe, récemment?

- Mais je vous l'ai déjà dit.

Elle fit un signe de tête en direction de Patrik qui leva les yeux au ciel.

- Quand cela? poursuivit-elle, reprenant courage.

- La première fois que vous êtes venus.

- Non, je veux dire: quand a-t-elle été opérée?

- Il y a treize mois, maintenant.

Sibylla hocha la tête.

- Vous souvenez-vous de la date exacte?

- Oh oui, je ne l'oublierai jamais. C'était le 15 mars. Pourquoi me demandez-vous cela?

- Eh bien, merci.

Elle tendit l'appareil à Patrik, qui appuya sur un bouton.

- La prochaine fois, je crois qu'il faudra que tu ailles droit au fait, soupira-t-il.

- Appelle toi-même, si tu es si malin. Quand est-ce que Sören Strömberg a été opéré?

Patrik fouilla dans ses papiers et parcourut ses notes.

- Il l'a été plusieurs fois.

- Est-ce que tu as trouvé quelque chose en date du 15 mars?

Il poursuivit sa lecture.

- Oui: le 15 mars 98, greffe du foie.

Elle enregistra la réponse d'un hochement de tête. Patrik ferma le poing et le brandit en l'air.

- Youpi! Ça y est!

Sibylla avait elle aussi un sentiment de victoire, même si elle l'avait déjà dépassé. À quoi étaient-ils parvenus, en fait? Ils avaient appris que toutes les victimes avaient sans doute subi une greffe. Mais qu'est-ce que cela signifiait? Pourquoi assassiner quatre personnes déjà gravement malades?

Patrik souriait toujours, derrière ses lunettes cerclées de métal.

- Je vais aller dire ça à ma vieille!

- Tu es fou!

- Pourquoi? On a trouvé le mobile, non?

- Ah oui? Et c'est quoi, selon toi?

Patrik ne sut quoi répondre et son sourire se changea en une ride entre ses sourcils.

- Ah oui, merde.

- Tu l'as dit.

Ils s'assirent sur le tapis de sol. Il faisait froid dans ce grenier et Sibylla tira le sac de couchage sur ses épaules.

- Au fait: ta mère est rentrée? demanda-t-elle en tendant la main pour prendre le sandwich et la bière. Je croyais qu'elle ne revenait que ce soir.

Patrik baissa les yeux.

- Elle s'est sentie pas bien, marmonna-t-il.

Les minutes se traînaient. Il lui avait demandé de venir avec elle, mais elle avait refusé. Elle n'avait pas l'intention de pénétrer à nouveau chez lui. Surtout pas avec sa mère couchée dans la pièce d'à côté.

À son retour, il tenait une liasse de papiers entre ses mains.

- J'ai tiré tout ce que j'ai pu, mais je suis à sec de papier, dit-il en venant s'asseoir près d'elle. Tu veux une banane?

Elle la prit et se mit aussitôt à l'éplucher. Une vraie vie de pacha. Elle n'allait pas tarder à être gâtée.

Elle prit la feuille qui se trouvait sur le dessus du tas:

Dons d'organes - réponses à vos questions

Elle lut de près l'ensemble de cette documentation, dans l'espoir de trouver quelque chose. Patrik s'était allongé sur le tapis de sol et elle avait déniché un vieux fauteuil, dans un compartiment du grenier qui n'était pas fermé à clé.

Comment faire don de ses organes à sa mort?

Cette question figurait en tête de l'une des feuilles de papier. Elle poursuivit sa lecture et comprit que bien des choses s'étaient passées depuis qu'elle s'était mise en marge du système. Elle n'avait rempli aucune fiche de donation, mais cela ne visait peut-être pas les personnes qui n'avaient plus d'existence légale. Elle se demanda ce qui arriverait si elle avait un accident. Personne ne réclamerait sa dépouille. Elle n'avait encore pas pensé à cela. Où enterrait-on les gens comme elle? Les gens dont personne ne voulait. Pouvait-on prélever sur elle toutes les parties de son corps dont la société pouvait avoir besoin? Dans ce cas, elle servirait enfin à quelque chose.

Elle prit connaissance du premier paragraphe de l'alinéa trois de la loi sur les greffes d'organes.

Il est légal de prélever du matériau biologique destiné à une greffe d'organe ou à d'autres fins médicales sur une personne décédée si celle-ci a donné son consentement ou s'il peut être prouvé par d'autres moyens qu'un tel prélèvement n'est pas contraire à ses volontés.

Du matériau biologique. Curieuse expression, quand on y pensait. Elle se demanda quelle idée on se ferait des volontés de Sibylla Forsenström quant à son "matériau biologique", le jour où la question se poserait.

Deuxième paragraphe du même alinéa.

Dans les cas autres que cités au paragraphe précédent, il est légal de prélever du matériau biologique si le défunt ne l'a pas expressément interdit, ne s'y est pas déclaré opposé par principe et s'il n'y a aucune raison de penser que cette intervention serait contraire à ses volontés.

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