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Les choses avaient bien changé, depuis.

Le car était à l'heure et, à cinq heures moins vingt-cinq, ils étaient à Västervik. Patrik se dirigea aussitôt vers le kiosque à journaux et demanda où se trouvait Sivertsgatan, où habitait jadis Sören Strömberg. Sibylla vit la vendeuse lui montrer de la main et lui expliquer le chemin.

Ce n'était pas loin. Ils n'en eurent pas pour plus de cinq minutes.

Plus ils approchaient, plus elle se sentait mal. Patrik marchait légèrement devant elle. Il n'avait peur de rien et on aurait dit qu'il se rendait, plein d'enthousiasme, à un bon dîner attendu depuis longtemps.

La maison avait deux étages et un toit mansardé. Alors que c'était encore à la mode, quelqu'un avait eu le mauvais goût de recouvrir la façade de matériau isolant. Au milieu, devant la porte, la même personne, sans doute, avait recouvert le perron d'une petite véranda de plastique dur de couleur verte, ce qui avait porté le coup de grâce au charme de la maison.

Ils s'arrêtèrent devant la barrière et se regardèrent. Sibylla secoua la tête d'un air découragé, pour signifier à Patrik qu'elle trouvait que c'était une très mauvaise idée. Ceci le décida. Il ouvrit la barrière et se dirigea vers la porte d'entrée.

Elle le suivit, non sans un soupir. Elle ne pouvait pas rester où elle était, de toute façon.

- Qu'est-ce que tu vas dire? lui demanda-t-elle à voix basse.

Il n'eut pas le temps de répondre. À l'étage supérieur de la maison voisine, une fenêtre s'ouvrit et une femme d'un certain âge passa la tête.

- Vous venez voir Gunvor?

Ils se regardèrent.

- Oui, répondirent-ils d'une seule voix.

- Elle est dans sa maison de campagne. À Segersvik. Y a une commission à lui faire?

Patrik approcha de la limite du terrain de la voisine.

- C'est loin d'ici?

- Une vingtaine de kilomètres. Vous êtes en voiture?

- Oui, répondit Patrik sans hésiter.

- Alors, c'est sur la vieille route de Gamleby, celle qui passe par Piperskärr. C'est à une dizaine de kilomètres de là. Je crois qu'il y a un panneau indicateur.

- Merci de votre aide.

Il tourna le dos à la femme, la privant ainsi de toute possibilité de lui poser d'autres questions. Ils retournèrent à la barrière et, en la franchissant, ils entendirent la voisine refermer sa fenêtre.

- C'est là qu'il a été assassiné, dit-il à voix basse. C'était marqué dans le journal qu'il a été tué dans sa maison de campagne.

Ils s'éloignèrent du champ de vision de la voisine. Au bout de la rue, Sibylla s'arrêta.

- Qu'est-ce qu'on fait? On ne va pas avoir le temps d'y aller, si on veut revenir par le car.

- On prend un taxi.

Elle fronça les sourcils.

- J'ai de l'argent, expliqua-t-il.

Elle ne fut pas satisfaite de cette réponse.

- Comment se fait-il que tu aies tellement d'argent? Ce n'est pas très courant, à ton âge, hein?

Il ne répondit pas et baissa les yeux.

- Merde. Me dis pas que tu l'as volé.

- Non. Emprunté.

- À qui?

Il se remit à marcher en direction de la gare routière, où ils avaient vu qu'il y avait une station de taxis. Sibylla ne bougea pas.

- Je ne ferai pas un pas tant que tu ne m'auras pas dit à qui tu l'as fauché.

Il s'arrêta et se retourna.

- Je l'ai emprunté à la maison. Sur l'argent des commissions. T'inquiète. Je rembourserai sans qu'ils s'en aperçoivent.

- Ah bon. Et sur quel argent?

- Bah. On verra bien.

Il se retourna et se remit à marcher, mais elle ne bougeait toujours pas. Il s'en aperçut, se retourna et lui cria:

- Est-ce qu'on reste plantés là à s'engueuler ou bien on essaie de faire quelque chose?

- Combien as-tu pris? lui cria-t-elle.

Il hésita un instant.

- Mille balles.

Elle sortit sa pochette et y préleva un nouveau billet. Puis elle referma la fermeture Éclair et s'avança vers lui.

- Tiens, dit-elle en lui tendant l'argent. Mais si tu recommences, je te préviens que je file. Compris?

Il hocha la tête, l'air étonné, et regarda le billet.

- Je t'ai demandé si tu as compris?

- OUI!

Il lui prit le billet des mains. Elle passa devant lui et le précéda vers la station de taxis.

- C'est de bon cœur.

Au bout d'une dizaine de mètres, elle se retourna. Il n'avait pas bougé.

- Est-ce qu'on reste plantés là à s'engueuler ou bien tu viens?

Il hésita encore un instant puis, à contrecœur, il se mit à courir derrière elle pour la rattraper.

Lorsque le compteur du taxi afficha plus de deux cents couronnes, elle secoua la tête

Prendre un taxi!

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas gaspillé son argent de cette façon.

Ils avaient dépassé depuis longtemps Piperskärr et l'asphalte venait de prendre fin brusquement, laissant la place à la terre battue. Ils traversaient tantôt des parties boisées, tantôt des champs, montaient de petites buttes et faisaient des crochets pour éviter des gros rochers et des petits bois.

Ils n'échangèrent pas un seul mot pendant toute la durée du trajet. Heureusement, le chauffeur était du genre taciturne et Patrik avait totalement perdu la parole après le récent incident.

Elle se sentit un peu mieux. Elle avait repris le commandement des opérations.

Ils passèrent devant un hangar à bateaux vide, puis un parking sur lequel des embarcations tirées au sec attendaient l'arrivée du printemps, recouvertes de bâches et de housses en plastique. Puis ils pénétrèrent à nouveau dans la forêt et, au bout d'environ un kilomètre, le paysage s'ouvrit en direction de l'eau, sur leur gauche. À l'ouest, le soleil était en train de disparaître et coloriait le ciel en rose.

- C'est à la ferme que vous allez?

Le chauffeur désigna de la tête un groupe de maisons. Sibylla regarda Patrik qui, lui, observait le paysage par la fenêtre. Il était clair qu'il n'avait pas l'intention de lui apporter la moindre aide. Elle se pencha vers le conducteur du taxi.

- Je ne sais pas exactement. Nous allons voir Gunvor Strömberg. Il paraît qu'elle a une maison de campagne ici.

- Je ne sais pas, moi, maugréa-t-il. Vous n'avez pas d'adresse plus précise?

Il franchit lentement les piliers d'entrée d'une propriété et, après un brusque virage vers la droite, une petite maison rouge apparut. Le compteur affichait 260 couronnes.

Sibylla avala sa salive et préleva un nouveau billet sur sa réserve. Patrik l'observait du coin de l'œil, mais elle ne croisa pas son regard.

- Arrêtez-vous ici.

Le chauffeur se rangea de son mieux et ils descendirent de voiture. Il la laissa prendre elle-même son sac à dos dans le coffre. Elle n'avait pas cru bon de laisser de pourboire.

La voiture alla faire demi-tour un peu plus loin. Quand elle disparut derrière le virage, Sibylla s'avisa qu'ils n'avaient rien prévu pour le retour. Elle poussa un soupir, hissa le sac sur ses épaules et se retourna. Devant eux se trouvait une barrière, assez large pour laisser passer une voiture, et l'une des bornes portait une boîte aux lettres verte en métal.

Strömberg.

Elle se retourna et regarda Patrik.

- C'est là. Au bord de l'eau.

- Ahah, fit-il.

- Tu vas continuer longtemps à me faire la tête?

Il ne répondit pas mais avança vers elle.

Une fois la barrière franchie, l'allée descendait et, au bout de quelques mètres, ils virent le toit et l'arrière d'une maison. Ils en étaient séparés par un gros buisson, dont ils durent faire le tour. Sibylla marchait en tête et Patrik derrière. Une fois le buisson contourné, ils se retrouvèrent au bord de l'eau. Devant eux, un ponton s'avançait dans l'eau.

La vue était magnifique. Comment pouvait-on être assassiné dans un endroit pareil?

- Vous désirez?

Sibylla se retourna rapidement et vit une femme, un peu au-dessus d'eux, sous le balcon de la maison dont ils avaient vu l'arrière.

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