Литмир - Электронная Библиотека
A
A

- Mais tu m'as dit qu'elle était en stage.

- Ils le savent pas, à la réception.

- Mais s'ils le savaient?

Il commençait à se lasser d'un pareil manque d'enthousiasme.

- Je trouverai un autre moyen, alors.

Il était trop fort pour elle. Comment faire?

- Et s'ils te surprennent?

- C'est pas possible.

- J'ai dit si...

Il ne semblait pas avoir l'intention de répondre à cela. Il se tapa sur les cuisses et se leva.

- On y va?

- Où ça?

Il eut l'air de se demander pourquoi il fallait tout lui expliquer deux fois.

- Là où bosse ma mère!

Elle le regarda en silence. Il était ou bien son ange gardien ou bien celui qui allait la précipiter dans le gouffre. Mais ce genre de chose, on ne le savait qu'après coup.

- T'as pas d'objection à ce que je ne t'accompagne pas pour cette tentative d'effraction dans un local de police?

Il eut un petit sourire.

- Où est-ce qu'on se retrouve?

Elle ne l'entendit pas arriver. Elle l'attendait, assise sur un banc, sur le quai de l'Hôtel-de-Ville. Lorsque l'aiguille des minutes de l'horloge du clocher de l'église de Riddarholm eut fait un tour complet sur elle-même, elle avait commencé à songer sérieusement à partir.

Mais elle était restée.

Une demi-heure plus tard, une feuille de papier se mit à danser juste devant son nez.

Il était arrivé sans faire de bruit et, quand elle se retourna, elle vit la fierté luire dans ses yeux, derrière ses lunettes cerclées de métal.

Elle prit la feuille et se mit à lire. Le premier nom était celui de Jörgen Grundberg. Il était suivi de trois autres. Un homme et deux femmes. Quatre inconnus que la police l'accusait d'avoir tués.

- La liste des victimes. Avec leur adresse et leur numéro national d'identification.

Il se pencha par-dessus son épaule.

- Apparemment, celle de cette nuit vivait à Stocksund. C'est à Stockholm, ça, hein?

Elle opina. Son alibi ne valait donc plus grand-chose. Elle aurait parfaitement pu y aller et en revenir pendant que Patrik dormait du sommeil du juste dans le grenier de l'école. Elle le regarda. Il ne semblait pas s'être fait cette réflexion. Pas encore. Il était tout à son exploit.

Elle baissa la feuille de papier et regarda Riddarfjärden. L'eau étincelait sous les rayons du soleil. Quelques canards passèrent devant eux en flottant sur l'eau.

- Bon. Qu'est-ce que tu crois qu'il faut qu'on fasse, maintenant?

Il plongea la main dans sa poche et en tira une nouvelle liasse de papiers.

- J'ai imprimé ce que j'ai trouvé.

- Personne ne t'a vu?

- Non. J'ai pas pu me mettre à l'ordinateur de ma mère, mais celui de Kenta était branché, dans le bureau d'à côté. J'ai profité qu'il allait aux chiottes.

Sibylla secoua la tête.

- T'es vraiment dingue, tu sais.

- Il est resté longtemps, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Je crois que ni lui ni ma mère ne s'occupent de cette enquête. J'ai seulement trouvé des renseignements d'ordre général, sur son courrier électronique.

Il déplia les feuilles de papier et lui montra la première.

- Regarde ça. C'est le genre de trucs que l'assassin laisse derrière lui sur le lieu du crime.

La photo en noir et blanc représentait un crucifix. La croix était en bois de couleur sombre et le Christ avait l'air d'être en argent ou en un métal quelconque. Les mesures étaient clairement indiquées, à côté, en millimètres.

Elle tendit la main vers la feuille suivante.

C'était aussi une photo en noir et blanc. Elle montrait un mur recouvert d'une tapisserie à fleurs. En bas se trouvait un lit défait portant de grosses taches sombres. Et puis il y avait ce texte, rédigé en grosses lettres, au-dessus.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit. Sibylla.

Elle le regarda et il lui tendit rapidement la dernière feuille. C'était la photo d'une paire de gants en plastique transparent. NUTEX 8, était-il marqué à côté.

- Ils en utilisent des comme ça dans les hôpitaux.

Elle hocha la tête. Cela ne devait pas être difficile.

- C'est tout ce que j'ai eu le temps de prendre. Mais, au moins, on a les noms.

- Qu'est-ce que tu veux qu'on en fasse?

Il se tourna de façon à pointer les genoux vers elle. Il chercha un peu ses mots mais finit par dire:

- Tu sais ce que je pense.

Non, je n'en ai pas la moindre idée.

- Je crois que tu as renoncé. Comme si, en fait, tu attendais que cette affaire se résolve d'elle-même. Comme si tu te foutais pas mal de ce que ça va donner.

- Et puis alors? C'est tellement étonnant?

- Quand je dis des trucs comme ça, mon vieux me dit qu'il faut pas passer son temps à s'apitoyer sur soi. Qu'il faut faire quelque chose pour se sortir de la merde.

Il a drôlement bien réussi son coup, ton père.

- Hier, tu m'as dis qu'on s'intéressait pas aux SDF et aux autres du même genre, que vous n'aviez aucune chance et tout le reste. Mais, quand tu en as une, de chance, tu la prends pas.

Il commençait à s'exciter. Elle le regarda avec un intérêt nouveau. Elle ne parvenait pas encore à savoir si elle avait été insultée ou éclairée, mais il était certain qu'il avait raison.

- Bon, dit-elle en se levant. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse, maintenant, chef?

- On va aller à Västervik.

Elle écarquilla les yeux.

- Tu blagues?

- Non. J'ai téléphoné pour savoir. Y a un bus qui part dans une demi-heure. Ça coûte 466 couronnes aller et retour. Je te les prête, si tu veux. On sera là-bas à cinq heures moins vingt et on aura deux heures vingt sur place, avant le retour.

Elle secoua la tête.

- T'es complètement dingue.

- On sera revenus à onze heures et quart.

Elle utilisa l'argument du désespoir.

- Mais il faut que tu sois rentré pour dix heures.

- Non. Parce que je vais au ciné. J'ai téléphoné à mon père pour le prévenir.

Le paysage défilait de l'autre côté de la vitre. Södertälje. Nyköping. Norrköping. Söderköping. Patrik était plongé dans les renseignements qu'il avait dérobés à la police, comme s'il pensait y trouver un indice quelconque. Sibylla, elle, regardait surtout par la fenêtre.

Elle avait payé elle-même sa place. Elle était allée aux toilettes, dans le hall de la gare routière et avait sorti un billet de mille couronnes de sa pochette. Quand elle était revenue, Patrik avait acheté deux sacs de chips et une bouteille de deux litres de boisson fraîche, comme provisions de route. Il avait écarquillé les yeux quand il avait vu le billet avec lequel elle acquittait le prix du voyage.

Mais il n'avait pas posé de question.

C'était parfait.

- Pourquoi est-ce que tu fais ça, au juste?

Il haussa légèrement les épaules.

- C'est fendard.

Elle n'avait pas l'intention de se satisfaire de cette réponse.

- Non: sérieusement. Tu n'as pas de copain plus drôle à fréquenter qu'une bonne femme de trente-deux ans?

- T'es pas plus vieille que ça? ricana-t-il.

Elle ne répondit pas. Il avait sûrement lu son âge dans le journal à plusieurs reprises. Elle continua à l'observer et il finit par replier ses papiers et les fourrer dans sa poche intérieure.

- Je pige pas ce que les gens ont à reprocher à aimer être seul. Mon vieux et ma vieille, ils arrêtent pas de me le reprocher. J'y peux rien, moi, si j'aime pas le hockey ou le foot. Je me fous pas mal si c'est AIK ou Djurgarden qu'est champion de Suède.

Elle secoua la tête pour mettre un terme à cette diatribe.

- Bon, bon. Je me demandais seulement.

Elle se mit à nouveau à regarder par la fenêtre et il retourna à ses papiers.

Sören Strömberg, 7-2-1936 4639.

Ils se rendaient chez la famille de cet homme. Sibylla se souvenait encore de la visite qu'elle avait rendue à Lena Grundberg. Elle était pleine de confiance et de courage, alors.

36
{"b":"156032","o":1}