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- Ma mère est dans la police.

Elle le fixa des yeux mais il ne bougea pas d'un pouce. Dès que le sens de ces paroles lui apparut clairement, elle sentit son pouls battre à tout rompre. Elle se leva.

- Il faut que je file. Vérifie si la voie est libre.

- Attends une seconde.

- Tout de suite, Patrik.

Elle avait élevé la voix de façon inconsidérée. Il s'exécuta, avec un soupir. Il ouvrit d'abord la porte à moitié, puis toute grande.

Elle prit son sac à dos et passa devant lui.

- Tu veux vraiment pas m'écouter?

Elle marchait d'un bon pas le long du trottoir, mais il était sur ses talons. Elle tourna le coin de la rue et arriva dans Folkungagatan. L'écouter, ah oui, pour sûr! Alors que sa mère était dans la police! Il l'avait attirée dans un guet-apens, tout simplement. Elle s'arrêta brusquement et se retourna. Comme il ne s'attendait pas à ce mouvement, il vint buter contre elle.

- Enfin quoi, bon sang, qu'est-ce que tu crois qu'il se serait passé, si ta mère était rentrée?

Elle sentait l'adrénaline monter dans son corps.

- Mais je t'ai dit qu'elle était en stage!

Elle le regarda et secoua la tête. Il était encore trop jeune pour comprendre. Mais que pouvait-elle demander?

- Tu ne saisis pas que c'est ma vie qui est en jeu? Elle aurait pu tomber malade et rentrer un peu plus tôt. Je ne sais pas, moi, n'importe quoi. Et alors, j'aurais été fraîche. Mais c'est peut-être ce que tu voulais?

Il recula légèrement, s'arrêta et la regarda.

- Eh bien, va te cuiter, si tu préfères ça.

Elle sentit sa colère s'apaiser. Elle avait un seul ami et elle était en train de le perdre. Il n'avait pas eu le temps de passer un manteau et il se battait les flancs pour tenter de se réchauffer.

Elle n'avait plus la force de réfléchir. Sa situation n'était déjà pas facile auparavant, mais maintenant elle était en quelque sorte responsable de ce qui allait arriver à ce gamin, en plus. Qui pouvait dire ce qu'il allait faire dès qu'elle l'aurait perdu de vue? Mais elle n'avait à s'en prendre qu'à elle-même. C'était elle qui l'avait mêlé à cette affaire.

Elle poussa un grand soupir.

- Va chercher quelque chose à te mettre.

Il la regarda d'un air méfiant.

- Pourquoi?

- Parce que tu vas attraper froid.

Il la regarda à nouveau.

- Tu me prends pour un idiot? Quand je reviendrai, t'auras filé depuis longtemps.

- Et alors?

Ils se soupesèrent du regard. Puis il sortit son portefeuille de sa poche-revolver et alla le glisser dans celle de la veste de Sibylla.

- Garde-moi ça jusqu'à ce que je revienne.

Il était déjà à cinq ou six mètres et disparut derrière le coin des maisons. Il n'était pas bête, ce petit morveux. Il promettait. Elle sortit le portefeuille de sa poche et le soupesa. Puis elle ferma les yeux et ne put s'empêcher de rire.

- Je t'attends dehors. Je vais aller m'asseoir dans le jardin public.

Il n'était toujours pas entièrement convaincu qu'elle n'allait pas filer. Elle vit qu'il hésitait.

- Promis.

Cette fois, elle parlait sérieusement. Il hocha la tête et traversa Götaland. Elle le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi les portes de la bibliothèque de Medborgarplatsen.

Quand il était revenu un peu plus chaudement habillé, son visage s'était fendu d'un sourire qui pouvait faire fondre n'importe quelle femme injustement soupçonnée de meurtre. Elle n'avait pas pu s'empêcher de lui rendre son sourire et elle l'avait écouté lui confier quel allait être leur premier coup. Il allait envoyer un mail à la police et lui fournir un alibi pour la nuit dernière. Elle avait hésité et lui avait demandé de ne pas révéler où ils se trouvaient et surtout pas qui il était. Il l'avait alors regardée, avec son air je-suis-quand-même-pas-débile-à-ce-point-là. Et il lui avait expliqué que, s'il voulait qu'ils sachent qui il était, il n'avait qu'à faire ça depuis chez lui. Pour préserver son identité, il suffisait qu'il utilise l'ordinateur de la bibliothèque du quartier.

Elle était donc assise sur un banc, dans le jardin public, en train de l'attendre. Sur Medborgarplatsen, les gens flânaient comme ils le font volontiers le samedi, mais, heureusement, elle ne vit pas de visage connu sur les autres bancs.

Au bout de dix minutes, il fut de retour.

- Qu'est-ce que tu leur as dit?

- Que Sibylla Forsenström est en train de les attendre à Medborgarplatsen mais qu'elle est innocente.

Elle se laissa prendre une seconde, puis soupira:

- C'est même pas drôle, Patrik.

- Non, j'ai dit que je voulais pas révéler qui j'étais mais que j'étais sûr à cent pour cent que t'étais pas coupable.

Une idée lui vint à l'esprit.

- Comment le sais-tu? J'aurais très bien pu tuer tous les autres. Mis à part celui de cette nuit.

- Oh, la vache! Tu sais que t'as l'air super dangereuse!

Elle n'en démordit pas.

- Sérieusement? Tu crois que c'est moi?

Il la regarda en fronçant les sourcils.

- C'est toi?

Elle attendit une seconde avant de répondre. Puis elle eut un sourire.

- Non. Mais tu vois: tu n'en es même pas sûr.

- Si je le suis, c'est toi qui dis des conneries.

Il avait l'air vexé et elle l'était également. Elle n'avait pas l'intention d'être un petit joujou passionnant avec lequel il pourrait se distraire pendant un certain temps.

- Je veux seulement te mettre en garde: ne gobe pas tout ce qu'on te dit.

Son froncement de sourcils ne fit que s'accentuer. Il ne comprenait vraiment pas ce qu'elle voulait dire.

Parfait. Cela lui permettrait de conserver la maîtrise de la situation.

Il s'assit près d'elle et ils gardèrent le silence un instant. Les gens passaient près d'eux et ils les suivaient du regard, mais personne ne semblait attacher d'importance à ce couple un peu étrange assis sur un banc.

Soudain, deux voitures de police descendirent la côte de Götaland à toute allure et vinrent se ranger sur la place. Elles n'actionnaient pas leurs sirènes, mais leurs feux rotatifs bleus suffisaient à faire le vide devant elles. Dès qu'elles furent arrêtées, les portières s'ouvrirent et deux agents descendirent et pénétrèrent dans la bibliothèque au pas de course.

Il valait mieux ne pas faire de vieux os à cet endroit.

Ils se regardèrent et se levèrent. Ils pressèrent le pas le long de Tjärhovsgatan et tournèrent pour monter en direction de la place de Mosebacke. Toujours en silence, ils s'assirent sur un banc. Ce jour-là, le soleil avait enfin réussi à percer la masse nuageuse compacte qui avait recouvert Stockholm au cours de ces dernières semaines. Sibylla posa son sac à dos près d'elle, se rejeta en arrière et ferma les yeux. Ah, pouvoir partir à l'étranger, vers un pays où le soleil brillait en permanence et où personne ne serait à ses trousses. Elle n'était encore jamais sortie de Suède. Ses parents, eux, étaient allés à Majorque une ou deux fois, quand elle était petite, mais pas elle. Et maintenant, elle n'avait pas de passeport.

Après un quart d'heure de silence, au moins, il se tourna vers elle.

- Je vais aller voir sur l'ordinateur de ma mère, à son boulot.

Pas plus compliqué que ça.

- Tu n'as pas le droit.

- Je sais bien, mais je vais le faire quand même.

- Je te l'interdis. Je ne veux pas que tu sois mêlé à cette affaire.

Il pouffa.

- Je le suis déjà, non?

Il était difficile de le nier. Mais si elle avait pu se douter à l'avance de ce qu'il allait entreprendre, ou même de la moitié, elle aurait laissé tomber. À l'âge de Patrik, elle restait toujours muette comme une carpe et écoutait poliment ce que les adultes avaient à dire.

Mais quand on connaissait le résultat...

- Tu peux vraiment le faire sans risque?

- Il suffit que je dise que je vais voir ma mère et ensuite de demander à l'attendre dans son bureau.

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