Elle la prit et alla s'asseoir sur le lit. Patrik cliqua à nouveau et la machine se remit en marche et cracha du papier.
Elle lut ce qu'elle tenait à la main.
La femme du Grand Hôtel a rendu visite à l'épouse de sa victime
Lena Grundberg est assise sur un coin de son canapé, dans l'élégante salle de séjour de sa maison. Il y a seulement une semaine, elle vivait là avec Jörgen, son mari bien-aimé. Jeudi dernier, il a été la première victime de cette démente de 32 ans qui l'a tué de sang-froid et qui parvient depuis à passer à travers les mailles du filet tendu par la police. Mais, pas plus de deux jours après ce meurtre bestial, la femme du Grand Hôtel a rendu visite à la veuve éplorée de sa victime. Lena a du mal à retenir ses larmes quand elle nous dit: "J'ai vraiment très peur. Cette femme est venue sonner à ma porte et m'a dit qu'elle avait perdu son mari, elle aussi. Je n'ai pas bien compris ce qu'elle voulait, sur le moment. Ce n'est qu'après, lorsque j'ai vu le portrait-robot diffusé par la police que je l'ai reconnue..."
Sibylla interrompit là sa lecture.
La veuve éplorée.
Mon cul.
D'autres feuilles de papier attendaient d'être lues. Elle prit le tas et s'assit à nouveau.
Les connaissances anatomiques sont fréquentes
Chez les meurtriers qui dépècent les cadavres
La femme de 32 ans recherchée dans tout le pays pour plusieurs meurtres reste une énigme pour la police. Une étude menée sur les affaires de meurtre avec dépeçage commis en Suède depuis les années 60 fait apparaître une surreprésentation des professions telles que bouchers, médecins, chasseurs et vétérinaires. D'après Sten Bergman, expert psychiatre auprès des tribunaux, cela vient d'une part que les membres de ces corps de métier ont surmonté la répulsion que la plupart des gens éprouvent devant une dissection, d'autre part qu'ils possèdent les connaissances techniques nécessaires pour y procéder.
D'après l'enquête de police, la femme suspecte ne correspond pas à ce profil. Rien ne laisse penser qu'elle ait exercé l'une des professions en question. Mais cela ne suffit naturellement pas à produire un meurtrier de ce type. Il faut aussi des tares psychologiques conduisant à un manque de sympathie, voire à un très fort mépris envers les autres. Une autre explication est la maladie mentale. Ceux qui dépècent des cadavres ne sont pas toujours capables, par exemple, de se séparer de leurs victimes et il semble que ce soit le cas de cette femme de 32 ans. Ils prélèvent une sorte de trophée leur rappelant le défunt et, dans certains cas, l'acte lui-même, comme s'ils s'arrogeaient le droit de vie et de mort. Dans cas présent, les victimes ont subi ce qui porte le nom de "dépeçage agressif". Cela se distingue du dépeçage passif par le fait que ce dernier est effectué uniquement pour masquer le crime ou pour rendre l'enquête plus difficile. Dans les cas présents, l'assassin ne s'est livré à aucun effort en ce sens et il semble que le seul but de cette femme ait été de profaner le corps de ses victimes. La police refuse toujours de révéler quels organes ont été prélevés...
Elle se leva et jeta la feuille par terre.
- Je ne peux plus lire ça. Je ne le supporte pas.
Elle avait parlé à voix haute et Patrik se retourna pour la regarder.
- Plus bas!
Elle s'assit à nouveau. La machine continuait à cracher des feuilles de papier, mais elle n'avait pas l'intention de les lire. Des gens avaient écrit tout cela sur son compte. Auparavant, personne ne s'intéressait à elle et, soudain, elle était devenue une sorte de célébrité nationale.
C'était quand même un peu fort.
- Je m'en vais. Je ne peux pas rester ici.
Il se retourna pour la regarder.
- Où est-ce que tu vas aller?
Elle se contenta d'un soupir pour toute réponse.
Une porte s'ouvrit dans l'appartement. Ils se regardèrent sous le coup de la peur et restèrent immobiles, à prêter l'oreille. Peu après, ils entendirent couler de l'eau. Sibylla chercha des yeux un recoin où se dissimuler.
- Il va seulement pisser, murmura Patrik pour calmer ses inquiétudes.
Mais cela ne suffisait pas à la rassurer. Lorsque le bruit de la chasse cessa de retentir, elle se jeta sur le sol et se glissa sous le lit. Elle fit bien car, un instant plus tard, on frappait à la porte.
- Patrik?
Il ne répondit pas. Sibylla vit ses pieds disparaître sous la couverture et, juste après, la porte s'ouvrit. Elle aperçut deux jambes velues.
- Tu dors?
- Mmoui.
- Il est plus de onze heures.
Soudain, elle entendit un bourdonnement et le bruit d'une feuille de papier qui sortait de la machine, bien après les autres.
- Qu'est-ce que c'est que ça?
Les jambes velues approchèrent. Aussitôt après, celles de Patrik, en jeans, vinrent se planter devant son nez et elle entendit le bruit d'une feuille de papier qu'on froissait.
- Oh, rien.
- Ah. Pourquoi est-ce que tu dors tout habillé?
- Je me suis simplement allongé pour me reposer un peu.
- Ah bon. Qu'est-ce que tu imprimes, comme ça?
- Je suis allé faire un tour sur le Net.
Quelques secondes de silence intolérable.
- Je vais me recoucher. Tu es à la maison, aujourd'hui, ou quoi?
- Je sais pas. On verra.
- Ne rentre pas après dix heures, hein. Et puis appelle-moi pour me dire où tu es.
Elle entendit Patrik soupirer. Les jambes firent demi-tour mais s'arrêtèrent à nouveau.
- Qu'est-ce que c'est que ce sac à dos?
Sibylla ferma les yeux. Patrik tarda beaucoup trop à répondre. Dis que tu l'as trouvé. Piqué. N'importe quoi.
- Oh, c'est celui de Viktor.
Encore mieux.
- Pourquoi est-ce qu'il est là?
- Il l'a oublié à l'école. J'ai promis de lui rapporter.
Les jambes s'éloignèrent.
- À ce soir, alors. N'oublie pas que tu as promis de ranger ta chambre avant que maman rentre.
- Oui oui.
La porte se referma enfin. Le visage de Patrik apparut par-dessous le bord du lit, tout sourires.
- T'as eu la trouille, hein, dit-il à voix basse.
Elle sortit de sa cachette en rampant.
- Elle ne ferme pas à clé, ta chambre? lui dit-elle en s'époussetant.
Il s'assit sur le lit et se mit à lire la feuille qu'il avait soustraite à la curiosité de son père. Elle suivit son regard.
La traque de la meurtrière
Il eut l'air de réfléchir une seconde puis leva les yeux vers elle.
- Je sais ce qu'on va faire.
Elle ne répondit pas.
- Réfléchis un peu. La police te recherche, toi. Mais qui est-ce qui recherche le vrai coupable?
Aucune idée.
- Tu piges donc pas? C'est à nous de le faire. On va le trouver nous-mêmes.
Tout d'abord, elle n'éprouva que de la colère. Elle se dirigea vers la porte en prenant son sac à dos au passage. Mais, une fois qu'elle eut la main sur la poignée, elle hésita.
Elle n'osait pas encore sortir.
Elle reposa le sac à dos et poussa un profond soupir.
- Ce n'est pas un jeu, Patrik, murmura-t-elle.
- Je sais bien, mais qu'est-ce que tu proposes d'autre?
Elle lâcha la poignée et se retourna. Il se baissa et se mit à rassembler les feuilles qu'elle avait jetées par terre. Elle finit par se décider à l'aider. Une fois qu'ils les eurent mises en tas, sur le bureau, elle s'assit à nouveau sur le lit.
- Et comment comptes-tu y parvenir?
Il se pencha vers elle et lui parla avec fièvre.
- Écoute un peu. La police ne recherche personne d'autre que toi. Et si on essayait de mettre la main sur le vrai meurtrier, nous?
- Mais comment? On ne sait absolument rien.
Il se rejeta en arrière et la regarda.
- Promets-moi que tu vas pas te fâcher.
- Comment pourrais-je te le promettre?
Elle vit qu'il hésitait et elle fut de plus en plus intriguée de savoir ce qui risquait de la mettre en colère, selon lui.