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- Est-ce qu'ils savent que tu es ici?

Il la regarda, l'air de dire: t'es cinglée ou quoi?

- Mon paternel fait le taxi de nuit et ma mère est partie faire une formation.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre qui sait que tu es là?

Ce fut à son tour de pousser un soupir.

- T'inquiète. Non, y a personne qu'est au courant.

Tu serais inquiet, toi aussi, si tu savais que tu allais passer la nuit dans un grenier en compagnie de quelqu'un qui est recherché pour meurtre avec circonstances aggravantes.

- Bon, eh bien, installe-toi.

Il ne se fit pas prier. Il chercha aussitôt du regard un endroit convenable pour mettre ses affaires et arrêta très vite son choix sur la plate-forme en dessous de l'horloge. Elle le regarda déballer son sac et préparer ce qui allait lui servir de lit. Pour sa part, elle tira son tapis de sol de l'autre côté du pan de mur, pour qu'ils puissent se voir depuis leur couche respective. Quand il eut terminé, il observa le résultat avec une satisfaction évidente, puis il la regarda, l'air d'attendre des compliments.

- T'as faim?

- Plutôt, oui. Les haricots, ça va un certain temps.

- Si t'en as trop pour toi.

Il ouvrit l'emballage et le posa sur le sol, devant lui. Puis il sortit de son sac, comme par magie, une salade de pommes de terre, un sac de chips et deux canettes de Coca-Cola.

- Sers-toi.

C'était la fête! Elle alla s'asseoir à côté de lui. Il avait l'air d'avoir aussi faim qu'elle et ils mangèrent en silence. Les côtes de porc furent bientôt débarrassées de leur chair, avant d'être remises dans l'emballage avec celles qui n'étaient pas encore mangées. Lorsque les deux tas furent d'égale hauteur, elle dut se rejeter en arrière pour digérer un peu.

- T'as déjà plus faim? s'étonna-t-il. Et moi qui en ai acheté plus en pensant à toi.

- Oui, je vois ça. Mais on peut les garder pour demain.

Il jeta un coup d'œil en direction de son ventre.

- C'est p't-être ton estomac qu'a rétréci, dit-il la bouche pleine. Ça arrive, quand on mange pas beaucoup.

C'était peut-être vrai. Mais ce n'était pas le cas du sien, à lui, car il venait d'attaquer un nouveau morceau de viande. Il eut de la graisse jusque sur les joues.

- Pouah, j'ai les mains collantes! Où est-ce qu'on peut se laver, ici?

Sibylla haussa les épaules.

- C'est le genre de chose auquel il faut s'habituer, quand on est SDF. L'eau courante, c'est un luxe.

Il regarda ses mains poisseuses, puis celles de Sibylla. Elle les lui montra, pour qu'il les voie mieux. Elle avait pris soin de ne toucher la viande qu'avec le pouce et l'index d'une seule main. Il se décida à lécher les siennes et à les essuyer sur la jambe de son pantalon.

Puis il regarda autour de lui.

- Bon, qu'est-ce qu'on fait, maintenant?

- Qu'est-ce que tu veux dire?

- Eh bien, on va pas rester là comme ça. Qu'est-ce que tu fais, d'habitude?

Ce petit être humain était encore très naïf, malgré son corps déjà presque adulte.

- Et toi? Quand tu joues pas les SDF dans les greniers?

- Je suis à mon ordinateur.

Elle hocha la tête et avala une gorgée de boisson.

- Ça risque d'être difficile, à l'avenir, si tu deviens SDF.

Il ricana légèrement.

- Ouais, je vais p't-être prendre ce boulot à la télé, après tout.

Elle retourna s'allonger sur son tapis de sol et se couvrit avec le sac de couchage. Elle mit ses mains sous ses aisselles pour les réchauffer, tourna la tête et lui lança un coup d'œil.

Il était visible qu'il commençait déjà à s'ennuyer. Faute de mieux, il se mit à débarrasser les restes de leur repas.

Derrière lui, l'horloge indiquait six heures dix.

Quand il eut fait place nette, il suivit son exemple, après avoir sorti un sac de couchage de son sac à dos. Il n'était pas très épais et elle se dit qu'il allait avoir froid, au cours de la nuit. Parfait. Ainsi, il se lasserait peut-être assez vite. Pour l'instant, il était couché, les bras sous la nuque et fixait le toit.

- Pourquoi t'es SDF? T'as jamais habité nulle part?

Elle poussa un soupir.

- Si.

- Où ça?

- Dans le Småland.

- Pourquoi t'en es partie?

- C'est une longue histoire.

Il tourna la tête et la regarda.

- Ah bon, j'aimerais la connaître. On a tout le temps qui faut, pas vrai?

Après cela, ils l'avaient aidée à prendre une douche et l'avaient ramenée à la maternité, allongée sur une civière roulante. L'un des lits était vide, dans la chambre. Les quatre autres étaient occupés par des femmes venant d'accoucher et leurs bébés. Toutes la saluèrent gentiment, lorsqu'elle fit son entrée. Son lit était près de la fenêtre et il lui suffisait de se mettre sur le côté pour ne pas les voir. Mais les bruits, il n'était pas aussi facile de les éliminer.

Les rideaux étaient rayés de bleu et se terminaient par une frange, en bas.

Personne ne lui demanda quoi que ce soit. Chacune de ces femmes avait assez à faire avec ce qui la concernait.

Les nouveau-nés.

Son ventre était toujours aussi gros. Mais il était vide, maintenant. Elle le sentait bien. Cela faisait longtemps qu'elle souhaitait pouvoir se coucher sur le ventre, mais cela lui était toujours impossible. En outre, elle avait la poitrine douloureuse.

Au bout d'environ une heure, on vint la chercher. On l'aida à s'asseoir puis à mettre le pied par terre. Mais cela lui fit mal. C'était sans doute dû aux points de suture qu'ils lui avaient faits, d'après ce qu'ils lui avaient dit.

Vint le moment de parler au médecin. Elle préféra rester debout, quand il lui offrit de s'asseoir dans le fauteuil du visiteur. Il hocha la tête et consulta le dossier brun.

- Eh bien, ça s'est passé de façon satisfaisante.

Elle le regarda.

Voyant qu'elle ne répondait pas, il leva les yeux mais continua à feuilleter son dossier.

- Comment vas-tu?

Vide. Vidée. Usée. Abandonnée.

- Qu'est-ce que c'est? demanda-t-elle.

- Quoi?

- Eh bien oui: qu'est-ce que j'ai eu?

Il était clair que la question le gênait. Ici, c'était lui qui posait les questions, d'habitude.

- Un garçon.

Il continua à lire.

Un garçon. Elle avait donné naissance à un petit garçon aux cheveux bruns.

- Est-ce que je peux le voir?

Il se racla la gorge. La conversation prenait un tour qu'il n'avait pas prévu.

- Non. Nous avons des règles à observer. Dans ce genre de cas, ce n'est pas souhaitable. C'est pour ton propre bien, d'ailleurs.

Pour son propre bien.

Pourquoi ne lui demandait-on jamais son avis, avant de décider ce qu'il fallait faire "pour son propre bien". Comment se faisait-il que les autres sachent toujours mieux qu'elle?

Il avait mis fin à l'entretien sitôt qu'il avait pu. Quand elle ouvrit la porte de sa chambre, les mamans lui sourirent à nouveau. Elle se recoucha, avec l'aide d'une infirmière, et leur tourna le dos.

L'après-midi, à l'heure des visites, la chambre fut envahie de pères et de frères et sœurs qui venaient admirer le nouveau membre de la famille. Personne ne prêta attention au dos qu'elle tournait à tout le monde.

La nuit tomba. Seule sa voisine immédiate dormait. Les autres étaient maintenues éveillées par leurs bébés. Elle les entendit bavarder les unes avec les autres. Il n'a pas encore fait son caca, c'est pour ça qu'il pleure. Je ne comprends pas, elle veut seulement prendre un sein, pas l'autre. Vous avez vu comme il est mignon?

Elle se leva prudemment. Si elle faisait ce mouvement en restant sur le côté, elle avait mal seulement au moment où elle posait le pied par terre.

Le couloir était désert.

Elle passa devant la fenêtre du bureau des infirmières, mais personne ne fit attention à elle.

La salle suivante était celle où dormaient les bébés. Elle ouvrit lentement la porte. La pièce était vide, mais, au milieu, se trouvait une de ces caisses en plastique montées sur roues comme en avaient les autres mères de sa chambre.

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