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Elle avait le cœur qui battait. Elle ferma tout doucement la porte derrière elle et fit un pas.

Une petite tête. Une petite tête avec des cheveux bruns. Elle sentit qu'elle tremblait. Elle était maintenant près du petit lit et pouvait lire le numéro d'identification inscrit au-dessus de la petite tête.

C'était bien son enfant qui était là.

Son fils.

Elle dut mettre ses mains devant sa bouche pour ne pas laisser échapper un cri.

Il avait grandi en elle, fait partie d'elle. Et maintenant, il était là, seul.

Seul et abandonné.

Il était tout petit. Il dormait sur le côté et sa tête était si petite qu'elle tenait dans la paume de la main.

Elle passa délicatement l'index sur ses cheveux bruns. Il sursauta et prit une profonde respiration, comme s'il venait de pleurer. Elle se pencha sur lui et mit le nez contre son oreille.

Soudain, elle fut prise d'un sentiment de révolte.

Non, ils n'avaient pas le droit de lui faire cela. C'était son enfant et elle préférait qu'ils la tuent plutôt que le leur laisser. Soudain elle sut que, quoi qu'il arrive, jamais elle ne l'abandonnerait. Jamais elle ne le trahirait et ne le laisserait seul, à pleurer jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir, dans un chariot en plastique.

Cette décision lui redonna courage. Doucement, elle glissa ses mains sous son petit corps et le souleva. Elle le serra contre elle et sut que c'était là qu'il fallait qu'il soit.

Il dormait toujours. Elle respira son odeur et sentit les larmes couler le long de ses joues.

Elle tenait son enfant dans ses bras.

Il n'était plus seul.

La porte s'ouvrit alors.

- Qu'est-ce que tu fais?

Elle ne bougea pas d'un pouce.

L'infirmière - celle qui l'avait accompagnée auprès du docteur ce jour-là - se dirigea vers elle.

- Pose cet enfant, Sibylla. Retourne dans ta chambre.

- C'est mon enfant.

La femme parut hésiter. Elle tendit les bras pour lui prendre le bébé. Sibylla lui tourna le dos.

- Je n'ai pas l'intention de vous le laisser.

Elle sentit la main de la femme se poser sur son épaule. Elle eut un geste vif, pour s'en débarrasser, mais cela eut pour effet de réveiller l'enfant, dans ses bras. Il grogna et elle lui caressa la tête pour le calmer.

- Maman est là. Ne t'inquiète pas.

La femme sortit de la pièce. Sibylla plaça la main derrière la tête du bébé et le tint légèrement à distance. Il avait ouvert les yeux. De petits yeux bleu foncé qui cherchaient quelque chose sur quoi se poser.

Juste après, ils entrèrent. Cette fois, ils étaient quatre. L'un d'entre eux était un homme. Il s'avança vers Sibylla et lui dit d'une voix forte:

- Pose cet enfant, Sibylla.

- Il est à moi.

L'homme hésita un instant puis tira une chaise.

- Assieds-toi.

- Non, merci. Je ne peux pas m'asseoir.

L'une des quatre autres personnes s'avança à son tour.

- Ça ne sert à rien, Sibylla. Ça ne fait qu'aggraver les choses.

- Ah bon, comment ça?

Ils se regardèrent. À tour de rôle. L'une des quatre sortit de la pièce.

- Tu sais parfaitement qu'il a été convenu que l'enfant serait adopté. Il sera bien. Tu n'as pas à t'inquiéter.

- Je n'ai convenu de rien. J'ai l'intention de le garder.

- Je suis navré, Sibylla. Je comprends que ce soit dur, pour toi, mais on ne peut rien y faire.

Elle se sentit impuissante. Ils étaient trois contre une et la quatrième personne n'allait sûrement pas tarder à revenir. Peut-être était-elle même allée chercher du renfort. Ils étaient tous dans le camp opposé, celui de ses ennemis. Tous sauf ce bébé qu'elle tenait entre ses bras.

Elle et lui face au monde entier. Elle ne l'abandonnerait jamais.

- Il y a deux façons de régler cette affaire, dit l'homme en repoussant sa chaise. Ou bien tu poses cet enfant de ton plein gré. Ou bien nous t'y forcerons.

Son cœur cognait contre sa poitrine.

Ils allaient le lui reprendre.

- Soyez gentils. Je suis sa mère, tout de même. Vous le savez bien. Vous ne pouvez pas me le prendre. Il est tout ce que j'ai.

Elle pleurait. Son corps était secoué de sanglots et elle sentit sa tête se mettre à tourner. Elle ferma les yeux.

Surtout ne pas tomber malade à nouveau.

Quand elle rouvrit les yeux, il était trop tard.

L'homme tenait son fils dans ses bras et quittait déjà la pièce. Deux des autres personnes en blanc la saisirent par les bras, lorsqu'elle voulut se lancer à sa poursuite. Elle entendit les cris de son enfant s'éloigner dans le couloir.

Plus jamais elle ne le reverrait.

- Merde alors! Ils ont le droit de faire ça?

Elle ne répondit pas. Elle se demanda ce qui l'avait poussée à lui raconter cela. Elle ne l'avait encore jamais fait. Elle avait enduré cette perte, l'avait portée en elle comme un morceau de verre acéré se déplaçant sans cesse dans son corps pour maintenir la plaie ouverte, mais jamais encore elle n'avait mis des mots sur cette peine.

Peut-être était-ce dû au fait qu'il avait à peu près le même âge que son fils, maintenant. Peut-être à cause des circonstances.

C'était sans espoir.

Plus la peine d'en faire mystère.

- Et après? Qu'est-ce qui s'est passé, après?

Elle avala sa salive. C'étaient des souvenirs qu'elle avait longtemps tenté d'oublier.

- J'ai été internée. Je suis restée près de six mois enfermée dans un hôpital psychiatrique. Mais, à un moment, je n'ai pas pu supporter ça plus longtemps et j'ai filé.

- Alors t'étais... comme qui dirait folle?

Elle n'eut pas la force de répondre. Le silence se fit.

- T'as filé comment? Tu veux dire: tu t'es évadée?

- Oui. Mais je ne crois pas qu'ils m'aient beaucoup cherchée. Je n'étais pas vraiment un danger public.

Les choses avaient bien changé.

- Ton vieux et ta vieille? Qu'est-ce qu'ils ont dit?

- Eh bien, simplement que je ne pouvais plus vivre chez eux. Que j'étais majeure, désormais, et que je n'avais qu'à m'en tirer par mes propres moyens.

- Les salauds!

- Tu l'as dit.

- Et après? Qu'est-ce que t'as fait?

Elle tourna la tête et le regarda.

- Tu poses toujours autant de questions?

- J'ai encore jamais parlé avec des SDF, alors...

Elle poussa un soupir et leva à nouveau les yeux vers le toit. C'était un élève appliqué.

- D'abord, je me suis retrouvée à Växjö. Mais j'avais peur qu'on me mette la main dessus et qu'on me renvoie à l'hôpital. J'ai tourné en rond pendant un ou deux mois, là-bas, je vivais dans des sous-sols et je mangeais ce que je trouvais.

- Quel âge t'avais?

- Je venais d'avoir dix-huit ans.

- Trois de plus que mézigue.

- Que moi.

Il tourna la tête et la regarda.

- Quoi?

- On dit: plus jeune que moi.

Elle l'entendit ricaner.

- Eh, dis donc, t'es pas chargée de corriger mes fautes.

Elle sourit, dans la pénombre. Non, en effet. Mais elle n'avait jamais été chargée de rien, alors...

- Non, mais j'étais bonne en suédois, à l'école.

- Pourquoi t'as pas pris un boulot?

- Je n'osais pas dire mon nom. J'avais peur qu'on me reconnaisse. Je pensais que j'étais toujours recherchée.

Ce mot la ramena au présent. Qu'était-elle en train de faire? Il était grand temps de mettre fin à cette conversation.

- Bonne nuit.

Il se dressa sur l'un de ses coudes.

- Oh non! s'écria-t-il. Tu vas pas arrêter là!

Elle se tourna vers le mur.

- Il est près de onze heures, je suis fatiguée. Bonne nuit.

- Oui, mais comment t'es arrivée à Stockholm? Tu peux bien me dire ça, au moins.

Elle poussa un soupir et se retourna. Le grenier était éclairé par le reflet des lampes illuminant le cadran de l'horloge, mais, dans les coins, il faisait noir comme dans un four.

- Ce que j'ai à te dire, c'est ça: si j'étais toi, je prendrais ce boulot à la télé. Si je te disais tout ce que j'ai vu et ce par quoi je suis passée, au cours de ces années, tu n'arriverais pas à dormir cette nuit.

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