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— La Citroën qui est à main gauche, sous les arbres, dit-il.

— Qui vous l’a remise ?

— Un homme avec de grosses lunettes, habillé de cuir comme un motocycliste avec casque et gants. Il a dit que vous trouveriez ce qu’il faut à l’intérieur puis il est parti et un instant après j’ai, en effet, entendu démarrer une moto qui retournait vers la ville.

— C’est bon. Ouvrez ! Ensuite vous pourrez aller vous coucher. C’est terminé pour ce soir !

Ainsi qu’il l’avait indiqué, une voiture grise, banale, attendait tous feux éteints et tournée en direction de Saint-Germain-en-Laye. Sur le siège du conducteur, il y avait une lampe électrique et une carte routière pliée… Deux croix rouges étaient tracées dessus : une flèche désignait la première avec l’inscription « Vous êtes ici » et l’autre indiquait un carrefour à la limite de Rocquencourt et de Bailly dont Lemercier releva soigneusement l’emplacement sur son carnet en ricanant :

— C’est gentil de se montrer aussi précis !

— Ne rêvez pas ! Je serais fort étonné si ma course s’arrêtait là…, fit Aldo avec un haussement d’épaules. Vous pouvez être certain que ses précautions sont prises !

— Ne me prenez pas pour un idiot ! Je m’en doute ! En attendant voilà le sac ! Filez !

Aldo s’installa au volant, la serviette posée à côté de lui, alluma ses phares et démarra salué par un « Bonne chance ! » dont il n’était pas sûr qu’il soit sincère… De toute façon il n’en avait pas besoin. Dès l’instant où l’action était engagée, le vieux démon de l’aventure le reprenait et lui soufflait que son rôle pourrait ne pas se limiter à celui d’un simple livreur ainsi que se le figurait si commodément un policier dont l’imagination ne semblait pas être la vertu première…

Cette expédition lui en rappelait une autre qui s’était située à peu de chose près dans la même région. Il se revoyait, une nuit, prenant le volant de la superbe Rolls d’Éric Ferrals, et emportant avec lui un fabuleux saphir qui devait servir de rançon à la femme qu’il aimait alors. Une très étrange prise d’otage qui s’était achevée de façon plus étrange encore {13} ! Cette fois, son cœur n’était pas engagé, même s’il s’avouait sensible à la beauté de la jeune Caroline, et cela ôtait un peu d’intensité au drame qu’il vivait ce soir. Au fond, c’était à Pauline qu’il devait peut-être de n’avoir pas éprouvé pour la jeune fille ces coups de flamme dont Lisa ne l’avait pas complètement guéri et qu’il se reprochait ensuite avec sévérité bien qu’ils n’entamassent en rien son amour pour sa femme. Il est vrai aussi qu’en l’occurrence le remède était pire que le mal. Le souvenir de sa nuit avec Pauline s’effacerait difficilement… si tant est qu’il y parvienne un jour. Le plus affreux était qu’il n’en éprouvait aucun regret sinon celui de devoir y renoncer à jamais. Un remords ? Discret, alors !

Tout en philosophant avec lui-même, Aldo avait roulé. Peu de monde sur la route de Saint-Germain, encore moins quand il l’eut quittée pour plonger dans les bois où il eut vite fait d’atteindre le croisement indiqué sur la carte. Il y avait là trois petites maisons et un poste d’essence d’ailleurs fermé. Un homme habillé comme un ouvrier, coiffé d’une casquette et le visage caché par un foulard sombre vint se placer dans la lumière jaune des phares puis se remit en marche en lui faisant signe de le suivre. Ils s’engagèrent ainsi dans l’allée d’un jardin fermée par une barrière. Au bout du chemin était un hangar dans lequel Aldo rangea la voiture auprès d’une camionnette en tôle ondulée dont l’arrière était ouvert.

— Descendez ! ordonna l’homme à la casquette. Prenez la serviette et montez ! ajouta-t-il en désignant l’autre véhicule à l’aide du pistolet dont il était armé. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’à obtempérer et Aldo se retrouva assis à même le métal au milieu de pots de peinture et du matériel qui allait avec.

— J’aurais préféré finir le trajet dans l’autre voiture, soupira-t-il. C’était nettement plus confortable.

— Peut-être, mais de là-dedans on ne voit rien. Asseyez-vous où vous pourrez et tenez-vous tranquille !

Les portes refermées, c’était en effet l’obscurité totale. À tâtons, Aldo se chercha une place qu’il trouva entre deux pots sentant affreusement l’huile de lin et la paroi à laquelle il s’adossa en pensant avec mélancolie qu’après un séjour dans cette boite, son smoking serait probablement fichu. C’était sans doute une réflexion frivole mais elle permettait au moins de ne pas s’appesantir sur la tournure que prenaient les événements. Ce changement de moyen de transport ne lui disait rien qui vaille même si c’était, après tout, de bonne guerre. Il aurait fallu être simple d’esprit pour indiquer aussi clairement l’endroit où devait avoir lieu l’échange. Dès que la camionnette se fut ébranlée, il pria pour que la destination définitive ne soit pas trop éloignée. On s’engagea dans ce qui ne pouvait être qu’un chemin de terre et, avec les cahots, le matériel au milieu duquel il était logé, se retrouva animé d’une vie propre.

— Je vais en sortir en loques et couvert de bleus, sans compter l’odeur ! grogna-t-il après qu’un pot, posé sans doute sur un autre, fut tombé sur l’une de ses jambes. Par chance il ne devait pas être plein ce qui rendit le contact moins douloureux. « J’espère que pour ramener Caroline ils me trouveront autre chose… »

Heureusement, on atteignit bientôt une route asphaltée sur laquelle l’engin roula sans trop de sursauts. Aldo en profita pour s’établir de façon moins aléatoire dans le coin le plus éloigné de la porte, les genoux remontés, les pieds calés sur une échelle et la précieuse serviette serrée contre son estomac.

On roula ainsi un temps qui lui parut affreusement long. Beaucoup plus d’une heure certainement avant de retrouver ce qui devait être un autre chemin vicinal si l’on en jugeait par les bonds des pots de peinture !… Enfin, tout se calma et la camionnette s’arrêta. Les portes s’ouvrirent et la lumière violente d’une puissante lampe électrique arriva dans les yeux de Morosini qu’elle aveugla.

— Descendez ! ordonna une voix rude qu’il n’avait pas encore entendue. Et d’abord donnez-moi les bijoux !

Une main gantée de cuir sortit du flot de lumière. Aldo y accrocha la poignée de la serviette tout en se traînant sur les fesses pour sortir de la guimbarde.

— Ça vous ennuierait d’éteindre votre phare ? vous m’aveuglez !

— Mais comment donc !

La lampe s’éteignit mais Aldo n’eut pas le loisir de goûter l’obscurité revenue. Un objet lourd le frappa brutalement à la nuque l’envoyant dans des ténèbres plus profondes que n’était la nuit…

En regagnant son bureau après avoir lancé Aldo dans l’aventure, Lemercier trouva un comité d’accueil inattendu composé d’Adalbert, de Crawford, d’Olivier de Malden et du général de Vernois, et il fut vite évident que l’humeur n’était pas à la jovialité… Fidèle à une tactique éprouvée depuis longtemps, Lemercier attaqua d’emblée :

— Qu’est-ce qui me vaut votre présence ? Vous vous donnez rendez-vous chez moi à présent ?

— Nous ne nous sommes pas concertés. Nous sommes seulement arrivés au même moment, expliqua Adalbert.

— Et vous voulez quoi ?

— Des explications ! gronda Quentin Crawford. C’est ce soir qu’expire l’ultimatum du ravisseur et vous n’avez convoqué que le prince Morosini alors que nous étions en droit d’espérer être au moins informés !

— Parce que vous appartenez au Comité ? Sachez, mon cher monsieur, que si je ne l’ai pas fait c’est uniquement pour obéir aux ordres que j’ai reçus par téléphone à la fin de l’après-midi. Seul Morosini, propriétaire d’un des joyaux et mandataire de son beau-père, devait me rejoindre au Petit Trianon pour les recevoir de ma main et se rendre au rendez-vous fixé par ce bandit. Et aucun de vous ne devait être averti…

— C’est lui qui va procéder à l’échange ? fulmina Adalbert. Et seul ?

— Qu’est-ce que vous croyez ? Que le ravisseur allait vous faire venir tous en chemise et la corde au cou comme les bourgeois de Calais, en portant les parures sur un coussin ? aboya le policier visiblement enchanté d’avoir une aussi bonne occasion de se mettre en colère. Je ne suis pas à vos ordres, que je sache ! Alors, laissez-moi faire mon métier comme je l’entends !

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