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Morosini en conclut que le commissaire avait reçu des nouvelles du ravisseur et qu’il allait devoir délivrer en son nom et en celui de Kledermann l’autorisation officielle de disposer de leurs joyaux. Il devait venir seul et, en outre, garder un silence absolu sur ce rendez-vous même vis-à-vis des membres du Comité.

— Je me demande, grogna Adalbert si quelques-uns dudit comité n’en savent pas plus long que nous sur le sujet ?

— Tu penses à Crawford ?

— Bien entendu. Ton dîner d’hier soir me donne l’impression d’une comédie savamment réglée afin de persuader les autres de l’innocence du bonhomme.

— Tu oublies le malaise de Léonora. Ce n’était pas du théâtre, crois-moi !

— Possible qu’un accident se soit produit, c’est même certain. Sans cela lady Mendl n’aurait pas pu explorer la salle de bains. De toute façon cette histoire est de moins en moins claire…

À huit heures un quart, Aldo, en smoking et cigarette aux doigts, sortait de l’hôtel où le service du dîner battait son plein et, du pas d’un flâneur qui s’en va respirer l’air frais avant de se rendre à quelque soirée, franchissait discrètement la grille de la Reine qui céda sous sa main et qu’il referma sans bruit. Après quoi, sous l’abri des arbres il se dirigea vers les Trianons. Respectant les instructions reçues, il avait annoncé à Tante Amélie et à Marie-Angéline qu’il allait souper en tête à tête avec lady Mendl. Ne se doutant de rien, elles y consentirent d’autant plus volontiers qu’Adalbert restait avec elles.

Cette promenade solitaire à travers le parc désert auquel les ombres bleues du soir rendaient son mystère n’avait rien de déplaisant. Aldo aimait trop se plonger dans le passé pour ne pas l’apprécier même s’il s’étonnait d’avoir été convoqué seul. Selon lui, il eût été normal que deux ou trois membres du Comité fussent présents à ce qui ne pouvait être que la remise des joyaux à Lemercier. Mais jusqu’à ce qu’il atteigne la cour d’honneur il ne rencontra personne. Pas même un garde ou un simple policier. Le premier qu’il aperçut patientait sagement au volant d’une voiture noire rangée près de l’entrée du petit château.

Le second faisait les cent pas dans le vestibule éclairé par la lanterne de bronze doré pendue au plafond. Il s’approcha d’Aldo :

— Vous êtes M. Morosini ?

Pour unique réponse Aldo montra son laissez-passer.

— Montez ! Vous êtes attendu dans le boudoir.

Aldo gravit donc l’escalier de marbre, traversa non sans une bizarre émotion les salles à peine éclairées emplies des souvenirs de la Reine où les mannequins portant ses robes et leurs ombres faisaient naître une vie irréelle. Instinctivement il étouffa le bruit de ses pas, peut-être afin de percevoir d’autres échos. Crawford ne prétendait-il pas que Trianon était hanté ? Pour sa part, Aldo n’était pas loin d’être de son avis.

Comme annoncé, il trouva Lemercier assis près de la vitrine à présent à moitié vide. Les glaces que Marie-Antoinette avait fait poser pour isoler sa pièce de prédilection étaient relevées renvoyant à l’infini l’image des deux hommes et celle des quelques meubles.

— Vous êtes ponctuel !

— Pas de quoi s’extasier : c’est chez moi une seconde nature. Où sont les autres ?

— Quels autres ?

— Ceux du Comité : Crawford, Malden, Vernois. Il était normal qu’ils assistent à la remise des bijoux entre vos mains…

— Je les ai déjà, répondit le commissaire en désignant une serviette de maroquin posée sur une console. Si vous voulez vérifier !

Sans répondre Aldo fit jouer la serrure et sortit deux écrins usagés en cuir bleu frappés du monogramme de la Reine qu’il connaissait, mais aussi un troisième nettement plus neuf, qu’il ouvrit avec une exclamation de mécontentement :

— Qu’est-ce que ça signifie ? C’est le collier appartenant à la comtesse Huntington qui était avec eux dans la vitrine et il n’en a jamais été question.

— Si. Je ne vous l’ai pas dit mais j’ai reçu un autre message du ravisseur demandant qu’on le joigne au reste pendant qu’on y était.

— Et vous avez l’accord de la propriétaire ?

Lemercier qui n’avait déjà pas l’air tellement à son aise, fit une affreuse grimace :

— Euh… non ! J’ai bien essayé de l’appeler au téléphone mais elle était allée rejoindre sa fille aux Indes jusqu’à la fin de l’année.

— Il fallait demander son adresse, télégraphier ! Les Indes c’est peut-être le bout du monde mais les Anglais les ont tout de même équipées de moyens modernes…

— Je l’ai fait aussi et je n’ai pas eu de réponse. J’ai même essayé par l’ambassade. Toujours rien ! Or le temps jouait contre nous : il était nécessaire que je me décide puisque l’ultimatum s’achève ce soir. Évidemment, nous allons faire notre maximum pour arrêter ce démon le plus rapidement possible afin de récupérer les joyaux, mais en attendant vous allez remettre les trois écrins…

— Moi ? Mais qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? Je vous ai autorisé à disposer de mes bijoux et de ceux de mon beau-père. Il me semble que c’est suffisant ?

— Je l’ai cru… jusqu’à ce que je reçoive les dernières instructions : c’est vous et vous seul qui avez été désigné pour opérer l’échange entre Mlle Autié et les joyaux. Une voiture vous attend à la porte Saint-Antoine… Je suis désolé mais on ne peut faire autrement !

— Désolé ? Vous n’en donnez pas l’impression ! Depuis ce matin vous aviez largement le temps de me prévenir…

La patience de Lemercier était d’autant plus restreinte qu’il se rendait parfaitement compte qu’il avait le mauvais rôle :

— Justement non ! s’écria-t-il. Il y a seulement une heure que l’on m’a précisé que vous seriez le messager. Jusque-là vous deviez seulement m’autoriser à prendre vos sacrés joyaux !

— S’il n’y avait que les miens je n’y verrais pas d’inconvénient mais je me refuse à emporter le collier de perles !

— Alors, on ne vous remettra pas Mlle Autié. L’homme a été formel : c’est tout ou rien ! À vous de voir !

— Il y a quelque chose qui cloche. Au point où nous en sommes, pourquoi ne vous a-t-on pas demandé aussi le diadème de lady Craven et le collier de la duchesse de Sutherland ?

— D’après ce que j’ai lu dans le catalogue, ils n’ont jamais été portés par Marie-Antoinette puisque certaines de leurs pierres viennent du fameux collier volé par La Motte. Ce doit être un sentimental.

Il avait raison, ce qui augmenta l’irritation de Morosini, furieux d’être battu sur son propre terrain par cette simple évidence. Il savait, en outre, que discuter ne servirait à rien et qu’à présent c’était sur lui seul que reposait la vie de Caroline Autié. Et c’était affreusement désagréable…

Refermant les écrins il les remit dans la serviette.

— Bon ! fit-il calmement. Vous avez gagné ! Au cas où je ne reviendrais pas, j’espère que vous trouverez des paroles convaincantes pour ma famille… Et aussi pour Scotland Yard ! Je n’aimerais pas être à votre place !

— Toujours le goût du drame, hein ? Vous êtes bien italien !… Il n’y a aucune raison pour que vous y laissiez votre peau ! Vous êtes seulement chargé de remettre ça contre une jeune fille ! Le premier imbécile venu saurait le faire…

— Pourquoi ne pas le faire vous-même alors ? Et je ne suis pas italien, veuillez le noter !

— Ah non ? Et c’est où Venise ? En Russie ?

— En Vénétie ! Cela fait toute la différence. Nous sommes toujours la Sérénissime République et n’acceptons pas l’Italie des fascistes ! Sur cette mise au point, que dois-je faire ?

— Prendre la serviette et aller jusqu’à la porte Saint-Antoine. Je vais vous escorter.

— Que d’honneurs ! Vous êtes trop généreux !

Côte à côte les deux hommes descendirent l’escalier et prirent place dans la voiture, qui se mit en marche aussitôt. Le trajet n’était pas long – cinq cents mètres environ. À la porte Saint-Antoine, le gardien, avant d’ouvrir la grille devant eux, vint remettre une clef au commissaire :

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