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A
A

— Eh bien ! Moi qui croyais connaître assez convenablement l’histoire de la tragique équipée de Varennes !…

— Au moins vous êtes fixé ! Cela dit, qu’est-ce que vous vouliez savoir au sujet de ce mauvais drôle ?

— Oh, un simple détail ! Léonard, c’était bien son nom ?

— Comment l’entendez-vous ?

— Je veux dire que c’était son nom de famille ?

— Mais non. Il s’appelait Autié ! Léonard Autié… comme la pauvre fille que l’assassin de Trianon a fait enlever pour nous obliger à lui remettre les parures de la Reine. Personnellement je suis contre !

— Quoi ? Vous voudriez qu’on laisse découper en morceaux cette malheureuse qui n’est pour rien dans cette histoire ?

— Elle porte le sang de ce misérable ! On est toujours plus ou moins responsable de ses ancêtres parce qu’ils revivent en nous.

— Mais il me semble avoir lu quelque part que Léonard avait été guillotiné ?

— C’est son frère qui l’a été… si quelqu’un de ce nom a vraiment laissé sa tête sous le couperet car, en réalité, le bonhomme n’est réellement mort qu’en 1820. En fait, après un séjour à l’étranger il est revenu s’installer à Versailles où on lui donna une place dans les services de remonte de l’armée… et je suppose même qu’il occupait la maison où sa descendante a été enlevée…

— Vous avez raison. Ça expliquerait pas mal de choses…, émit Adalbert songeur…

— Quoi, par exemple ? demanda le professeur avec une avidité que son interlocuteur jugea suspecte.

Mais l’autre battit en retraite :

— Rien de précis encore ! Je… je vous informerai quand j’aurai vérifié un fait ou deux… Cela dit, je crois que je vous ai dérangé suffisamment. Veuillez m’excuser et recevoir mes remerciements !

Cependant il avait mis le vieil érudit sur le sentier de la guerre. Ponant-Saint-Germain n’en avait pas fini avec lui et le coinça dans l’antichambre en le retenant par la manche.

— Ces inestimables joyaux, vous allez vraiment les donner ?

— Ce n’est pas moi, ni même vous : ils appartiennent au prince Morosini et à son beau-père, le banquier suisse Moritz Kledermann. Ce sont eux qui vont s’en défaire… pour que vive cette jeune fille !

— Qu’elle vive ou qu’elle meure, où est l’importance ? Les gens du sang de Léonard ne devraient pas avoir le droit d’exister… surtout à Versailles ! Quant à ces sublimes bijoux qui étaient chers à la plus merveilleuse des reines, il ne faut pas les éparpiller aux quatre coins de l’univers mais les réunir ici, chez elle…

Abasourdi, vaguement écœuré, Adalbert écoutait délirer le vieillard avec un mélange d’indignation et de répulsion. Pourtant il y avait là matière à réflexion. C’était une haine véritable qu’exprimait celui en qui tous voyaient un respectable historien, pittoresque et un rien risible. Se pouvait-il qu’il eût partie liée avec le criminel qui s’intitulait « le Vengeur de la Reine » ?

Du coup, se gardant de lui montrer le papier, Adalbert hâta son départ en bousculant même un peu rudement le personnage et se précipita dans la rue pour remplir ses poumons de l’air calme et frais du matin mais ne s’attarda pas sous les ombrages de la place. Aussi vite qu’il était venu il repartit vers l’hôtel. Il avait quelque chose à faire d’urgence…

Sans ralentir l’allure, il s’engouffra dans le hall, gravit au pas de charge les deux étages et alla frapper chez Mme de Sommières. Comme il le pensait, Marie-Angéline vint lui ouvrir. Elle était dans le petit salon occupée à trier le courrier, toujours abondant, que l’on venait de monter…

— Que s’est-il passé ? s’inquiéta-t-elle tandis que l’arrivant s’effondrait dans un fauteuil. On dirait que vous avez vu le diable ?

— Ça y ressemble ! Quand a lieu votre prochaine réunion avec Ponant-Saint-Germain et sa bande ?

— Je ne sais pas encore. Dans trois jours, je crois… ou trois soirs puisque nous avons reçu l’autorisation de la tenir dans le théâtre de Marie-Antoinette, qu’on ne visite pas en principe à cause de son mauvais état…

— Là ou ailleurs, de toute façon vous n’irez pas !

Le ton était péremptoire. Plan-Crépin réagit aussitôt :

— En voilà une autre ! Et pourquoi, s’il vous plaît ?

— Parce que je commence à penser que ce vieux fou pourrait bien être mouillé jusqu’au cou dans l’affaire des meurtres et de l’enlèvement de Caroline Autié. À propos, vous saviez que cette pauvre fille descend en droite ligne de Léonard, le fameux coiffeur de la Reine ? Il s’appelait en réalité Léonard Autié…

— D’où sortez-vous ça ?

Il le lui dit, lui fit lire le fragment et acheva son propos en restituant presque mot pour mot la philippique du professeur. Et comme elle ne trouvait rien à redire, pour une fois, il conclut :

— C’est la raison pour laquelle il ne peut plus être question que vous vous mêliez à ces gens-là ! Et je suis certain qu’Aldo vous en dira autant quand il rentrera… Dieu sait où peut vous mener ce genre de cinglé ?

— C’est justement ce qu’il faut savoir ! riposta-t-elle après un instant de silence qu’elle employa à décacheter une lettre destinée à Mme de Sommières mais qui, ne présentant aucun timbre postal, avait dû arriver par porteur. Elle la lut, releva les sourcils et s’apprêtait à relire à haute voix quand la marquise fit son entrée. Elle était habillée pour sortir, c’est-à-dire qu’à l’exception de son ombrelle de soie verte il n’y avait aucune différence – robe claire, chapeau et gants – avec ce qu’elle portait entre onze heures du matin et cinq heures du soir. Elle sourit en voyant le visiteur et lui tendit une main sur laquelle il s’inclina :

— Tiens, Adalbert ! Quelles nouvelles ?

Ce fut Marie-Angéline qui répondit en lui tendant la lettre ouverte :

— Nous devrions lire d’abord ceci !

— Qu’est-ce qui vous prend, Plan-Crépin ? Lisez vous-même ! Vous êtes là pour ça, il me semble !

— C’est le marquis des Aubiers qui a eu l’immense bonheur de danser avec nous à plusieurs reprises à Vienne chez le prince Schwarzenberg en 1905 et qui met ses hommages à nos pieds.

Mme de Sommières se mit à rire :

— Je ne me souviens pas que vous fussiez là, vous aussi ?

— Je vous demande pardon ?

— Vous venez de dire : « il a dansé avec nous ». Pour l’amour du Ciel, Plan-Crépin, laisser tomber votre pluriel de majesté quand vous devez décrypter une lettre. On finit par ne plus rien y comprendre !

— Nous sommes d’humeur badine à ce que je vois ! Eh bien, ledit marquis des Aubiers prie Mme la marquise d’accepter de prendre le thé chez lui demain vers cinq heures. Il lui demande en grâce de venir… seule ! C’est-à-dire sans moi !

— Quelle idée ? Mais pourquoi ?

— Parce que, justement, il désire parler de… moi !

Adalbert, du coup, mit son grain de sel :

— S’il s’agit du vieux gentilhomme que Ponant-Saint-Germain à fait expulser l’autre jour au bosquet de la Reine, son invitation tombe à pic. J’aimerais vous accompagner…

— Tant pis pour votre curiosité mais il n’en est pas question. À moins que vous ne me croyiez incapable de lui tirer les vers du nez ? En outre, s’il demande à me voir, c’est qu’il a quelque chose à me dire, non ?

— Inutile d’invoquer le bon La Palice, sourit Adalbert en prenant la main de la vieille dame pour la baiser. Je vous offre mes excuses ! Et Aldo rentre ce soir ! Nous pourrons mettre tout cela à plat et accorder nos violons !…

Mais ce soir-là, on l’attendit en vain.

CHAPITRE X

LE MÉDIUM

Pourtant, il était arrivé à Paris comme prévu. Seulement, il s’était laissé entraîner à commettre une folie.

Tandis qu’à peine débarqué de son train il traversait la gare de l’Est, il aperçut soudain Gilles Vauxbrun. Un instant il crut qu’il venait le chercher mais l’antiquaire ne s’intéressait pas au flot des voyageurs en provenance de Zurich. Le nez en l’air avec sa mine des mauvais jours, il consultait le panneau annonçant les départs. Il avait un imperméable sur le bras, tenait une serviette de cuir et une mallette de crocodile brun était posée à ses pieds. Donc il partait. Mais pour où ?

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