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« Ben voyons ! pensa Aldo, pour avoir amené Keitoun à composition sur la seule présentation d’une carte, il faut que tu aies atteint un fichu degré dans la hiérarchie de la taupinière britannique ! »

Une fois rentrés à l’hôtel et tandis qu’il buvait un dernier verre dans la chambre d’Adalbert, Aldo développa son impression :

— Je me demande si ce n’est pas principalement à Warren qu’il rend de menus services. Par exemple pour s’attacher au parcours de la croix d’orichalque volée au British Museum ?

— Tu pourrais avoir raison. Les « barbouzes » n’ont pas souvent l’air de ce qu’elles sont, approuva Adalbert auquel il arrivait parfois de rendre de discrets services à son pays, ce qui lui permettait d’arrondir encore plus confortablement les contours d’une bourse qui n’avait jamais connu la disette et qui n’en avait guère besoin. En tout cas, on lui doit une fière chandelle. Le gros Keitoun était prêt à nous envoyer finir la nuit sur la paille humide des cachots. Et maintenant, que décide-t-on ?

Aldo considéra sa montre :

— Que dirais-tu de dormir ? Ou de faire semblant ? On a eu notre content d’émotions pour la soirée et demain il va falloir répondre encore aux questions idiotes de ce sac de pistaches.

— Tu peux toujours essayer, moi je crois que je ne pourrai fermer l’œil. Pas après ce à quoi j’ai assisté ce soir. Cette horde de démons surgis de la nuit, ce pauvre type et son serviteur abattus pratiquement sous mes yeux sans que j’y puisse quoi que ce soit… sans compter Salima enlevée, et par qui ?

— Par qui ? Tu es devenu fichtrement naïf tout à coup ! Mais par Assouari, mon vieux ! Le tendre fiancé qu’elle voulait fuir. Ce que je voudrais savoir, c’est pourquoi elle ne s’est pas réveillée plus tôt ?

— Pour gagner du temps, je suppose. Elle accepté les fiançailles dans l’espoir de protéger celui qu’elle aime et aujourd’hui il s’est produit quelque chose qui a précipité sa décision. Elle s’est affolée… et voilà le résultat ! Quant à moi, je sais…

— Inutile de me faire un dessin : j’ai compris. On va s’arranger pour la sortir de ce guêpier !

— Pourquoi « on » ? Cette histoire ne te concerne pas : uniquement Salima et moi. Si je veux risquer ma vie pour elle, tu n’as aucune raison de m’imiter. Pense à ta femme et à tes enfants…

— Encore un mot du même style et tu prends mon poing dans la gueule ! coupa Aldo, furieux. Elle a commencé chez qui, cette histoire ? Chez moi, non ? À qui El-Kouari a-t-il confié l’Anneau ? À moi encore. Il était donc naturel que je m’en mêle et je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas ?

— Ne te fâche pas ! Ce n’est pas d’hier que je sais quel ami tu es mais, en l’occurrence, Assouari ignore sûrement le rôle que tu as joué le soir de sa fichue fête…

— Ah oui ? Alors dis-moi un peu pourquoi j’ai reçu, avant-hier matin, la veste de mon habit et mes chaussures avec quelques lignes disant que, étant donné la qualité de ces vêtements, il serait infiniment dommage de les perdre. On ajoutait même des vœux pour que je n’aie pas attrapé froid en allant prendre un bain de minuit dans le Nil. Ce qui veut dire que, non seulement il connaît mes faits et gestes par le menu, mais, en plus, il se fout de moi ! Je te laisse tirer tout seul la conclusion qui s’impose.

Il se dirigea vers la porte, suivi par le regard redevenu ironique d’Adalbert :

— Quo  vadis, Domine (16)  ?

Aldo haussa des épaules agacées :

— Ayant été nul en latin, je te répondrai en bon français : voir Tante Amélie ! Elle ignore ce qu’il vient de se passer parce qu’elle et Plan-Crépin ont été invitées à dîner chez la romancière anglaise. Il y a une chance qu’à cette heure-ci elles soient rentrées. Ça va sûrement les intéresser.

— Ou leur couper la digestion. Allons-y !

Les deux femmes venaient en effet de rentrer. Assises dans le petit salon qui séparait leurs chambres, elles commentaient la soirée et s’apprêtaient à boire le verre de champagne qui avait manqué au menu quand Aldo, après avoir frappé, passa la tête dans l’entrebâillement de la porte :

— On peut vous déranger ? Je vous ramène un revenant, dit-il en s’écartant pour laisser le passage à Adalbert.

Lequel fut accueilli, naturellement, avec le plaisir auquel il pouvait s’attendre. Marie-Angéline en eut les larmes aux yeux. Cependant, si elle embrassa l’arrivant, Mme de Sommières émit une certaine réserve :

— Vous pensez bien que je suis enchantée de vous revoir, Adalbert, mais mon neveu n’a-t-il pas précisé, en nous annonçant votre récupération, que vous deviez rester caché ? Que s’est-il passé ?

— On ne peut rien vous dissimuler longtemps, n’est-ce pas, Tante Amélie ? soupira Aldo en acceptant la coupe que lui offrait Plan-Crépin. Il s’est déroulé un drame : pendant qu’El-Kholti dînait avec Adal, Salima est arrivée en trombe, suppliant le garçon de partir sur-le-champ avec elle…

Et il raconta les tragiques événements de la nuit :

— Et voilà ! Le jeune Karim et son serviteur sont peut-être morts à l’heure qu’il est. On passera à l’hôpital avant d’aller à la police dans la matinée. Quant à Salima, elle est plus que jamais au pouvoir de l’homme qui, très certainement, a fait assassiner son grand-père !

— N’aurait-il pas été plus facile pour elle de commencer par refuser de se fiancer avec lui ? fit dédaigneusement Marie-Angéline.

— Assouari la menaçait de tuer Karim si elle n’acceptait pas… Non seulement il prétend l’aimer, ce que j’admets volontiers, mais en outre, elle fait partie du plan qu’il a conçu pour récupérer la tombe de la Reine Inconnue dont il guigne les richesses… supposées ! Puisqu’on se perd en conjectures.

— Ce que je comprends mal dans cette intrigue, c’est le rôle de la princesse Shakiar ? dit la marquise. Curieuse bonté que de presser cette malheureuse de profiter d’une absence de Barbe-Bleue pour prendre la poudre d’escampette avec son amoureux ! Elle aurait voulu la perdre qu’elle n’aurait pas fait mieux !

— Ce qui démontre que c’est la pire des garces ! grogna Adalbert. Mais ça, on le savait déjà !

— C’est bizarre ! Moi, elle ne m’a jamais donné cette impression ?

Trois paires d’yeux se braquèrent sur elle :

— Nous la connaissons ? lâcha Marie-Angéline. Première nouvelle !

— Connaître, c’est beaucoup dire. Il m’est arrivé de la rencontrer au cours d’un voyage que je faisais avec une amie. C’était avant vous, Plan-Crépin, et elle était reine à cette époque. Toquée de bijoux, de fêtes, ça oui ! Mais plutôt généreuse et, à tout prendre, assez sympathique. Pas très futée, je vous l’accorde !

— Et vous ne nous le dites que maintenant ? protesta Aldo. Pourquoi avoir fait comme si de rien n’était quand je vous ai raconté son comportement envers moi ?

— Parce que cela me semblait sans importance. Et puis nous n’avons pas noué des liens d’amitié. Enfin, si vous voulez tout savoir, je voulais me donner le temps d’étudier le sujet. Vous avez à y redire ?

— Et où en sommes-nous ? lança Marie-Angéline à la limite de l’insolence. Voilà une femme qui…

— Cela suffit, Plan-Crépin. Vous n’êtes pas assermentée, que je sache, par un tribunal chargé de me juger et je vous conseille de vous tenir tranquille !

— Aucun de nous ne pense une chose pareille, Tante Amélie. Admettez seulement que nous soyons surpris ?

— J’avoue que sa conduite envers toi m’a donné à réfléchir. Cela est si éloigné de la femme d’autrefois ! Ou alors il faut en venir à conclure qu’elle a beaucoup changé. Sans doute sous l’influence de son frère. Lui, je ne l’ai jamais rencontré et il me fait l’effet d’être un de ces seigneurs forbans comme le Moyen Âge en a tellement vu fleurir…

— Et les femmes d’Orient sont le plus souvent soumises aux hommes de leur famille, soupira Adalbert. Shakiar n’est plus reine : elle doit obéissance à son chef de clan…

— … jusqu’à accepter de tendre un piège aussi ignoble à une innocente ? Cela me paraît énorme. Si les espérances d’Assouan concernant la tombe sont à ce point précises, Shakiar devrait au contraire pousser à ce mariage dont elle ne peut que profiter.

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