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— Il faut que je te parle. J’ai pensé…

— Moi aussi, il faut que je te parle, riposta Adalbert, et il était évident qu’il était furieux. Qu’est-ce que tu es allé raconter à Henri ?

— À propos de quoi ?

— De Salima, parbleu ! Il a fallu que tu lui dises qu’elle m’avait laissé tomber pour rester avec Duckworth ? Peux-tu m’expliquer en quoi ça te regarde ?

« Seigneur ! pensa Morosini. Ça recommence comme pendant cette fichue traversée de l’Atlantique où nous étions à couteaux tirés à cause d’une Américaine à moitié folle qui se prenait pour une réincarnation de Néfertiti. Après la fausse Égyptienne, la vraie ? » Puis à haute voix :

— Je te ferai remarquer que, si je n’avais pas rencontré ta belle à la Citadelle du Caire, tu l’accuserais encore de trahison. C’est elle, n’est-ce pas, qui, en me chargeant de te délivrer son message, m’a mis dans le bain, ce qui t’a permis de voir la lumière ? Oui ou non ?

— Oui, mais ce n’était pas une raison pour le servir tout chaud à Henri au moment où cette pauvre petite se trouve confrontée au meurtre sauvage de son grand-père ?

En dépit de la moutarde qui lui montait au nez à la vitesse grand V, Aldo s’efforça de se contenir :

— Essayons de voir les choses en face, si tu le permets ! Notre hôte est tombé, en arrivant au château, sur la sortie… pas très chaleureuse pour toi, de la jeune Salima, ce qui l’a surpris. Je me suis borné à lui dire que vous aviez travaillé ensemble et que ça ne s’était pas déroulé d’une façon satisfaisante. Un point, c’est tout !

— Tu sais pertinemment que c’est faux. Au contraire, ça marchait comme sur des roulettes. C’est une merveilleuse élève. Il y a seulement eu ce petit malentendu.

— Ah, parce que tu appelles cet exploit un petit malentendu ? Alors que je t’ai retrouvé en train d’étrangler ce Duckworth, non ?

— Si… mais j’avais mes raisons !

— Comment donc ! Et si je ne t’avais pas rapporté son message, lénifiant encore qu’obscur, tu continuerais à lui courir sus afin d’achever ta besogne !

— Peut-être… mais je crois t’en avoir remercié… Aussi, tout à l’heure, il eût été préférable que tu ne t’en ouvres pas à Henri ! Misogyne comme il est…

— Avoir passionnément aimé sa femme et ne l’avoir pas remplacée par une autre, je n’appelle pas ça de la misogynie.

— Moi si, parce que ça concerne les autres femmes. Il ne connaissait pas Salima et grâce à toi il va l’avoir dans le nez.

— Oh, tu commences à m’agacer ! Veux-tu que je lui demande de venir répéter devant toi ce que nous nous sommes dit ?

— Je ne doute pas un instant que vous soyez en accord parfait sur le sujet, ricana Adalbert, et je n’ai pas envie d’entendre votre numéro de duettistes ! La vérité est que tu n’aimes pas Salima pour je ne sais quelle raison et que…

— Et voilà ! C’est reparti ! lâcha Aldo, exaspéré. J’aimerais savoir pourquoi tu deviens idiot quand tu es amoureux ? Cet air-là, tu me l’as chanté deux fois. Cela fait trois et pour moi c’en est une de trop ! Aussi je vais te laisser à tes amours exotiques et rentrer au Caire par le premier train !

Il ne se rendait pas compte qu’il avait élevé le ton et que sa voix portait loin. Soudain, Lassalle se matérialisa derrière eux :

— Vous voulez nous quitter ? Ce n’est pas sérieux ?

— Oh, si, Monsieur ! Vidal-Pellicorne estime que je me mêle de ce qui ne me regarde pas et je n’ai plus rien à faire ici… sinon vous remercier de votre hospitalité. Ce voyage en Égypte n’avait aucun sens. Je lui devrai cependant de vous avoir rencontré…

Le vieil homme sourit :

— J’en ai autant à votre service… mais vous ne pouvez pas partir !

— Pourquoi non ?

— L’enquête ! Que vous le vouliez ou non, vous y êtes mêlé et le bon Keitoun ne le permettrait pas ! Il a gardé votre passeport.

— Je peux essayer de m’en passer… Et avec de l’argent…

— Soyez certain qu’il vous rattrapera… et que vous deviendriez franchement suspect ! Que voulez-vous, il est ainsi ! Un peu borné !

Aldo réfléchit un instant, puis :

— En ce cas, je vais me replier sur le Cataract, si vous avez l’obligeance de demander à votre majordome de m’y retenir une chambre et de m’envoyer une voiture.

Le regard de Lassalle alla d’Aldo qui affichait un sourire courtois à Adalbert qui à présent tournait carrément le dos :

— Mais… vous êtes réellement fâchés ?

— Croyez que je le regrette. Au revoir, Monsieur… et encore merci de votre accueil !

Une demi-heure plus tard, il était parti sans qu’Adalbert fît la moindre tentative de rapprochement. Il fallait vraiment que cette fille lui tienne à cœur. Aldo ne le revit pas. Seul M. Lassalle l’accompagna jusqu’à la voiture et, au moment de se séparer, lui serra vigoureusement la main :

— À bientôt, j’espère ! (Et plus bas :) Ne vous tourmentez pas trop ! Je le connais comme s’il était mon fils et je vous donnerai des nouvelles.

— J’ai peur qu’il ne soit gravement atteint…

— On agira en conséquence…

Grâce à lui, Aldo se sentit un peu moins triste en quittant la maison des Palmes. Il eut la tentation, pendant qu’il refaisait ses bagages, de glisser l’anneau d’orichalque dans une enveloppe et de le faire porter à Adalbert avant son départ. Mais la crainte qu’il ne se change illico en présent d’amour pour une femme dont il se méfiait de plus en plus le retint. Le talisman resta dans sa chaussette. C’était moins glorieux mais plus sage.

En arrivant à l’hôtel, Aldo fit monter ses bagages dans sa chambre et, sans se donner la peine d’aller voir à quoi elle ressemblait, se lava les mains et se rendit à la salle à manger dans l’espoir d’y rencontrer Tante Amélie. Comme il était déjà tard, le service du déjeuner devait tirer à sa fin mais sa querelle avec Adalbert lui avait coupé l’appétit et un café lui suffirait.

Quand il l’aperçut, elle s’apprêtait à sortir de table en compagnie d’un couple dans lequel il reconnut le colonel Sargent et sa femme. Ils semblaient s’entendre à merveille tous les trois et Tante Amélie riait de bon cœur. Plan-Crépin brillait par son absence et devait être en train de dessiner dans le temple de Khnoum.

Peu désireux de mêler son humeur noire à ces instants de détente amicale, il refluait vers le hall quand elle l’aperçut et, sans hésiter, abandonna les Anglais pour le rejoindre.

— Que fais-tu là tout seul ? Tu as l’air d’un chien perdu !

— Il y a du vrai dans ce que vous dites ! reconnut-il en s’efforçant de sourire. Mais rejoignez vos amis. On a largement le temps de se voir puisque je viens d’emménager ici.

— Adalbert n’est pas avec toi ?

— Non. Il est resté chez M. Lassalle…

— Tiens donc ! Et c’est ce qui te met la figure à l’envers ? As-tu déjeuné ?

— Non, mais je n’ai pas faim.

— Même pour un café ? On va aller le prendre au bar. Il est meilleur qu’au restaurant !

Ils prirent place à une table en terrasse abritée par un buisson d’hibiscus, vers laquelle un serviteur se précipita aussitôt. La marquise commanda des cafés et des pâtisseries.

— Je vous ai dit que je n’avais pas faim, protesta Aldo.

— Très mauvais de rester l’estomac vide quand on a de la peine ! En outre, tu adores les mille-feuilles et le chef pâtissier en fait d’admirables ! Et maintenant, raconte ! Vous vous êtes disputés ?

— J’ai grand peur que ce ne soit pire. Nous sommes brouillés. Je ne vous cache pas que, si je n’étais contraint de rester à cause de l’enquête sur l’assassinat d’Ibrahim Bey, je serais déjà en route pour la gare.

— Qu’est-ce que tu as à voir avec la mort de cet homme ?

— Adalbert et moi avons été ses derniers visiteurs avant les meurtriers. Par-dessus le marché, le chef de la police du coin est loin d’être un aigle et il conserve mon passeport. Par conséquent, je suis bloqué.

— Ce n’est peut-être pas plus mal !

Les mille-feuilles arrivaient avec le café auquel Mme de Sommières fit ajouter un verre d’armagnac. C’était si appétissant qu’Aldo n’y résista pas.

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