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Adalbert préféra ne pas palabrer. Il avait hâte d’être à pied d’œuvre.

— Mais, au fond, pourquoi n’avez-vous pas appelé vos amis qui s’étaient si bien occupés de Michel Berthier ? Avec des pioches, vous élargissiez la faille et…

— Le temps que je les réunisse et il était déjà trop tard. La nuit était avancée quand je l’ai entendu à travers le mur. En outre, nos… croyances sont hostiles à la violence, même envers certains lieux. Mais rassurez-vous, quelqu’un nous attend là-haut muni des outils adéquats. En revanche, nous allons prendre des armes.

— Moi, j’ai ce qu’il faut mais vous ? Où comptez-vous en trouver ?

— Chez moi, bien sûr !

— Je vous croyais plus druide que tous les autres et à part la faucille d’or…

— On peut être druide et collectionneur ! Et puis j’ai fait la guerre, mon garçon ! Là-dessus, on mange un morceau et on va rejoindre Sulpice !

Le temps de faire disparaître une terrine de rillettes arrosée de saumur-champigny et d’opérer un choix dans le véritable arsenal des armes – certaines fort anciennes, il fallait en convenir ! – du professeur et l’on repartait en direction de la forêt.

Bien que les hivers soient doux en Touraine, la nuit de janvier était plus que fraîche. En outre, il n’y avait pas de lune. Il fallait posséder une vue de rapace nocturne pour s’y retrouver et c’était apparemment le cas du professeur, car s’étant installé d’autorité au volant, il les dirigea vers la forêt et piqua des deux sans ralentir… et sans allumer les phares. Adalbert regardait défiler les arbres dénudés en se demandant lequel allait avoir l’honneur de les recevoir et fermait les yeux de temps en temps, mais en une vingtaine de minutes, on fut sur les lieux. Justement dans l’étroite clairière où l’on avait recueilli Michel Berthier quelques mois auparavant.

Se trouvait là, assis sur le banc de pierre, un fac-similé d’homme des cavernes : barbu, chevelu au point que l’on ne distinguait aucun trait de son visage et qui, en se dépliant, dépassa les deux arrivants d’une bonne demi-tête. Il ne lui manquait qu’une tunique en peau de bête et une massue pour ressembler totalement à son lointain ancêtre.

— Voilà Sulpice ! présenta sobrement le professeur. Tu as repéré l’endroit ? lui demanda-t-il.

— C’était facile. Vous avez clairement expliqué… La trappe s’est soulevée presque toute seule…

— Moi, j’ai eu plus de mal que toi la nuit dernière. Il est vrai que je n’ai ni ton âge ni ta force.

— Tout de même, je trouve que vous vous défendez pas mal pour v… un monsieur distingué. Les torches sont en bas : on les allumera une fois la trappe refermée.

Les torches à présent ! Adalbert se demanda s’il n’avait pas reculé de plusieurs siècles. Aussi, avant de s’enfoncer dans les entrailles de la terre, déclencha-t-il sa lampe électrique qu’il portait à la ceinture, éclairant ainsi les marches sous les pieds du professeur qui descendait en premier, Sulpice venant ensuite. Pour Adalbert, sa présence avait un effet rassurant car, bien qu’il n’eût rien à reprocher à sa propre force, celle de l’unique descendant des Combeau-Roquelaure, long comme un jour sans pain et maigre comme un clou, lui inspirait quelques doutes dès l’instant où il s’agissait de s’attaquer à un bloc de roche.

— Pardonnez ma curiosité, Monsieur Sulpice, mais que faites-vous dans la vie ?

Le professeur répondit pour lui :

— Il est tailleur de pierre ! Peut-être le meilleur du pays… seulement il n’est pas bavard pour un sou.

— Beau métier ! apprécia Adalbert. S’ils le pratiquent de père en fils dans la famille, il descend de ceux qui ont bâti les cathédrales !

Au bas de l’escalier humide et glissant à se rompre le cou, deux galeries se présentaient. On prit celle de droite et l’archéologue dut admettre que l’éclairage des torches donnait plus de lumière que sa lampe de poche. Enfin on fut devant la paroi et le vieil homme désigna à son ancien élève la fissure en question.

— C’est là ! Allez-y !

— Aldo ! appela-t-il en maîtrisant sa voix, de crainte qu’elle ne soit perçue ailleurs. C’est moi, Adalbert ! Tu m’entends ?

Pas de réponse.

— Aldo ! reprit-il plus fort. Réveille-toi, si tu dors ! Aldo, réponds, sacrebleu !

Toujours rien !

— Qu’est-ce qui se passe ? fit Adalbert d’une voix que l’inquiétude faisait trembler. On l’a changé de prison ? Quelqu’un vous a peut-être repéré la nuit dernière ?

— Ça me paraît improbable. Il y a au-dessus de nous une belle épaisseur de roche et de terre…

À son tour il appela, mais sans plus de résultat. Alors, Sulpice le prit par le bras :

— Laissez-moi faire, Monsieur Hubert ! Reculez-vous, tous les deux !

Il avait empoigné sa pioche, un outil de son calibre, prit son élan et frappa. Le coup résonna dans les tympans d’Adalbert qui avait l’impression qu’il avait dû retentir à l’autre bout de la terre, mais la fissure s’était un peu agrandie.

— La roche est trop dure par ici, commenta Sulpice avant d’en asséner un deuxième, puis un troisième et un quatrième, emportant chaque fois un morceau de pierre.

Déjà, dès le premier impact, on avait pu apercevoir les charbons rougeoyants du brasero.

— Élargis un peu plus, que je puisse passer la tête !

Sulpice s’exécuta et Adalbert glissa non seulement la tête mais aussi un bras, resta ainsi quelques instants puis soupira, désolé :

— Il n’y a personne. Le lit n’est pas défait et tout a l’air d’être en ordre. Je crains, professeur, ajouta-t-il en se dégageant, que l’on ne vous ait entendu hier et qu’on l’ait mis ailleurs. Ou alors…

— Vous pensez quoi ?

— J’aime mieux ne pas penser ! Sinon pour trouver le moyen d’entrer dans ce château de malheur, puisque vous dites qu’on est en dessous ou presque !

— Vous avez raison. Allons explorer l’autre galerie. Celle-ci est un cul-de-sac…

Depuis qu’à travers le mince interstice il avait reconnu son cousin Hubert et pu lui parler, Aldo s’était senti revivre. D’abord il savait enfin où il était et en éprouvait une profonde satisfaction, même s’il ne comprenait pas bien pourquoi on le tenait captif à la Croix-Haute et surtout depuis si longtemps ! Se faire remettre une rançon n’en demandait pas tant et il ne voyait pas ce que l’on pouvait lui vouloir en dehors de cela…

Tous ces points d’interrogation disparurent quand le professeur lui eut promis de le sortir de cette impasse en revenant vers minuit le soir suivant avec l’outillage nécessaire et les armes. En revanche, jamais journée ne lui parut plus interminable. Il en compta les heures l’une après l’autre. Tellement énervé qu’il fit semblant de dormir quand un de ses geôliers vint renouveler les provisions de charbon comme tous les soirs vers 7 heures. Il en retira d’ailleurs la pensée réconfortante de ne plus être dérangé avant le lendemain matin…

Incapable d’avaler quoi que ce soit, il but un verre d’eau et se recoucha, non pour dormir mais pour essayer au moins de se détendre. Sans grand succès : son cœur battait la chamade. C’était une bien belle chose que l’espérance, mais elle vous secoue tout autant qu’une vraie joie ! Aucune crainte de s’endormir ! L’idée seule de quitter ce trou à rats, de revoir le ciel, le soleil, ses amis, sa famille, même s’il s’attendait à en découdre pendant quelque temps au moins avec Lisa ! Il pourrait embrasser ses enfants, et Tante Amélie et Plan-Crépin… Peut-être même cet âne bâté d’Adalbert, s’il se décidait à revenir à la raison et à abandonner sa prima donna ! Quoi qu’il en soit, même une bagarre serait la bienvenue…

La demie de 11 heures venait de sonner au clocher du village quand la porte s’ouvrit accompagnée de son fracas habituel et Max entra, escorté d’un autre forban encagoulé mais, cette fois, armé d’un fusil-mitrailleur.

— Debout ! intima-t-il. Tiens, tu t’es couché tout habillé ?

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