Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Suivez-moi, Monsieur le professeur ! Je vous conduis !

— Ça suffit peut-être, le protocole ! Je connais la maison !

Et la repoussant sur le côté, il fonça jusqu’au jardin d’hiver où Mme de Sommières l’attendait, auréolée de rotin blanc, et de sa dignité.

— Bonjour, Hubert !

— Bonjour, Amélie !… Vous n’avez pas bonne mine !

C’était exact mais la marquise n’aimait pas qu’on le lui rappelle.

— Et vous, vous ne rajeunissez pas !

L’atmosphère s’annonçait glaciale à souhait !

Plan-Crépin, les mains sur le ventre et la bouche pincée, ne faisait rien pour moucheter les fleurets, aussi Adalbert décida-t-il de s’en mêler même si ça ne le regardait pas :

— Bon ! Je sais que vous vous détestez cordialement, mais puis-je vous rappelez qu’il est question d’Aldo ? Et que, selon le professeur, il est vivant !

Les yeux de Tante Amélie s’embuèrent de larmes et elle y porta aussitôt ses deux mains, puis les retira.

— C’est vrai ! Pardonnez-moi, Hubert, et asseyez-vous ! On va vous apporter du café…

— Si cela ne vous fait rien, j’aimerais mieux un verre de bordeaux et un sandwich. J’ai pris le train de 6 heures et je n’ai pas déjeuné, moi !… Et ça sent diantrement bon chez vous !

Brusquement elle éclata de rire.

— C’est trop ridicule ! Nous non plus, figurez-vous ! Nous en étions aux hors-d’œuvre ! Plan-Crépin, faites rajouter un couvert et retournons dans la salle à manger ! Venez, Hubert !

Et elle lui tendit une main qu’il se hâta de prendre entre les siennes… et qu’il baisa. Ce qui donna à penser à Adalbert… Il se demanda si, au fond de cette vieille haine, il n’y avait pas une histoire d’amour qui aurait mal tourné et se promit d’en toucher un mot à Marie-Angéline… mais plus tard, quand on serait sortis du cauchemar…

Pour l’instant on en était encore là et, sans attendre que l’on soit assis, Adalbert demanda :

— Où est-il ? À Chinon, je suppose ?

— Sinon, qu’est-ce que je viendrais faire ici ? Pour préciser, je dirais dans une ancienne habitation troglodyte dont l’entrée a été bouchée et qui n’ouvre plus sur l’extérieur que par une espèce de soupirail…

— Pourquoi a-t-elle été bouchée ?

— Oh ! Ça a dû être maçonné il y a deux ou trois siècles et sans doute par les châtelains de la Croix-Haute qui ont probablement jugé utile de la convertir en prison. De plus le château n’a pas été bâti dessus mais il n’en est pas loin.

— Et comment l’avez-vous découverte, professeur ?

— Je reconnais que c’est un coup de chance parce que, si je lis les journaux comme le commun des mortels, je n’imaginais pas un instant que Morosini pût être dans mon coin. Mais je vous explique ! Depuis quelque temps, dans le cadre de mes travaux sur la civilisation… celtique, j’effectuais des recherches dans le but de retrouver une salle souterraine servant autrefois au culte secret des… et dont j’étais persuadé qu’elle existait. Peut-être même était-elle reliée aux souterrains de la Croix-Haute. Le hasard m’a servi, car j’avais repéré une entrée cachée dans un amas de roches à la lisière de la forêt. La nuit dernière, je me suis lancé dans l’aventure…

— Tout seul ? interrogea Marie-Angéline.

— Bien entendu ! Tant qu’on n’a pas de certitude, la solitude est toujours préférable dans ces cas-là ! Quoi qu’il en soit, j’ai pu explorer, après un petit travail de déblaiement, une galerie tournante tout à fait intéressante, présentant même certains dessins qui m’ont fait comprendre que j’étais sur la bonne voie… À la lumière de ma torche…

— Une torche ? Au XXe siècle ? le coupa à nouveau l’incorrigible. Vous ne connaissez pas les lampes électriques ?

— Plan-Crépin ! reprit la marquise. Essayez de vous taire un moment !

— Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Les torches possèdent des vertus évocatrices…

— Professeur ! plaida Adalbert à son tour. Ayez pitié de nous ! La galerie d’abord…

— J’y reviens ! Je m’affairais à examiner un dessin extrêmement curieux qui… (il était parti pour le décrire, quand un coup d’œil furieux de Mme de Sommières coupa court à la conférence !)… quand je me suis entendu appeler par mon nom et à plusieurs reprises. Guidé par le son, j’ai découvert dans la muraille une fissure assez longue mais qui allait en se rétrécissant de l’extérieur vers l’intérieur. C’est ainsi que Morosini pouvait me voir nettement alors que, moi, je ne voyais rien du tout. Il était fort surpris d’ailleurs, parce qu’il ignorait totalement où il se trouvait. C’est là qu’il m’a appris qu’après avoir été enlevé à Paris on l’enfermait dans cette espèce de tombeau depuis plusieurs semaines.

— Qu’avez-vous fait ?

— Le jour allait venir bientôt et nous sommes convenus d’agir la nuit prochaine avec le matériel nécessaire pour pratiquer une ouverture dans la paroi…

— Et pourquoi ne pas prévenir la police ? s’étonna Plan-Crépin.

— Ce serait du temps gâché, ça laisserait aux ravisseurs le loisir de déménager leur prisonnier… et puis le commissaire Desjardins est en train de marier sa fille à Nantes et j’ai peu d’estime pour les lumières intellectuelles de Savarin. J’ai donc pensé à vous, Adalbert. Seulement votre téléphone ne marchait pas. Il ne me restait plus qu’à sauter dans le train de 6 heures… Cela posé, si nous voulons être à pied d’œuvre ce soir, il vaudrait mieux ne pas s’éterniser dans les délices de cette maison. Nous avons un train à 16 heures et…

— Jamais de la vie ! fit Adalbert. On y va en voiture ! La mienne fait presque autant de bruit que la vôtre mais elle va plus vite !

— Dites que vous allez ameuter tout Chinon, protesta la marquise, et pour une expédition qui se veut discrète !… Vous seriez mieux inspiré de louer un bolide moins sonore au garage d’Aldo ! Et plus confortable ! Je me demande de quoi aura l’air ce pauvre Hubert quand vous l’aurez fait sauter comme une crêpe durant quelque deux cent cinquante kilomètres !

— Et moi, émit Plan-Crépin prête à pleurer, je ne fais rien ?

— Que si ! Vous avez le courrier à dépouiller, des lettres à écrire… et un coup de téléphone à donner !

— À qui ?

— Mais au commissaire principal Langlois, ma fille ! Vous ne croyez pas qu’il serait bon de lui communiquer les dernières nouvelles ? Même si, dans l’état actuel des choses, on ne peut accuser les occupants de ce fichu château, je suis certaine qu’il serait plutôt content, non ? Surtout si vous lui indiquez l’adresse et le numéro de téléphone du professeur ! Et ce qui se prépare !

— J’y cours !

Deux heures plus tard, les deux hommes quittaient la rue Alfred-de-Vigny après avoir répondu pendant un moment à Langlois qui les avait priés de l’attendre. Ce qui avait fait trépigner le professeur.

— On perd du temps ! répétait-il.

En fait, on en perdit beaucoup moins que si l’on s’était rendu Quai des Orfèvres parce que la sirène de police qui précédait le commissaire avait déblayé les rues jusqu’à ce que l’on fût en vue du parc Monceau. Et il ne resta pas longtemps : juste ce qu’il fallait pour extraire du professeur un maximum de renseignements. Après quoi, il leur souhaita « bon voyage ». De son côté, Adalbert ronchonnait, déçu de n’avoir pu obtenir du garage des Ternes la grosse Delage qu’Aldo avait coutume de louer, et il dut se contenter d’une Renault presque neuve, pas tout à fait aussi rapide mais remarquablement silencieuse. Ceci compensant cela, il finit par en prendre son parti en écoutant d’une oreille distraite le cours magistral sur les vestiges celtes au confluent de la Loire et de la Vienne. Il n’en était pas moins au bord de la crise de nerfs quand on entra dans Chinon un peu après 9 heures du soir : pour comble du bonheur, l’un des pneus neufs avait crevé et il avait été obligé de changer la roue.

— Il y a des jours comme ça où tout va de travers, lui confia son compagnon d’aventure en guise de consolation. Et demain est un autre jour !

71
{"b":"155360","o":1}