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A
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— Je voudrais pouvoir me reposer. Voilà des jours que je ne dors plus…

— Vous ne voulez pas déjeuner avec nous ? proposa Adalbert. Vous n’avez pas dû manger beaucoup non plus ?

— Non merci. Je voudrais seulement dormir. Si j’ai besoin de quelque chose, je le ferai monter.

— De toute façon, intervint Simonnet qui venait de se faire attribuer une chambre, je reste avec elle. C’est le journal qui prend les frais en charge. Vous pouvez repartir tranquilles…

— Je croyais, ironisa Morosini, que vous vouliez « couvrir l’événement » ? C’est à Chinon qu’il est, l’événement ! C’est là qu’officient le commissaire Desjardins et l’ineffable inspecteur Savarin !

— Sans doute, mais l’article débute par l’aventure de Berthier. Donc il faut que je puisse lui parler dès que possible. Aussi vous pouvez nous abandonner sans soucis. Je vais me procurer une voiture et nous nous reverrons demain…

Ayant dit, il se précipita à la suite de la jeune femme qui s’était dirigée vers l’ascenseur. L’instant suivant, ils avaient disparu dans les hauteurs de l’hôtel, laissant les deux compères tout de même un peu surpris de s’entendre congédier avec tant de désinvolture :

— Qu’est-ce que tu dis de ça ? émit Adalbert.

Sa mine offensée fit rire Aldo.

— Qu’il te rend la monnaie de ta pièce, mon bon. Tu ne lui as pas envoyé dire qu’on n’avait pas envie de jouer les chauffeurs de maître !

— Désolé, mais il m’a tapé sur les nerfs au premier coup d’œil avec ce style « british » qu’il se donne. C’est d’un ridicule !

— Tous les goûts sont dans la nature et il espère sans doute impressionner Caroline !

— Si j’ai bonne mémoire, c’est plutôt toi qui l’impressionnais lors de notre équipée à Versailles !

— Béguin de gamine malheureuse ! Rien de bien méchant ! fit Aldo en haussant les épaules. Depuis elle a trouvé le bonheur avec un garçon charmant dont elle a un petit et qui lui a donné une vie confortable, sans problèmes…

— … en dehors de ceux inhérents aux reportages dangereux ! Maintenant qu’est-ce qu’on décide ? Toi, je ne sais pas, mais moi…

— Tu as faim ? Tu as toujours faim ! Alors on va déjeuner mais pas là !

— Par crainte de voir rappliquer Simonnet en jappant d’ici dix minutes pour se faire inviter ? Ne te tourmente pas, j’ai ce qu’il nous faut !

Un bon moment plus tard, convenablement lestés, ils reprenaient la route de Chinon après un bref passage à l’hôpital où l’interne désormais en charge de Berthier les reçut brièvement. Tout s’était déroulé au mieux. L’opéré avait repris connaissance normalement et, si aucun incident ne se présentait, pourrait être transféré à Versailles dans une clinique de rééducation. Il attendait pour le moment l’arrivée de sa femme.

— Je vous préviens, fit Adalbert perfidement, qu’elle est suivie à la trace par un confrère de son époux…

— Ah, non ! Pas de journalistes ! La police elle-même devra attendre demain, comme je viens d’en informer le commissaire Desjardins qui a téléphoné ! Rien que sa femme !

— C’est parfait ! Merci, docteur ! conclut Aldo. On reviendra demain prendre de ses nouvelles…

Perdus chacun dans ses pensées, on roula un moment en silence. Ce fut seulement au bout d’une quinzaine de kilomètres qu’Aldo suggéra, pensant tout haut plutôt qu’entamant une conversation :

— Au fond, il n’y a aucune raison de revenir. On pourrait se contenter de passer un coup de téléphone ?

Adalbert que la digestion harmonieuse d’un sandre au beurre blanc incitait à la somnolence sursauta.

— De quoi parles-tu ?

— De ce que j’ai dit au toubib : on reviendra prendre des nouvelles. C’est idiot ! Je répète : on peut aussi bien téléphoner…

— … et de n’importe quel bled. Tu n’aurais pas envie de rentrer à Paris par hasard ?

— Si, parce que j’ai franchement l’impression de perdre mon temps dans un endroit où nous ne sommes plus d’aucune utilité maintenant que Berthier a été retrouvé.

— Toi, tu n’as pas avalé l’accueil… désinvolte de la belle Caroline !

— Ne dis donc pas de sottises !

— J’avoue qu’il y a de quoi être déçu ! Elle te supplie, noyée de larmes, de partir en croisade pour lui ramener un époux probablement en danger. Tu t’exécutes sans discuter, tu retrouves l’absent…

— Hé là ! Je n’y suis pour rien ! Sans toi, le professeur et…

— Arrête ! On ne va pas faire les comptes ! Quoi qu’il en soit, on le remet en circulation et quand tu serais en droit d’attendre ne serait-ce qu’un « merci » ému, c’est à peine si, en arrivant à la gare, la ravissante te dit bonjour ! Or, si j’ai bonne mémoire, elle avait dans l’œil une lueur d’attendrissement quand elle te contemplait sous les ombrages des Trianon…

— Ne déraille pas ! On a failli mourir ensemble, c’est entendu, mais depuis elle s’est mariée avec un charmant garçon et elle a eu un enfant, je te le répète ! Cela vous change une femme et je te rappelle que j’avais d’autres chats à fouetter ! Cela dit, oui, j’ai très envie de reprendre la route de Paris !

— Sans résoudre les mystères locaux ? Sans savoir si Van Tilden a été assassiné ou pas ? Qui a tué Dumaine ? Qui sont ces gens mystérieux qui ont sauvé Berthier… Je t’ai connu plus curieux.

— Moi aussi. Je dois me faire vieux !

— Va dire ça à un cheval, il te donnera un coup de pied ! Et la Chimère fabuleuse de ce bon César ? Elle ne te dit rien non plus ?

— Ce que tu peux être agaçant quand tu t’y mets ! Je conviens volontiers que j’aimerais la contempler mais si, pour ça, il faut violer à nouveau un tombeau, cela ne me tente pas le moins du monde !

— Je te rappelle que Desjardins va faire ça pour nous puisqu’il veut demander l’autopsie de Van Tilden. Elle va peut-être se retrouver toute seule, ta Chimère ! Au point où on en est, cela mérite peut-être un peu de patience, non ?

— Si ! J’avoue, mais c’est bien la seule chose qui me tente… et on devrait être fixés rapidement !

— Bien, voilà !… Et en attendant, tu pourrais admirer l’environnement. Il y a dans ce coin quelques-uns des plus jolis châteaux de la Loire ! À commencer par celui d’ici ! Tiens, tourne à gauche !

On entrait en effet à Azay-le-Rideau qui était à égale distance, à peu de chose près, de Chinon et de Tours. L’instant suivant, Aldo, sa voiture arrêtée, pouvait contempler, reflété par les eaux de l’Indre, un véritable joyau de pierre ciselé comme un bijou sous ses poivrières d’ardoise argentée.

— Une vraie demeure pour princesse de conte de fées ! apprécia Aldo, sincère.

— « Diamant taillé à facettes serti par l’Indre, monté sur des pilotis masqués de fleurs… », a écrit Balzac quand il séjournait à Saché dans le voisinage. Mais pour la princesse, il faut aller à Ussé, pas bien loin d’ici… et ravissant, lui aussi ! On dit que c’est celui de la Belle au bois dormant. Celle dont il était la demeure a dû pourtant y passer plus de mauvaises nuits que de bonnes, grâce à l’insupportable Chateaubriand…

— C’est comme ça que tu traites l’« Enchanteur » ? s’amusa Aldo.

— Il méritait largement pire. La pauvre en était folle et lui l’exploitait honteusement, profitant de sa haute situation pour se faire octroyer les ambassades qui lui plaisaient, tout en collectionnant les maîtresses. Et cette adorable femme lui écrivait : « J’ai fait arrêter toutes mes pendules pour ne plus entendre sonner les heures où vous ne viendrez plus… » D’ailleurs il m’a toujours énervé, ton Enchanteur !

— C’est visible. Tu as encore d’autres demeures de rêve ?

— Villandry et ses fabuleux jardins dont le décor change avec les saisons. Et puis Langeais où Charles VIII a épousé Anne de Bretagne de l’autre côté de la Loire. Je peux te montrer aussi Montsoreau et sa belle dame, Fontevrault, la nécropole des Plantagenêts où repose Aliénor d’Aquitaine…

— Halte là ! Tu dois bien penser que le cher Guy Buteau m’a tout appris… ou presque de l’histoire de France. Entre autres que les rois ont, avant Versailles, longtemps préféré le Val-de-Loire à Paris, mais je confesse, à ma grande honte, que je n’ai jamais pris le temps de le visiter. Je n’ai vu que des reproductions. Alors laisse-moi contempler un instant ! Je jure de revenir… Mais avec Lisa !

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