Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Qu’allez-vous faire de votre fils ? Vos beaux-parents habitent Toulouse…

À sa surprise elle eut un petit rire.

— Vous oubliez les Karloff ! Liouba et Nicolas adorent François et, croyez-moi, ils font une paire de grands-parents à la mode de Bretagne tout à fait convenables ! Alors, à demain Aldo ! Mes amitiés à Adalbert et encore merci !

— Il n’y a pas de quoi. On viendra vous prendre au train…

— Tu devais bien t’attendre à quelque chose comme ça ? fit Adalbert quand Aldo le rejoignit. C’est on ne peut plus normal qu’elle veuille s’installer à son chevet !

— Oui, mais elle va vouloir loger à l’hôtel le plus proche et moi, outre que je considère notre mission comme terminée, je préfère rester encore un peu à Chinon : il y a des détails que je voudrais creuser !

— Quoi, par exemple ? Tu n’aurais pas dans l’idée de confesser ton nouveau cousin… parce qu’il ne te paraît pas très net ?

— Si. En plein dans le mille ! Désolé si je m’en prends à tes souvenirs d’adolescent, mais il était comment comme professeur ?

— Fantastique ! Il faisait revivre l’Histoire. On pouvait se demander s’il n’avait pas vécu lui-même certaines périodes. Le haut Moyen Âge surtout… mais enrichi d’un plus pour l’histoire celte ! Pendant ses cours, je te prie de croire qu’on n’en restait pas à « Nos ancêtres les Gaulois » ; il se lançait dans des considérations sur leurs mœurs, leur façon de vivre, et nous passionnait pour l’aventure de Vercingétorix ! Déjà entendu parler des empereurs gaulois, Luern et autres ?

— Ah non ! Ça, jamais !

— Eh bien, moi, si ! Grâce à lui ! Et avec quel panache ! Il n’avait pas besoin de faire régner l’ordre dans sa classe. Les pires cancres l’écoutaient, bouche bée.

— C’est là que tu as entendu parler de ce cri que l’écho près du château de Chinon répercute à dix exemplaires, le « Ho Hue » ?

— C’est exactement ça ! Tu ne peux pas imaginer l’ambiance ! On l’avait même surnommé le Druide ! Il ne lui manquait que le froc blanc, la faucille d’or et la harpe irlandaise…

Emporté par son enthousiasme, Adalbert en avait oublié son ami qui cependant l’écoutait avec un intérêt croissant puis, soudain, il plongea dans une profonde réflexion.

— En dehors de ça, concluait l’orateur, il dédaignait superbement Louis XIV et Napoléon ! Oh, il n’ignorait pas leur histoire mais elle l’indifférait… mais tu ne m’écoutes même pas !

— Si… seulement je réfléchissais et je m’interrogeais sur l’origine et la finalité de cette table de pierre où les sauveteurs inconnus ont déposé Berthier. N’avez-vous pas dit hier que la forêt de Chinon avait été un haut lieu des Celtes ?

Adalbert approuva d’un hochement de tête.

— C’est vrai ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Tu crois que… Ça expliquerait cette grande discrétion observée par ceux qui ont secouru Berthier. La « société secrète » à laquelle j’ai fait allusion en rigolant… j’ai maintenant une furieuse envie de lui poser la question !

— Il y a peut-être moyen de savoir en passant par la bande.

— Tu penses à quoi ?

— À notre habituel service de renseignements, parbleu ! Notre chère Plan-Crépin qui est une encyclopédie vivante de tous les arbres généalogiques de la famille. Quelqu’un qui qualifie Tante Amélie de « vieux chameau », tu ne peux pas douter qu’elle ne sache de qui il s’agit ! conclut-il en quittant la table du café où ils s’étaient installés pour boire un verre…

— Où vas-tu comme ça ?

— Téléphoner rue Alfred-de-Vigny ! S’il y a de l’attente, on en profitera pour se faire servir un en-cas puisque le cousin nous a oubliés !

Cependant le trajet fut court. Constatant que le téléphone était dans une sorte de guérite près de la caisse, il fit demi-tour et revint s’asseoir.

— Non, tout compte fait, cela peut attendre. Tu as vu où est l’appareil ?

— Là-bas dans le coin, oui ! Et alors ?

— Entre la caissière et ces gens qui vont et viennent, ça fait pas mal de monde et pour ce genre de conversation, je préfère un brin de discrétion. Surtout si j’en crois l’aventure de Berthier ! Il est plutôt malsain, le téléphone, dans la région…

— Tu n’as peut-être pas tort ! Mais que ça ne nous empêche pas de déjeuner ! J’ai faim, moi !

Caroline Berthier arriva par le train de 10 h 30. En dépit de sa visible anxiété, elle était plus ravissante que jamais dans un ensemble bleu foncé – robe en lainage agrémentée d’un col et de manchettes de satin blanc, loden de voyage, attendrissante cloche de feutre enfoncée sur ses cheveux blonds, gants, sac et escarpins en daim assortis, le tout d’une sobre élégance composant une image parfaite pour l’épouse d’un journaliste de renom, et Aldo se souvint avec un plaisir secret de ce matin où, dans les jardins de Trianon, elle lui avait laissé entendre qu’elle l’aimait. Pour l’oublier aussi vite d’ailleurs, devant l’attitude presque distante qu’elle lui offrit. Et puis elle n’était pas seule, un confrère de Berthier l’accompagnait : Frédéric Simonnet, du  Figaro, venu « couvrir l’événement » et escorter une jeune femme qui n’avait pas l’air de lui déplaire si l’on en jugeait par l’attitude protectrice qu’il affichait.

— On vous conduit à l’hôpital tout de suite ou préférez-vous passer d’abord à l’hôtel ? proposa Aldo.

— L’hôpital ! Comment va Michel ?

— Quand nous sommes venus ici, il sortait du bloc opératoire et n’était pas réveillé, expliqua Adalbert qui n’aimait pas beaucoup l’attitude de la jeune femme et moins encore celle de cet échalas rouquin qui donnait dans le style anglais et appelait Caroline « Chère ! » avec un vague accent britannique.

La découverte de la voiture parut lui causer une profonde satisfaction.

— Elle est à vous ? demanda-t-il à Morosini qui se contenta de grogner.

— Location ! Nous avons fait la route avec.

— Peu importe ! Ce qui compte, c’est d’en avoir une sous la main. Entre Tours et Chinon il y a quand même une petite trotte ! Au fait, où « nous » avez-vous logés ?

Sentant Aldo sur le point de prendre feu, ce qui pouvait nuire à la stabilité de sa conduite, ce fut Adalbert qui se chargea de la réponse :

— Nous ? Il y a erreur, mon garçon ! Pensant qu’elle voudrait loger au plus près de son époux, nous avons retenu pour Mme Berthier une chambre à l’hôtel de l’Univers, boulevard Heurteloup, qui est le meilleur de la ville et très central, mais vous n’étiez pas prévu au programme et on ne vous a rien retenu du tout. Si vous venez « couvrir l’événement », comme vous dites, c’est à Chinon que ça se passe. Alors on vous y emmène si vous voulez et on vous laisse vous débrouiller, mais ne comptez pas sur nous pour vous servir de taxi ! Vu ?

— Eh bien, vous êtes gracieux, vous !

— On est tous comme ça, nous autres égyptologues ! L’habitude des momies qui n’ont pas grand-chose à répondre !

— Ah, vous êtes…

— Je suis et…

Assise auprès d’Aldo, Caroline se retourna :

— Messieurs, je vous en prie !

— Pardon ! s’excusa Adalbert. Oubliez ça ! On va à l’hôpital…

On arriva peu après, mais il fut impossible d’empêcher Simonnet de mettre ses pas dans ceux de Caroline jusque dans le bureau de l’infirmière en chef. Reportage oblige ! Or cette femme énergique aux allures de gendarme ne l’entendit pas de cette oreille et le réexpédia rejoindre les autres dans le couloir tandis qu’elle accueillait la jeune femme avec une infinie gentillesse, l’assurant que tout s’était bien passé mais que la convalescence serait longue.

— Puis-je le voir ? demanda Caroline.

— Oui, mais vous seule et rien qu’un instant. Vous pourrez revenir dans l’après-midi.

— Verrai-je aussi le chirurgien ?

— Sans aucun doute. Il vous aurait reçue ce matin s’il n’avait eu une autre intervention. Revenez vers 3 heures !

En rejoignant les trois hommes, Caroline n’avait pas encore retrouvé le sourire, mais l’anxiété au moins l’avait quittée. Elle remercia alors Aldo et Adalbert d’avoir répondu à son appel et d’avoir probablement sauvé Michel, puis demanda à être conduite à présent à son hôtel.

34
{"b":"155360","o":1}