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A
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— Il lui raconte tout ce qu’il fait ?

— Quasiment. Ils sont jeunes mariés et parents d’un bébé de quelques mois. Ils se sont connus pendant une affaire pénible où elle a été blessée. Alors elle s’affole facilement ! Il faut comprendre !

— Mais comme il a dû venir ici, il vous a peut-être dit quelque chose ? intervint Morosini.

— Eh non ! Il ne m’a rien dit pour la simple raison qu’on ne l’a pas vu ! Enfin, je veux dire qu’on ne s’est pas parlé. Je n’ai pu que voir passer sa voiture.

— Elle se dirigeait de quel côté ?

— Vers le château… enfin vers le haut du village.

— Il allait visiter quelqu’un ? Parce que, évidemment, dans le château il n’y a plus grand monde !

— Détrompez-vous ! Il est à nouveau occupé !

— Par qui ?

— Un étranger… un certain M. Catannei, malade de surcroît. Il est arrivé en ambulance. C’était, paraît-il, un ami de M. Van Tilden et, comme il aimait particulièrement le château où il est venu plusieurs fois, il l’a loué à la mairie pour une durée indéterminée. On en avait parfaitement le droit puisque le domaine nous appartient…

— On ? s’étonna Morosini.

— Je suis conseiller municipal… et comme ce monsieur proposait un prix plus que raisonnable, il n’y avait aucune raison de lui refuser, au contraire : il a amené des domestiques et la maison sera bien entretenue.

— À quoi ressemble-t-il ? demanda Adalbert.

— Ma foi, je l’ignore. Il ne s’est pas encore montré dans le village. Seul Monsieur le maire l’a… entrevu. D’après lui, notre locataire est très âgé mais apparemment très gentil.

— Ce n’est pas incompatible, sourit Aldo. Mais revenons-en à Berthier. Vous dites que vous l’avez vu passer. Et c’est tout ?

Maréchal resservit de la poire, hésita un instant, puis attira une chaise et s’installa.

— Écoutez, ça ne sert à rien de tourner autour du pot ! Autant vous raconter tout de suite. Votre copain, il allait chez Louis Dumaine, un ancien serviteur du château qui habite une jolie petite maison au bout du village. On ne sait pas combien de temps il y est resté ni quand il est parti… sans doute aux environs de 11 heures du soir d’après le médecin légiste.

— Le médecin légiste ? s’exclamèrent les deux hommes d’une seule voix.

— Ben, oui. Ça va vous faire un choc, mais le lendemain matin, on a retrouvé Dumaine assassiné.

Ce fut d’abord le silence. Ni Aldo ni Adalbert n’en croyaient leurs oreilles. Ce fut le second qui réagit en premier :

— Vous n’imaginez tout de même pas que c’est Berthier qui l’a tué ?

— Et qui d’autre ? Personne ne l’a revu. Quelqu’un a entendu sa voiture repartir. Les gendarmes le recherchent toujours, mais il doit être loin…

— Pas chez lui en tout cas puisque sa femme est malade d’inquiétude ! En outre au  Figaro ils ne savent pas ce qu’il a pu devenir…

— Vous pensez bien qu’après avoir fait son coup il a dû filer le plus loin possible avec ce qu’il était venu chercher…

— Il n’est pas venu chercher quelque chose mais apprendre quelque chose et si vous voulez tout savoir, c’est ce Dumaine qui l’a appelé…

Emporté par son élan, Adalbert allait sans doute en dire plus qu’il ne convenait – après tout, même conseiller municipal, même étoilé au  Michelin et pourvu d’une bouille sympathique, le digne aubergiste n’était peut-être pas blanc bleu –, aussi Aldo intervint-il :

— … et il ne devait pas mourir d’envie de se faire trucider. Qui mène l’enquête ?

— Les gens de Chinon, forcément. C’est à deux pas et c’est la sous-préfecture. On nous a envoyé l’inspecteur Savarin et, croyez-moi, s’il a un nom succulent, c’est vraiment tout ce qu’on lui a trouvé. Il soupçonne tout le monde.

— Il faudrait s’entendre, reprit Aldo. Il soupçonne Berthier, non ?

— Je vous l’ai dit !

— Alors pourquoi tout le monde ?

— Parce qu’il est comme ça et comme vous n’allez pas tarder à le voir, vous pourrez en juger !

Les deux complices échangèrent un regard. Si ce Savarin ressemblait à Lemercier, le policier de Versailles, ils couraient tous les deux à la catastrophe, surtout en se baladant sous une fausse identité.

L’aubergiste se leva soudain et se pencha vers la fenêtre :

— Tenez ! Qu’est-ce que je disais ! Le voilà qui arrive à la mairie ! Ce serait étonnant s’il ne venait pas faire un tour chez moi !

— Pourquoi ? Il vous suspecte aussi ?

— Oh, avec lui on ne sait jamais ! Je croirais plutôt qu’il vient voir s’il n’y a pas du nouveau. Des voyageurs inconnus, par exemple…

Sur cette prédiction rassurante, il regagna sa cuisine en se dandinant avec, semblait-il, une certaine hâte.

— Qu’est-ce qu’on décide ? demanda Aldo. On s’en va ou on l’attend ? Et si on l’attend, on se déclare sous quelle identité ?

— La fausse ne tiendrait pas la route. Et si on partait, on aurait l’air de fuir…

— Entièrement d’accord, mais si c’est ça, je crois judicieux d’ouvrir un parapluie. Avec ta permission, je vais téléphoner à Langlois et lui déballer notre histoire. Il vaut mieux qu’il soit au courant…

Il s’enfonça dans les profondeurs de la maison en réclamant le téléphone et le trouva sur le comptoir du bar, comme le lui indiqua Maréchal.

— Quel numéro demandez-vous ? fit celui-ci. La préposée est légèrement dure d’oreille et faut savoir la prendre.

— Alors, dans l’ordre : Paris, la préfecture de police et le commissaire principal Langlois ! Voilà le numéro, ajouta-t-il en l’écrivant sur une page qu’il arracha de son calepin. Ça va demander longtemps ?

— On ne sait jamais ! Dites donc, vous avez de belles relations, vous ! C’est vrai que les journalistes…

— Vous n’avez pas de cabine téléphonique ? Ce que j’ai à dire…

— Oh, faut pas vous tourmenter pour ça, je n’écouterai pas ! On a sa dignité, que diable !

La chance était avec Aldo. Cinq minutes plus tard, la voix peu amène de Langlois se faisait entendre.

— Morosini ? C’est vous ? Mais on m’a annoncé… Dans quelle aventure délirante vous êtes-vous encore lancé ? Ma parole…

— Pour l’amour du Ciel, laissez-moi parler. Hier soir, la femme de Michel Berthier, du  Figaro, m’a appelé au secours. Son mari parti depuis plus de trois jours ne donne plus signe de vie…

— Qui l’avait demandé ?

— Un certain Dumaine, ancien serviteur de Van Tilden qui lui a assuré posséder la preuve qu’il ne s’était pas suicidé. Naturellement, il a filé immédiatement et nous on a suivi…

— « Nous », ça signifie Vidal-Pellicorne et vous ?

— Qui voulez-vous que ce soit ? Berthier est effectivement arrivé au village. On l’a vu passer dans sa voiture et on l’a entendu repartir. Seulement le lendemain matin on a trouvé Dumaine assassiné… et Berthier envolé. Mais vous êtes peut-être au courant ?

— Non. Les faits divers locaux ne nous parviennent pas forcément !

— Locaux ? La mort du milliardaire, de son serviteur et un reporter du  Figaro soupçonné de meurtre suivi de fuite ? Vous êtes bien délicat, dites donc.

— On va jeter un coup d’œil de ce côté-là… mais, à propos, que dit la police de Chinon ?

— Je ne sais pas encore, mais on ne va pas tarder à faire connaissance avec l’inspecteur Savarin. C’est lui qui poursuit Berthier et il aurait, paraît-il, tendance à suspecter tout ce qui n’appartient pas au panorama local et…

Un éclat de rire lui coupa la parole et le vexa.

— Heureux de vous amuser ! Je ne vois pas ce que j’ai dit de si drôle…

— Oh, mais vous l’apprendrez. D’abord il s’appelle comment, votre inspecteur ?

— Savarin mais…

— Joli nom ! Seulement vous avez une frousse bleue de tomber sur une copie conforme de ce bon Lemercier ! Vrai ou pas ?

— Vrai ! lâcha Morosini de mauvaise grâce. Mais par pitié, arrêtez de rigoler ! Que Van Tilden ait été assassiné ne devrait pas éveiller une aussi franche gaieté chez le grand patron du Quai des Orfèvres, sacrebleu !

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