Habituée aux coussins, sa peau fragile était irritée par les mille piqûres des brins d’herbes sèches constituant sa couche. Il se leva sur un coude en se grattant furieusement les jambes de son bras libre et appela doucement:
— Brave!
Quelque chose bougea sous lui; il baissa des yeux déjà habitués à l’obscurité et vit un om qu’il ne connaissait pas. Un vieil om à barbe et à cheveux blancs.
— Brave n’est pas là, dit le vieux, il est reparti chez les draags. Tu lui as fait perdre du temps, petit. Mais il était tout heureux de t’avoir sauvé.
— Qui es-tu, vieil om? demanda Terr.
Le vieillard lui fit signe de descendre. Terr, tremblant de vertige, s’aida des fissures et des nœuds du bois pour se laisser glisser jusqu’au vieux. Il se retrouva à ses côtés dans un nid un peu plus spacieux.
— Qui es-tu? répéta-t-il.
— Mon maître m’appelait Fidèle. Et vraiment, je méritais mon nom. Mon maître était un bon draag et il était impossible de ne pas l’aimer. Mais un jour, il est parti pour un long voyage et m’a confié à des voisins qui me battaient et ne me donnaient pas à manger. Alors, j’ai profité de la première occasion pour m’enfuir. Il y a de cela bien longtemps. Et toi, petit, comment t’appelles-tu?
— Je m’appelle Terr.
— Ça ne veut rien dire…
— C’est plus vite dit que Terrible.
Le vieillard eut un mince sourire:
— Terrible! Voyez-vous ça!
Il toucha les bras du jeune garçon et ajouta:
— Tu n’es pas trop mal bâti, mais tu as besoin de te faire des muscles. Quel âge as-tu?
— Tiwa, ma maîtresse, dit que j’ai cent jours… Pourquoi portes-tu un collier, Fidèle? N’es-tu pas un om sauvage?
— Tous les oms, même sauvages, portent un collier. N’as-tu pas remarqué celui de Brave?
— Non. Il a trop de barbe et de cheveux. Je n’ai pas remarqué.
— Ce sont de faux colliers, dit Fidèle. Si un om était trouvé sans collier, on le reprendrait. À moi-même, quand j’étais plus jeune, il est arrivé de me faire prendre par un garde. Quand il a vu mon collier, il a dit: «Cet om doit appartenir à quelqu’un du voisinage.» Et il m’a relâché. Nous te donnerons un faux collier.
Terr resta un instant songeur.
— J’ai très faim, dit-il, au bout d’un moment de silence. N’as-tu pas une pâtée à me donner?
Le vieux dressa un doigt en l’air.
— Au-dessus de ton nid, tu trouveras un godet de sève.
— De sève?
— Oui, Brave a entaillé le bois de l’arbre. La sève coule dans un godet à ton intention. Tu verras, cela ressemble au sucre. Tu n’auras plus faim ni soif.
Le petit om frémit à l’idée de se livrer encore à des acrobaties dangereuses. Mais, poussé par la faim, il escalada les branches et trouva le godet placé au-dessus de son nid.
Il y but un liquide épais et tiède, avec un très vague goût sucré. Cette grossière nourriture ne lui plut pas, mais il en prit assez pour se sentir moins faible et redescendit tenir compagnie au vieux Fidèle.
— Ça va mieux, petit? demanda le vieillard.
— Oui, mais je n’aime pas beaucoup ça.
— Tu t’y feras. Et puis nous avons quand même autre chose.
— Où sont les autres oms sauvages?
— Justement, ils sont tous en chasse pour ramener tout ce qui peut nous être utile. En général, ils le volent aux draags.
Une idée trotta par la tête de Terr.
— Volent-ils des écouteurs d’instruction?
Le vieux ricana:
— Non. Pour quoi faire?
Terr éluda la question.
— Moi, j’en ai volé.
— Ah?
— Oui. J’aime bien m’instruire. Ça me rend plus fort.
— Et tu es instruit?
— Un peu, je sais lire. Je comprends aussi beaucoup de choses parce que j’écoutais Tiwa pendant ses heures d’étude.
— Crois-moi, petit, l’instruction des draags est peut-être amusante, mais elle n’est d’aucune utilité aux oms. Ce qui te serait très utile, par contre, c’est de savoir courir vite, grimper aux arbres, voler sans te faire prendre…
Des bruits de voix et des froissements de feuillage se firent entendre au pied de l’arbre. Bientôt, on vit plusieurs silhouettes escalader les branches en contrebas. Jusqu’au moment où le visage de Brave apparut à la hauteur du nid.
— Tiens, dit celui-ci, l’om de luxe est réveillé.
Il montra les écouteurs posés à cheval sur son épaule et ajouta:
— Regarde ce que je t’apporte, om de luxe.
— Oh! dit Terr tout heureux, bonheur sur toi, Brave!
D’autres oms apparurent; l’un d’eux, noir et crépu, riait souvent en montrant ses dents blanches et répondait au nom de Charbon. Quelques femelles faisaient partie de la bande, ainsi que quelques enfants presque aussi jeunes que Terr. Ils étaient tous musclés par leur vie rude et portaient en se jouant de lourdes boîtes de conserve, des fruits géants, des rouleaux de fils métalliques et divers objets ravis aux draags.
Ils s’assemblèrent autour de Terr avec une bienveillante curiosité.
— Quel âge t’as? lui lança un jeune garçon.
— Cent jours, répondit Terr tout intimidé.
— Cent? Qu’est-ce que ça veut dire? Moi j’ai deux fois dix mains de mains de jours, plus deux, repartit le jeune garçon en rejetant fièrement ses longs cheveux en arrière. Fais voir si t’es costaud.
Joignant le geste à la parole, il donna une poussée à Terr et faillit le faire tomber du nid. Brave s’interposa et envoya une taloche dans la figure de l’agresseur.
— Du calme, Vaillant, Terr n’est pas encore habitué à la vie que nous menons.
— Tu as surveillé le bébé, Fidèle? s’enquit une ome aux formes sculpturales.
— Oui, fillette, ton bébé n’a besoin de rien.
— Je vais monter voir, dit l’ome en sautant de branche en branche vers le sommet de l’arbre.
Elle croisa Brave qui était monté poser les écouteurs dans le nid réservé à Terr. Brave se laissa tomber à cheval sur une branche toute proche. Il leva le bras et dit:
— Écoutez, vous tous. J’veux que tout le monde soit très gentil avec Terr. Pendant quelque temps, il se contentera de rester dans l’arbre et de ranger tout ce que nous rapportons, aidé de Fidèle. Il faut que cet om de luxe s’habitue à l’effort et se fasse des muscles. Après, j’veillerai à son éducation.
Il se tourna vers Terr:
— Quant à toi, comme je t’ai déjà dit, tu m’obéiras au doigt et à l’œil. Je t’ai rapporté tes écouteurs pour te faire plaisir, mais t’auras le droit de t’amuser avec qu’après avoir fait ton travail. Compris?
— Oui, dit Terr d’une toute petite voix.
Il se sentait tout triste, regrettait Tiwa et la salle de nature. Il avait un peu froid, se sentait alourdi par la sève à laquelle il n’était pas habitué. Bref, plus malheureux que jamais, il souhaitait se trouver enfermé dans une omerie confortable, loin de toutes ces brutes bienveillantes.
— Viens avec moi, dit Brave.
Docile, Terr le suivit, escalada des branches, passa les endroits difficiles en tirant sur de souples rameaux comme sur des cordes et parvint à une branche énorme. Il vit Brave disparaître dans un trou de cette branche et s’engagea à sa suite dans une espèce de caverne grossièrement taillée à même le bois.
— Je ne vois rien, il fait noir, dit Terr.
— Attends un peu, fit la voix de Brave.
Terr entendit un gémissement d’effort et la caverne s’éclaira d’un seul coup. Brave désignait fièrement une énorme pierre posée sur une tige de métal.
— Mais c’est… hasarda Terr.
— Oui, dit Brave, c’est une lampe de draag; les autres ne sont pas assez forts. Tu vois, je pose cette grosse pierre sur le bouton. Pour éteindre, j’enlève la pierre.
Terr jeta les yeux autour de lui. Il était dans un vaste magasin de bric-à-brac. Des piles de boîtes de toutes tailles s’alignaient en vrac sur le sol.
— Voilà, dit Brave. Tu vas ranger tout ça. Tu mettras les boîtes avec les boîtes, les rouleaux de fil avec les rouleaux de fil. Tu feras de même pour le reste.
— Mais, dit Terr en désignant une pile de boîtes, dois-je ranger celles qui sont déjà empilées?