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«Les quatre continents retouchés par les draags sont de forme triangulaire équilatérale et de dimensions égales. Deux sont placés à égale distance l’un de l’autre dans l’hémisphère A, les deux autres sont placés à égale distance l’un de l’autre dans l’hémisphère B. Leurs pointes sont dirigées vers les pôles, leurs bases regardent l’équateur.

«Les continents naturels sont placés à l’équateur, mais le plus loin possible des continents rectifiés, c’est-à-dire…»

Le petit om, dans un songe agréable, voyait tourner une sphère bariolée. Il entendait des paroles qu’il ne comprenait pas et n’aurait même pas pu prononcer correctement.

La main de la draag reposant sur sa tête, il en résultait que le bracelet était tout proche du collier. Par un phénomène très simple, mais auquel personne n’avait jamais pensé, Terr entendait et voyait, dans son sommeil, tout ce que sa jeune maîtresse percevait elle-même par ses écouteurs.

Les paroles et les images tombaient dans son subconscient comme des graines dans la terre vierge.

3

Terr prit l’habitude de toujours dormir sur les genoux de Tiwa quand elle s’instruisait.

Au début, les parents draag l’en empêchaient, craignant que leur fille ne fût distraite par la présence du petit animal. Mais ils remarquèrent bientôt qu’ils avaient mal jugé les choses.

En effet, lorsque Tiwa était privée de la présence du petit om, elle écourtait ses heures d’instruction pour aller plus vite jouer avec lui. Au contraire, la compagnie de son petit camarade inférieur l’incitait à rester plus longtemps les écouteurs aux tympans. Praw et Wami finirent même, après s’être rendu compte du fait, par conseiller à l’enfant de prendre le petit om avec elle pour adoucir la corvée d’instruction journalière.

Un jour, lorsque Terr eut un peu grandi, Praw entendit du bruit dans l’omerie où il l’avait enfermé pour quelques heures. Il s’approcha, prêta l’oreille et entendit chantonner l’animal. Étrange chanson aux paroles plus étranges encore:

«La ville Klud est la plus grande ville du continent A sud, la ville Torm est la plus grande du continent A nord, nord, nord… L’élément d’origine des draags est l’eau; autrefois, les draags ne pouvaient pas respirer dans l’air… l’air… l’air! Aujourd’hui, ils sont amphibies grâce aux mutations obtenues par le savant Zarek, Zarek, rek, rek!..»

Praw n’en crut pas ses tympans. Il alla retrouver Wami, sa femme.

— Wami, lui dit-il, il arrive une chose extraordinaire!

— Et quoi donc?

— Le petit om sait… c’est incroyable… le petit om sait par cœur les leçons de Tiwa!

Wami haussa les épaules.

— Tu exagères toujours. Il se peut que Tiwa lui ait appris à prononcer quelques mots, mais de là…

Praw ne répondit pas et entraîna sa femme vers l’omerie. Derrière la porte close, une voix juvénile fredonnait:

«… c’est pourquoi, c’est pourquoi… les spores de glanel ne germent pas en terrain acide, acide… Tiwa, Tiwa, vilaine… laine, veux-tu t’instruire… L’atmo… l’atmosphère de la planète Sird se compose d’un tiers d’élément fort, fort, fort… et de deux tiers d’éléments faibles!»

Praw ouvrit brusquement la porte et trouva Terr assis sur son coussin et se balançant d’avant en arrière pour rythmer sa chanson sans queue ni tête.

Terr était devenu un beau petit garçon aux cheveux bouclant sur les épaules. Il se leva d’un bond et courut dans les jambes de Praw en lui demandant:

— Sucre!

Perdant toute dignité, Wami se mit à chanter elle-même pour entraîner l’animal:

— Tiwa, petite vilaine… laine, veux-tu t’instruire!

Mais Terr éclata de rire et se tortilla pour échapper à la main de Praw. De l’œil, il guignait l’espace vert de la chambre de nature où s’ébattait Tiwa. Le draag le lâcha et le laissa courir vers la piscine où il plongea en gloussant de joie.

Perplexes, les époux draag se regardèrent.

— Après tout, dit Wami, nous avons un om qui parle mieux que les autres, il ne faut pas en faire toute une histoire. Il ne comprend absolument rien à ce qu’il dit.

— Évidemment, dit Praw. Il mélange tout, la botanique et la cosmographie, l’ygamographie et la biologie…

Ils entrèrent à leur tour dans la salle de nature et s’adressèrent à Tiwa qui sortait de l’eau.

— Sais-tu que ton petit om peut parler?

— Bien sûr, dit Tiwa. J’essaye de lui apprendre à parler comme un draag, mais c’est difficile. Il y a des mots qu’il ne peut pas prononcer.

— Vraiment? dit Wami. Ton père et moi, nous venons de l’entendre réciter tes leçons par cœur.

Surprise, l’enfant draag secoua ses membranes pour les sécher un peu. Elle dit:

— Ce n’est pas possible, Terr parle tout juste comme un bébé draag et… je ne lui ai jamais appris mes leçons, il n’aurait pas pu…

— Nous l’avons entendu! affirma le père.

La petite secoua la tête.

— Alors, dit-elle, je ne sais pas… Peut-être… Je les ai peut-être récitées sans faire attention…

Praw se tourna vers sa femme:

— Je pensais que les oms ne pouvaient pas prononcer certains mots en raison d’une conformation spéciale de leur bouche, mais ce n’est pas ça!

— Que veux-tu dire?

Praw sourit.

— Imagine, dit-il, un draag particulièrement bête sur une planète étrangère. Il arriverait à connaître dans la langue des étrangers une bonne centaine de mots utiles: sucre, sortir, faim, soif. Mais il serait incapable de former des phrases.

— Et alors?

— Mais, suis-moi bien, il pourrait parfaitement «réciter» des phrases entendues, par cœur, sans en comprendre la signification. C’est exactement le cas du petit Terr.

Wami haussa encore les épaules.

— Voilà bien des mots pour un fait insignifiant! Cet om est très attaché à Tiwa, il la suit partout. Il a dû l’entendre réciter ses leçons et les a apprises machinalement sans savoir ce qu’il faisait. L’incident est clos, n’en parlons plus.

Elle se tourna vers Tiwa.

— Cela me fait penser à quelque chose; tu ne t’es pas encore instruite aujourd’hui. Dépêche-toi de mettre tes écouteurs.

Docilement, Tiwa alla pour décrocher ses écouteurs. Mais elle s’arrêta net. Sur le mur, le crochet était toujours là, mais les écouteurs avaient disparu.

Praw s’aperçut de la gêne de sa fille.

— Où les as-tu encore laissés traîner? dit-il en faisant claquer ses membranes.

— Je ne sais pas, père.

— Cherche bien. D’habitude tu t’assois sous les palmes, au bord de la piscine.

Ils cherchèrent dans l’herbe sans rien trouver. Tiwa plongea même pour explorer le fond de la piscine. Ils scrutèrent en vain les moindres recoins de la salle de nature.

— Je parie que tu as laissé Terr s’amuser avec, gronda Praw. Ces appareils sont très chers, tu n’es pas raisonnable, Tiwa.

Les yeux rouges de Tiwa se voilèrent de contrariété.

— Je t’assure, père…

— Je ne suis pas assez sévère avec toi, coupa le draag.

— Mais, père, je n’ai jamais laissé l’om jouer avec les écouteurs, c’est la vérité!

Le père resta songeur.

— Cela expliquerait pourtant bien des choses, dit-il… Où est Terr?

— Terr! appela la petite.

Le petit om ne répondit pas à cet appel.

— Il se cache, ce petit gredin, dit Praw. Terr, veux-tu venir! Terr, un sucre!

— Terr, viens chercher un sucre!

La mère draag revint dans la salle.

— Que se passe-t-il, dit-elle. Vous en faites un vacarme. Ce n’est plus le moment de jouer avec cet om. Je t’avais dit de t’instruire, Tiwa!

— Elle ne peut pas, gémit Praw, les écouteurs ont disparu! Terr a disparu aussi!

— Mais non, dit Wami, je viens de le voir dans le couloir.

— Terr!

Ils se précipitèrent tous les trois dans le couloir.

— Où était-il?

— Là, sur ce siège.

— Bon sang, jura Praw.

Il tendit un doigt vers le siège.

— Pourquoi gesticules-tu comme ça?

3
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