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Mais, pour en revenir à tes compagnons de sacrilège, ce soir, s'ils ne sont pas des fous, ce sont, à n'en point douter, de très répugnants paillards. Observe-les. Je suis sûr qu'en invoquant Belzébuth, ils pensent aux prélibations charnelles. N'aie pas peur, va, il n'y a point, dans ce groupe, des gens qui imiteraient ce martyr dont parle Jacques De Voragine, dans son histoire de Saint Paul l'Ermite. Tu connais cette légende?

– non.

– eh bien, pour te rafraîchir l'âme, je vais te la conter. Ce martyr, qui était tout jeune, fut étendu, pieds et poings liés, sur un lit, puis on lui dépêcha une superbe créature qui le voulut forcer. Comme il ardait et qu'il allait pécher, il se coupa la langue avec ses dents et il la cracha au visage de cette femme; et " ainsi la douleur enchassa la tentation ", dit le bon De Voragine.

– mon héroïsme n'irait pas jusque-là, je l'avoue; mais… tu t'en vas déjà?

– oui, je suis attendu.

– quelle bizarre époque! Reprit Durtal, en le reconduisant. C'est juste au moment où le positivisme bat son plein, que le mysticisme s'éveille et que les folies de l'occulte commencent.

Mais il a toujours été ainsi; les queues de siècle se ressemblent. Toutes vacillent et sont troubles. Alors que le matérialisme sévit, la magie se lève. Ce phénomène reparaît, tous les cent ans.

Pour ne pas remonter plus haut, vois le déclin du dernier siècle. A côté des rationalistes et des athées, tu trouves Saint Germain, Cagliostro, Saint Martin, Gabalis, Gazotte, les sociétés des Rose-croix, les cercles infernaux, comme maintenant!

– sur ce, adieu, bonne soirée et bonne chance.

– oui, mais se dit Durtal, en refermant la porte, les Cagliostro avaient du moins une certaine allure et probablement aussi une certaine science, tandis que les mages de ce temps, quels aliborons et quels camelots!

CHAPITRE XIX

I ls montaient, cahotés dans un fiacre, la rue de Vaugirard. Mme Chantelouve s'était rencoignée et ne soufflait mot. Durtal la regardait lorsque, passant devant un réverbère, une courte lueur courait puis s'éteignait sur sa voilette. Elle lui semblait agitée et nerveuse sous des dehors muets. Il lui prit la main qu'elle ne retira pas, mais il la sentait glacée sous son gant et ses cheveux blonds lui parurent, ce soir-là, en révolte et moins fins que d'habitude et secs. Nous approchons, ma chère amie? -mais, d'une voix angoissée et basse, elle lui dit: -non, ne parlez pas. -et, très ennuyé de ce tête-à-tête taciturne, presque hostile, il se remit à examiner la route par les carreaux de la voiture.

La rue s'étendait, interminable, déjà déserte, si mal pavée que les essieux du fiacre criaient, à chaque pas; elle était à peine éclairée par des becs de gaz qui se distançaient de plus en plus, à mesure qu'elle s'allongeait vers les remparts. Quelle singulière équipée! Se disait-il, inquiété par la physionomie froide, rentrée de cette femme.

Enfin, le véhicule tourna brusquement dans une rue noire, fit un coude et s'arrêta.

Hyacinthe descendit; en attendant la monnaie que le cocher devait lui rendre, Durtal inspecta, d'un coup d'oeil, les alentours; il était dans une sorte d'impasse. Des maisons basses et mornes bordaient une chaussée aux pavés tumultueux et sans trottoirs; en se retournant, quand le cocher partit, il se trouva devant un long et haut mur, au-dessus duquel bruissaient, dans l'ombre, des feuilles d'arbres.

Une petite porte, trouée d'un guichet, s'enfonçait dans l'épaisseur de ce mur sombre, chiné de traits blancs par des raies de plâtre qui hourdaient ses fissures et bouchaient ses brèches. Subitement, plus loin, une lueur jaillit d'une devanture et, sans doute attiré par le roulement du fiacre, un homme, portant le tablier noir des marchands de vins, se pencha hors d'une boutique et saliva sur le seuil.

– c'est ici, dit Mme Chantelouve elle sonna, le guichet s'ouvrit; elle souleva sa voilette, un jet de lanterne la frappa au visage; la porte disparut sans bruit, ils pénétrèrent dans un jardin.

– bonjour, madame.

– bonjour, Marie.

– c'est dans la chapelle?

– oui, madame veut-elle que je la conduise?

– non, merci.

La femme à la lanterne scruta Durtal; il aperçut, sous une capeline, des mèches grises tordues sur une figure en désordre et vieille; mais elle ne lui laissa pas le temps de l'examiner car elle rentra près du mur dans un pavillon qui lui servait de loge.

Il suivit Hyacinthe qui traversait des allées obscures et sentant le buis, jusqu'au perron d'une bâtisse. Elle était comme chez elle, poussait les portes, faisait claquer ses talons sur les dalles.

– prenez garde, fit-elle, après avoir franchi un vestibule, il y a trois marches.

Ils débouchèrent dans une cour, s'arrêtèrent devant une ancienne maison et elle sonna. Un petit homme parut, s'effaça, lui demanda de ses nouvelles, d'une voix affétée et chantante. Elle passa, en le saluant, et Durtal frôla une face faisandée, des yeux liquides et en gomme, des joues plâtrées de fard, des lèvres peintes et il pensa qu'il était tombé dans un repaire de sodomites.

– vous ne m'aviez pas annoncé que je m'approcherais d'une telle compagnie, dit-il à Hyacinthe qu'il rejoignit au tournant d'un couloir éclairé par une lampe.

– pensiez-vous rencontrer ici des Saints? Et elle haussa les épaules et tira une porte. Ils étaient dans une chapelle, au plafond bas, traversé par des poutres peinturlurées au goudron, aux fenêtres cachées sous de grands rideaux, aux murs lézardés et déteints.

Durtal recula, dès les premiers pas. Des bouches de calorifère soufflaient des trombes; une abominable odeur d'humidité, de moisi, de poêle neuf, exaspérée par une senteur irritée d'alcalis, de résines et d'herbes brûlées, lui pressurait la gorge, lui serrait les tempes.

Ils avançait à tâtons, sondait cette chapelle qu'éclairaient à peine, dans leurs suspensions de bronze doré et de verre rose, des veilleuses de sanctuaire. Hyacinthe lui fit signe de s'asseoir et elle se dirigea vers un groupe de personnes installées sur des divans, en un coin, dans l'ombre. Un peu gêné d'être ainsi mis à l'écart, Durtal remarqua que, parmi ces assistants, il y avait très peu d'hommes et beaucoup de femmes; mais ce fut en vain qu'il s'efforça de discerner leurs traits.

çà et là, pourtant, à un élan des veilleuses, il apercevait un type junonien de grosse brune, puis une face d'homme, rasée et triste. Il les observa, put constater que ces femmes ne caquetaient pas entre elles; leur conversation paraissait peureuse et grave, car aucun rire, aucun éclat de voix ne s'entendait, mais un chuchotement irrésolu, furtif, sans aucun geste.

Sapristi! Se dit-il, Satan n'a pas l'air de rendre ses fidèles heureux!

Un enfant de choeur, vêtu de rouge, s'avança vers le fond de la chapelle et alluma une rangée de cierges. Alors l'autel apparut, un autel d'église ordinaire, surmonté d'un tabernacle au-dessus duquel se dressait un Christ dérisoire, infâme. On lui avait relevé la tête, allongé le col et les plis peints aux joues muaient sa face douloureuse en une gueule tordue par un rire ignoble. Il était nu, et à la place du linge qui ceignait ses flancs, l'immondice en émoi de l'homme surgissait d'un paquet de crin. Devant le tabernacle, un calice couvert de la pal était posé; l'enfant de choeur lissait avec ses mains la nappe de l'autel, ginginait les hanches, se haussait sur un pied, comme pour s'envoler, jouait les chérubins, sous prétexte d'atteindre les cierges noirs dont l'odeur de bitume et de poix s'ajoutait maintenant aux pestilences étouffées de cette pièce.

Durtal reconnut sous la robe rouge le " petit jésus " qui gardait la porte quand il entre et il comprit le rôle réservé à cet homme dont la sacrilège ordure se substituait à cette pureté de l'enfance que veut l'église.

Puis, un autre enfant de choeur encore plus hideux s'exhiba. Efflanqué, creusé par les toux, réparé par des carmins et des blancs gras, il boitillait, en chantonnant. Il s'approcha de trépieds qui flanquaient l'autel, remua les braises accouvies dans les cendres et il y jeta des morceaux de résine et des feuilles.

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