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– oui, fit Des Hermies, Paracelse fut un des plus extraordinaires praticiens de la médecine occulte.

Il connaissait les mystères maintenant oubliés du sang, les effets médicaux encore inconnus de la lumière. Professant, ainsi que les kabbalistes, du reste, que l'être humain est composé de trois parties, d'un corps matériel, d'une âme et d'un périsprit appelé aussi corps astral, il soignait ce dernier surtout et réagissait sur l'enveloppe extérieure et charnelle, par des procédés qui sont ou incompréhensibles ou déchus. Il traitait les blessures, en soignant non pas les tissus mais le sang qui en sortait. On assure même qu'il guérissait certains maux!

– grâce à ses profondes connaissances en astrologie, dit Gévingey.

– mais, demanda Durtal, si l'influence sidérale est si nécessaire à étudier, pourquoi ne faites-vous pas d'élèves?

– des élèves! Mais où dénicher des gens qui consentent à travailler pendant vingt années, sans profit et sans gloire? Car avant d'être en mesure d'établir un horoscope, il faut être un astronome de première force, savoir les mathématiques à fond et avoir longuement pâli sur l'obscur latin des vieux maîtres! -et puis, il faut aussi la vocation et la foi, et c'est perdu!

– comme pour les accordants, dit Carhaix.

– non, voyez-vous, messieurs, reprit Gévingey, le jour où les grandes sciences du moyen age ont sombré dans l'indifférence systématique et hostile d'un peuple impie, ç' a été la fin de l'âme, en France!

Il ne nous reste plus maintenant qu'à nous croiser les bras et à écouter les insipides propos d'une société qui, tour à tour, rigole et grogne!

– allons il ne faut pas désespérer ainsi; ça ira mieux, dit la maman Carhaix, d'un ton conciliant; et, avant de se retirer, elle donna une poignée de main à chacun de ses hôtes.

– le peuple, fit Des Hermies, en versant de l'eau dans la cafetière, au lieu de l'améliorer, les siècles l'avarient, le prostrent, l'abêtissent!

Rappelez-vous le siège, la commune, les engouements irraisonnés, les haines tumultuaires et sans cause, toute la démence d'une populace mal nourrie, trop désaltérée et en armes! -elle ne vaut tout de même pas la naïve et miséricordieuse plèbe du moyen age! Raconte donc, Durtal, ce que fit le peuple, alors que Gilles De Rais fut conduit au bûcher.

– oui, dites-nous cela, demanda Carhaix, ses gros yeux noyés dans la fumée de pipe.

– eh bien! Vous le savez, à la suite de forfaits inouïs, le maréchal De Rais fut condamné à être pendu et brûlé vif. Ramené, après le jugement, dans sa geôle, il adressa une dernière supplique à l'évêque Jean De Malestroit. Il le pria d'intercéder auprès des pères et mères des enfants qu'il avait si férocement violés et mis à mort, pour qu'ils voulussent bien l'assister dans son supplice.

Et ce peuple dont il avait et mâché et craché le coeur, sanglota de pitié; il ne vit plus en ce seigneur démoniaque qu'un pauvre homme qui pleurait ses crimes et allait affronter l'effrayante colère de la sainte face; et, le jour de l'éxécution, dès neuf heures du matin, il parcourut, en une longue procession, la ville. Il chanta des psaumes dans les rues, s'engagea, par serment, dans les églises, à jeûner pendant trois jours, afin de tenter d'assurer par ce moyen le repos de l'âme du maréchal.

– nous sommes loin, comme vous voyez, de la loi américaine du lynch, dit Des Hermies.

– puis, reprit Durtal, à onze heures, il vint chercher Gilles De Rais à sa prison et il l'acompagna jusqu'à la prairie de la Biesse où se dressaient, surmontés de potences, de hauts bûchers.

Le maréchal soutenait ses complices, les embrassait, les adjurait d'avoir " grande déplaisance et contrition de leurs méfaits " et, se frappant la poitrine, il suppliait la vierge de les épargner, tandis que le clergé, les paysans, le peuple, psalmodiaient les sinistres et implorantes strophes de la prose des trépassés:

nos timemus diem judicii
quia mali et nobis conscii
sed tu, mater summi concilii,
para nobis locum refugii
ô Maria!
tunc iratus judex…

Vive Boulanger!

Dans un bruit de mer montant de la place Saint-sulpice à la tour, de longs cris jaillirent: Boulange!

Lange! Puis une voix enrouée, énorme, une voix d'écaillère, de pousseur de charrette, s'entendit par-dessus les autres, domina tous les hourras; et, de nouveau, elle hurla: vive Boulanger!

– ce sont les résultats de l'élection que, devant la mairie, ces gens vocifèrent, dit dédaigneusement Carhaix.

Tous se regardèrent.

– le peuple d'aujourd'hui! fit Des Hermies.

– ah! Il n'acclamerait pas de la sorte un savant, un artiste, voire même l'être supernaturel que serait un saint, gronda Gévingey.

– il le faisait pourtant au moyen age!

– oui, mais il était plus naïf et moins bête, reprit Des Hermies. Et puis, où sont les saints qui le sauvèrent? On ne saurait trop le répéter, les soutaniers ont maintenant des coeurs lézardés, des âmes dysentériques, des cerveaux qui se débraillent et qui fuient! -ou alors c'est encore pis; ils phosphorent comme des pourritures et carient le troupeau qu'ils gardent! Ils sont des chanoines Docre, ils satanisent!

– dire que ce siècle de positivistes et d'athées a tout renversé, sauf le satanisme qu'il n'a pu faire reculer d'un pas!

– cela s'explique, s'écria Carhaix: le satanisme est ou omis ou inconnu; c'est le père Ravignan qui a démontré, je crois, que la plus grande force du diable, c'était d'être parvenu à se faire nier!

– mon Dieu! Quelles trombes d'ordures soufflent à l'horizon! Murmura tristement Durtal.

– non, s'exclama Carhaix, non, ne dites point cela!

Ici-bas, tout est décomposé, tout est mort, mais là-haut! Ah! Je l'avoue, l'effusion de l'esprit saint, la venue du divin Paraclet se fait attendre!

Mais les textes qui l'annoncent sont inspirés; l'avenir est donc crédité, l'aube sera claire!

Et les yeux baissés, les mains jointes, ardemment il pria.

Des Hermies se leva et fit quelques pas dans la pièce.

– tout cela est fort bien, grogna-t-il; mais ce siècle se fiche absolument du Christ en gloire; il contamine le surnaturel et vomit l'au delà. Alors, comment espérer en l'avenir, comment s'imaginer qu'ils seront propres, les gosses issus des fétides bourgeois de ce sale temps? élevés de la sorte, je me demande ce qu'ils feront dans la vie, ceux-là?

– ils feront, comme leurs pères, comme leurs mères, répondit Durtal; ils s'empliront les tripes et ils se vidangeront l'âme par le bas-ventre!

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