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– ah çà, je suppose, dit Carhaix, qu'on n'envoûte plus les personnes avec des images de cire et des épingles, avec la " Manie " ou la " Dagyde ", comme cela s'appelait, au bon vieux temps?

– non, ce sont des pratiques maintenant surannées et presque partout omises. Gévingey que j'ai confessé, ce matin, m'a raconté de quelles extraordinaires recettes se sert l'affreux chanoine.

Ce sont là, paraît-il, les secrets irrévélés de la magie moderne.

– ah! Mais voilà qui m'intéresse, fit Durtal.

– je me borne, bien entendu, à répéter ce qui me fut dit, reprit des Hermies, en allumant sa cigarette.

Eh bien! Docre possède dans des cages, et il les emporte en voyage, des souris blanches. Il les nourrit d'hosties qu'il consacre et de pâtes qu'il imprégne de poisons savamment dosés. Lorsque ces malheureuses bêtes sont saturées, il les prend, les tient au-dessus d'un calice, et, avec un instrument très aigu il les perce de part en part.

Le sang coule dans le vase et il l'emploie comme je vous l'expliquerai tout à l'heure, pour frapper ses ennemis de mort. D'autres fois, il opère sur des poulets, sur des cochons d'Inde, mais, dans ce cas il use non point du sang, mais bien de la graisse de ces animaux devenus ainsi des tabernacles exécrés et vénéneux.

D'autres fois encore, il se sert d'une recette inventée par la société satanique des Ré-théurgistes Optimates dont je t'ai déjà parlé, et il apprête un hachis composé de farine, de viande, de pain eucharistique, de mercure, de semence animale, de sang humain, d'acétate de morphine et d'huile d'aspic.

Enfin, et selon Gévingey, cette dernière ordure serait plus périlleuse encore; il gave des poissons saintes espèces et de toxiques habilement gradués; ces toxiques sont choisis parmi ceux qui détraquent le cerveau ou tuent dans des attaques tétaniques l'homme dont les pores les absorbent. Puis, lorsque ces poissons sont bien imbibés de ces substances scellées par le sacrilège, Docre les retire de l'eau, les laisse pourrir, les distille, et il en extrait une huile essentielle dont une goutte suffit à rendre fou!

Cette goutte s'emploie, paraît-il, à l'extérieur. De même que dans les Treize de Balzac, c'est en touchant les cheveux, qu'on détermine la démence ou que l'on empoisonne.

– bigre! Fit Durtal, j'ai bien peur qu'une larme de cette huile ne soit tombée sur le cerveau du pauvre Gévingey!

– ce qui est capiteux dans cette histoire, c'est moins la bizarrerie de ces pharmacopées diaboliques, que l'état d'âme de celui qui les invente et les manie. Songez que cela se passe à l'époque actuelle, à deux pas de nous, et que ce sont des prêtres qui ont inventé ces philtres inconnus aux sorcelleries du Moyen Age!

– des prêtres! Non, un seul, et quel prêtre! Fit remarquer Carhaix.

– du tout, Gévingey est très précis, il affirme que d'autres en usent. L'envoûtement par le sang vénénifère des souris eut lieu, en 1879, à Châlons-sur-marne dans un cercle démoniaque dont le chanoine faisait, il est vrai, partie; en 1883, en Savoie, on prépara, dans un groupe d'abbés déchus, l'huile dont j'ai parlé. Comme vous le voyez, Docre n'est pas le seul qui pratique cette abominable science; des couvents la connaissent; quelques laïques même la soupçonnent.

– mais enfin, admettons que ces préparations soient réelles et soient actives; tout cela n'explique pas comment on maléficie avec elles de près ou de loin un homme.

– ça, c'est une autre affaire. On a le choix entre deux moyens, pour atteindre l'ennemi que l'on vise.

Le premier et le moins usité est celui-ci: le magicien se sert d'une voyante, d'une femme qui s'appelle, dans ce monde-là, " un esprit volant ", c'est une somnambule qui, mise en état d'hypnotisme, peut se rendre en esprit où l'on veut qu'elle aille. Il est dès lors possible de lui faire porter, à des centaines de lieues et à la personne qu'on lui désigne, les poisons magiques. Ceux qui sont atteints par cette voie, n'ont vu personne et ils deviennent fous ou meurent, sans même soupçonner le vénéfice. Mais outre que ces voyantes sont rares, elles sont dangereuses, car d'autres personnes peuvent aussi les fixer en état de catalepsie et leur extirper des aveux. Cela vous explique comment les gens tels que Docre ont recours au second moyen qui est plus sûr. Il consiste à évoquer, ainsi que dans le Spiritisme, l'esprit d'un mort et à l'envoyer frapper, avec le maléfice préparé, la victime. Le résultat est le même, mais le véhicule change.

Voilà, conclut des Hermies, rapportées très exactement, les confidences que me fit, ce matin, l'ami Gévingey.

– et le Dr Johannès guérit les gens intoxiqués de cette manière? Demanda Carthaix.

– oui, cet homme fait, et cela je le sais, d'inexplicables cures.

– mais avec quoi?

– Gévingey parle, à ce propos, du sacrifice de gloire de Melchissédec, que le docteur célèbre.

Je ne sais pas du tout ce qu'est ce sacrifice; mais Gévingey nous renseignera peut-être, s'il revient guéri!

– c'est égal, je ne serais pas fâché de contempler, une fois dans ma vie, ce chanoine Docre, dit Durtal.

– moi pas; car c'est l'incarnation du maudit sur la terre, s'écria Carhaix, en aidant ses amis à endosser leur paletots.

Il alluma sa lanterne et, en descendant l'escalier, comme Durtal se plaignait du froid, des Hermies se mit à rire.

– si ta famille avait connu les secrets magiques des plantes, tu ne grelotterais pas ainsi, fit-il. L'on apprenait, en effet, au seizième siècle, qu'un enfant pouvait n'avoir ni chaud, ni froid, pendant toute sa vie, si on lui avait frotté les mains avec du jus d'absinthe, avant que la douzième année de sa vie se fut écoulée. C'est, tu le vois, une recette parfumée, moins dangereuse que celles dont abuse le chanoine Docre.

Une fois en bas, et, après que Carthaix eut refermé la porte de sa tour, ils hâtèrent le pas, car le vent du nord balayait la place.

– enfin, dit des Hermies, -Satanisme mis à part, et encore non, puisque c'est de la religion, le Satanisme, -avoue que, pour deux mécréants de notre sorte, nous tenons des propos singulièrement pieux.

J'espère que cela nous sera, là-haut, compté.

– nous sommes peu méritants, car de quoi parler?

Répliqua Durtal; les conversations qui ne traitent pas de religion ou d'art sont si basses et si vaines!

CHAPITRE XV

L e souvenir de ces abominables magistères lui trotta par la tête, le lendemain, et, tout en fumant des cigarettes au coin de son feu, Durtal songea à la lutte de Docre et de Johannès, à ces deux prêtres se battant sur le dos de Gévingey, à coups d'incantations et d'exorcismes.

Dans la symbolique chrétienne, se dit-il, le poisson est une des formes figurées du Christ; c'est sans doute à cause de cela et afin d'aggraver ses sacrilèges, que le chanoine bourre des poissons d'hosties pleines. Ce serait alors le système retourné des sorcières du Moyen Age qui choisissaient, au contraire, une bête immonde, vouée au diable, le crapaud, par exemple, pour lui donner le corps du sauveur à digérer.

Maintenant qu'y a-t-il de vrai dans cette prétendue puissance dont les chimistes déicides disposent?

Quelle foi ajouter à ces évocations de larves tuant, sur un ordre, une personne désignée, avec des huiles corrosives et des sangs vireux? Tout cela semble bien improbable, voire même un peu fol!

Et pourtant! Quand on y réfléchit, ne retrouve-t-on pas, aujourd'hui inexpliqués et se survivant sous d'autres noms, les mystères que l'on attribua si longtemps à la crédulité du Moyen Age? A l'hôpital de la Charité, le Dr Luys transfère d'une femme hypnotisée à une autre des maladies. En quoi cela est-il moins surprenant que les sorts jetés par des magiciens ou des bergers? Une larve, un esprit volant, n'est pas, en somme, plus extraordinaire qu'un microbe venu de loin et qui vous empoisonne, sans qu'on s'en doute; l'atmosphère peut, tout aussi bien charrier des esprits que des bacilles. Il est bien certain qu'elle véhicule sans les altérer, des émanations, des effluences, l'électricité par exemple, ou les fluides d'un magnétiseur qui envoie à un sujet éloigné, l'ordre de traverser tout Paris pour le rejoindre. La science n'en est même plus à contester ces phénomènes. D'un autre côté, le Dr Brown-séquard rajeunit des vieillards infirmes, ranime des impuissants avec des injections de parties distillées de lapins et de cobayes. Qui sait si ces élixirs de longue vie, si ces philtres amoureux que les sorcières vendaient aux gens épuisés ou atteints de ligature, n'étaient pas composés de substances similaires ou analogues? On n'ignore point que la semence de l'homme entrait presque toujours, au Moyen Age, dans la confection de ces mixtures. Or, le Dr Brown-séquard, après des expériences réitérées, n'a-t-il pas récemment démontré les vertus de cette matière enlevée à un homme et instillée à un autre?

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